Auditions de la comédie musicale Annie

À la recherche de la petite Annie

Petit matin de tempête de février. Le hall du Théâtre St-Denis fourmille d’une trentaine de jeunes filles, la plupart accompagnées de leurs parents. Elles se sont levées aux aurores. Certaines ont fait la route de Québec, Gatineau ou Joliette. Malgré l’heure matinale, elles débordent d’énergie !

Comme dans la célèbre chanson d’Aznavour, ces filles se voient déjà en haut de l’affiche de la comédie musicale Annie, que Juste pour rire produira l’été prochain, dans une mise en scène et une traduction de Serge Denoncourt, d’après la production originale de Broadway, mise en scène par feu Martin Charnin.

« Bonjour, les filles, je vais vous revoir plus tard cet après-midi. D’ici là, je veux vous dire qu’un journaliste de La Presse assiste aux auditions aujourd’hui. S’il vous pose des questions, vous répondez toujours que Serge Denoncourt est le meilleur metteur en scène au monde. » (Rires)

Malgré son horaire chargé (il supervise six productions ce printemps au Québec et en France), Serge Denoncourt est heureux de travailler avec des enfants, quatre ans après avoir monté Les choristes. « Avec des enfants, c’est no bullshit, illustre le metteur en scène. Ils sont directs, vrais. Il faut les rassurer sans les infantiliser. »

Est-ce différent de répéter avec des filles par rapport aux garçons comme dans Les choristes ?

« Avec les gars, c’est plus compétitif, répond-il. Les filles n’aiment pas la compétition. Elles vont même s’encourager, se féliciter, se donner des câlins. »

Le metteur en scène n’a pas d’idée préconçue sur celle qui jouera l’iconique petite orpheline, Annie. Durant la Grande Dépression, celle-si sort d’un lugubre orphelinat pour aller vivre quelques jours chez un milliardaire new-yorkais. Dans le film de 1982, et dans la mémoire collective depuis son apparition dans une bande dessinée en 1924 (!), la petite Annie est rousse.

« Pour moi, peu importe, Annie peut être blonde, noire ou asiatique ; les cheveux frisés, crépus ou tressés. Toutefois, elle doit avoir beaucoup de charisme. Et du tempérament. On ne cherche pas une fille timide ni une princesse. Le reste, je peux leur apprendre durant les répétitions. »

— Serge Denoncourt, metteur en scène

Dans la pièce, le personnage a 11 ans. « Mais au théâtre, on peut avoir l’air jeune longtemps », dit-il. Les jeunes filles rappelées par la production ont de 8 à… 22 ans. À la fin du processus, l’équipe devra trouver une Annie et sa doublure (pour se partager les représentations), ainsi que 12 orphelines réparties dans deux distributions qui se produiront en alternance durant tout l’été.

Alors, on danse ?

Serge Denoncourt enfile son manteau et son chapeau. Il sort en coup de vent, car il va répéter avec des comédiens une autre production (Cher Tchekhov), à la salle Pierre-Mercure, au coin de la rue. Il laisse le groupe de filles entre les mains de la chorégraphe Wynn Holmes et du danseur Nico Archambault pour un atelier de mouvements.

L’atmosphère est survoltée ! « On va vous faire danser sur une chanson qui ne fait pas partie du spectacle, explique Archambault. On veut voir votre énergie, votre personnalité, votre côté frondeuse, bagarreuse. »

Wynn met un tube du groupe punk rock Le Tigre. Dès les premières notes, Nico exécute une chorégraphie endiablée au son de la musique des années 1990. Le danseur se dirige à l’avant-scène et demande au groupe de former des lignes derrière lui, pour suivre ses pas.

« Qu’est-ce qu’on fait si on rate un mouvement ?

– Ce n’est pas grave de se tromper dans ses pas, répond Nico Archambault. Si vous êtes perdues au milieu du numéro, continuez de bouger. Si vous trébuchez, ça veut dire que vous courez vraiment. Et n’oubliez pas de respirer !

– L’énergie est très bonne, vous pouvez changer vos lignes, dit la chorégraphe, qui observe la troupe en retrait. On s’encourage entre nous, les filles. On n’élimine personne encore. On est là pour s’amuser ! »

Des parents patients

Juste pour rire Spectacles a reçu environ 500 candidatures de jeunes qui voulaient jouer dans sa nouvelle comédie musicale. De ce nombre, 150 ont passé une première audition pour la voix, étalée sur quatre jours. Puis, 35 ont été rappelés le 19 février pour un atelier en danse, jeu et chant. La production dévoilera le nom de la petite Annie, ainsi que celui de sa doublure et des autres orphelines, en annonçant l’ensemble de la distribution, à la fin du mois.

Pendant que leur progéniture s’active sur la scène, une vingtaine de mamans (et quelques papas) campent littéralement dans le hall du St-Denis. Assis sur le plancher, autour d’une montagne de sacs à dos, ils ont ouvert leur MacBook ou écoutent de la musique sur leur casque d’écoute. La règle est stricte : interdiction aux parents de pénétrer dans la salle pendant les ateliers ! Ils verront leurs enfants durant les pauses.

On va déranger les mères de Nancy, Florence et Juliette. Elles ont vu l’annonce de Juste pour rire au début de l’année. Elles n’ont pas hésité à inscrire leurs enfants, parce qu’elles adorent chanter et danser. Alexia de Leemans, 12 ans, nous dit que c’est son professeur au programme arts-études qui a parlé des auditions à ses parents.

À l’heure du lunch, on croise Emmanuelle, 13 ans, avec son père, Martin Lacasse. Sa fille suit des cours à l’école de théâtre musical L’Artishow, à Hull. Il est heureux de voir qu’Emmanuelle se rapproche de son rêve de jouer avec des professionnels. Le père de Gweth Renee Bennett vient aussi de Gatineau. Il est arrivé la veille et a loué une chambre dans un petit hôtel, en face du St-Denis. « On ne voulait pas arriver en retard à cause de la tempête ce matin », dit M. Bennett.

Du tac au tac

Après le dîner, Serge Denoncourt est de retour. Il dirige des exercices de chant avec les filles et un pianiste. Il leur demande de former cinq groupes par ordre d’âge et de taille afin de chanter en chœur. Le metteur en scène les avertit qu’il peut les interrompre au milieu d’un numéro : « Je peux vous faire recommencer 15 fois de suite, jusqu’à ce que Wynn et moi soyons contents de votre interprétation. »

Un groupe entame le refrain de la chanson Tomorrow : « Dès demain, le soleil brillera…

– Wow ! C’est beau ! lance une petite fille en retrait, côté jardin, au bout de la chanson.

– On est chanceux d’avoir une experte avec nous, rétorque Denoncourt.

– Il ne faut pas être gênée dans la vie, monsieur.

– Ben pour toi, c’est réglé… Alexia.

– C’est Valexia ! »

Si celle-ci rate son audition pour Annie, le metteur en scène lui fera sans doute jouer une future diva plus tard.

Après le chant, place au jeu. Denoncourt demande aux filles de s’asseoir en cercle sur la scène pour lire un extrait du texte. C’est la scène du dortoir, la nuit, lorsqu’Annie console une petite orpheline qui a fait un cauchemar. « Attention à votre diction ! Vous devez parler québécois, comme dans la vie », prévient Denoncourt, assis par terre au milieu des enfants. À la pause, il peine à se relever pour donner ses notes. « J’ai les jambes engourdies, dit-il en se levant. J’espère que vous avez passé une bonne journée. Vous avez ben de l’endurance ! »

Serge Denoncourt demande au groupe de quitter la salle, sauf pour quatre candidates. Ces dernières restent sur la scène avec le pianiste. Avec ses photos et ses cartons en main, le metteur en scène se rend ensuite dans les coulisses pour aller discuter de ses choix avec Wynn Holmes et des producteurs de Juste pour rire. Sous embargo… Le journaliste ne peut pas les suivre.

Il est 17 h. Il neige toujours dehors. Et dans le hall du St-Denis, l’énergie est encore plus vive qu’au petit matin.

Quelques jours plus tard, Serge Denoncourt nous confirme avoir fait son choix final pour Annie : « J’ai eu un coup de cœur très tôt dans le processus de sélection. Après cinq jours d’auditions, je constate que mon intuition ne m’a pas trompé. Cette enfant est restée ma préférée pour le rôle d’Annie. »

D’ici une dizaine de jours, on connaîtra son visage et son nom au moment de l’annonce de la distribution. Ce jour-là, le soleil va briller pour Annie et 13 autres jeunes filles à travers le Québec.

Annie sera présentée du 22 juin au 17 juillet au Théâtre St-Denis, à Montréal, dans le cadre du 40e festival Juste pour rire, avant de s’installer à la salle Albert-Rousseau de Québec, du 12 au 28 août.

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