Avortement

de plus en plus de centres antiavortement

Le nombre de centres « anti-choix » au Québec est passé de 15 en 2015, à 27 en 2018. Une situation qui inquiète la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN). Certains de ces groupes emploient des arguments « mensongers » et « insidieux » auprès de personnes vulnérables pour décourager le recours à l’avortement, dénoncent des experts. La Presse a voulu constater comment procèdent ces centres.

Un dossier de Marissa Groguhé

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« Tromperie » et « manipulation » dans les centres « anti-choix »

Ils comparent l’avortement au meurtre, prétendent que la procédure occasionne de graves risques pour la santé ou bien affirment que l’interruption de grossesse mène toujours au regret… Plusieurs groupes pro-vie utilisent ces arguments, aussi « inquiétants » que « mensongers », pour décourager le recours à l’avortement, selon des chercheuses et des organismes pro-choix.

« Pour être tout à fait honnête, certaines personnes sont à l’aise après avoir décidé d’avorter, mais la plupart ont beaucoup de difficultés », affirme, au bout du fil, une conseillère du centre de grossesse Options, contactée au début du mois de décembre.

« De notre expérience, on entend souvent les gens parler de regret après l’avortement, ajoute-t-elle d’une voix calme, empreinte de compassion. Mais il n’est jamais question de regret avec les autres options. »

Par téléphone ainsi que sur le site internet de l’organisme Options, on dit offrir des renseignements clairs sur les options relatives à la grossesse, ainsi que « du soutien et du support », quelle que soit la décision prise.

Mais le centre est membre d’au moins deux associations religieuses de « promotion de la vie », l’Alliance Ressources Grossesse et la Canadian Association of Pregnancy Support Services (CAPSS), qui diffusent de nombreuses informations erronées à propos de l’interruption volontaire de grossesse, d’après un rapport d’étude de trois chercheuses de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) sur les discours et pratiques de ressources anti-choix et pro-choix et sur les enjeux éthiques de l’intervention auprès de femmes vivant une grossesse imprévue au Québec.

Depuis que la recherche a signalé les méthodes de groupes comme le centre Options, en 2015, plutôt que de diminuer, leur nombre a presque doublé.

Durant les dernières semaines, nous avons pris contact avec quatre organismes pro-vie, en prétextant être une jeune femme à la recherche de conseils face à une grossesse imprévue. La Presse a contacté le centre de grossesse Options ainsi que le centre Flocons d’espoir, le groupe Enceinte et inquiète et la ressource Options Grossesse – cette dernière, située à Québec, nous a envoyée au centre Options, établi à Châteauguay.

Dans un seul cas, au centre Flocons d’espoir, nous avons été redirigée vers un CLSC : lorsque nous avons mentionné que nous considérions l’avortement, on nous a répondu que la mission de l’organisme consistait à soutenir les personnes souhaitant mener une grossesse à terme.

apparence de neutralité

Au téléphone, l’intervenante du centre de grossesse Options n’élude à aucun moment la question de l’avortement. Elle l’associe toutefois à un choix qui a des conséquences « lourdes et très intenses » et discute particulièrement du maintien de la grossesse, dans l’optique d’élever l’enfant ou de le donner en adoption. En choisissant cette dernière option, souligne-t-elle, « tu pourrais avoir la même qualité de vie, mais avec la joie de savoir que tu as aidé une famille ».

Après avoir calculé une date de conception d’après nos informations, la dame nous décrit l’évolution du fœtus à ce stade. Des yeux, des jambes, un cerveau, un cœur : « Le développement est avancé », nous dit-on.

Tout en prétendant offrir des conseils en toute neutralité, certaines organisations anti-choix utilisent la « manipulation » et la « tromperie » pour convaincre ceux qui les consultent de ne pas avoir recours à l’avortement, affirme Cindy Pétrieux, co-coordonnatrice de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN).

Elle explique que parfois, comme au centre de grossesse Options, « on tente de convaincre que l’interruption de grossesse est la moins bonne option, en parlant du bonheur d’être parent, de la détresse à la suite d’un avortement ou en humanisant le fœtus ou l’embryon », notamment.

« Pro-femme, pro-vérité et pro-voix »

Selon Véronique Pronovost, doctorante en science politique, membre du chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes et coauteure de la recherche sur les centres pro-choix et anti-choix menée par l’UQAM, le centre Options est ce qu’elle appelle un « centre anti-choix » et il use de méthodes « typiques » des groupes antiavortement.

Allan Heron, directeur général de l’organisme, affirme quant à lui que le centre Options est « pro-femme, pro-vérité et pro-voix » et qu’il a adopté « une position non politique en ce qui concerne l’avortement ». Il ne confirme pas, ni ne dément, le biais « pro-vie » qui lui est accolé.

« Comme notre nom l’indique, nous présentons aux jeunes femmes les trois options juridiques disponibles dans notre province : l’adoption, la parentalité et l’avortement », affirme-t-il. 

« Ces choix sont présentés de manière factuelle et neutre, afin de permettre à la femme de choisir la voie avec laquelle elle se sent le plus à l’aise. »

— Allan Heron, directeur général du centre Options

Interrogé sur les liens du centre avec des groupes religieux de « promotion de la vie », M. Heron ne fait pas mention de l’Alliance Ressources Grossesse ou de la CAPSS. Il indique toutefois qu’Options est un programme de Jeunesse sans limite Montréal, « un organisme confessionnel offrant des services respectueux, holistiques et de qualité, en vue d’inspirer et d’outiller les jeunes aux niveaux physique, mental, émotionnel ainsi que spirituel ».

Deux autres organisations pro-vie, Vivere (qui se dit « artisan de la culture de la vie ») et la Campagne Québec-Vie, citent le centre Options comme une ressource vers laquelle se tourner en cas de « grossesse difficile ». La position de ces groupes est « très problématique » et l’information qu’ils diffusent est « trompeuse » et « inexacte », d’après Véronique Pronovost.

De la lecture antiavortement

Les méthodes de certains groupes pro-vie sont plus pugnaces qu’au centre de grossesse Options, rapporte Cindy Pétrieux : ils parlent du meurtre d’un enfant, de graves douleurs, d’infertilité, de risques de cancer…

À l’organisme Enceinte et inquiète, un conseiller nous affirme, par courriel, que « de plus en plus, les recherchistes [médicaux] et autres notent les effets néfastes suite à un avortement ». Il s’agit, d’emblée, d’une information erronée, explique Véronique Pronovost.

Enceinte et inquiète dit offrir « un support aimant et confidentiel à quiconque est affecté par une grossesse imprévue » et des réponses « au sujet de la grossesse, des infections transmises sexuellement (ITS), de l’avortement, de l’adoption, de savoir élever un enfant, des références médicales et plus encore ». Rien ne laisse paraître qu’un biais pro-vie pourrait influencer ses conseils.

Mais on nous recommande alors de lire un résumé exhaustif d’une étude de l’institut deVeber, un centre de recherche torontois. 

« Le site web de l’institut est très professionnel. Il présente une signature visuelle qui donne de la crédibilité aux propos qu’on y retrouve », affirme Mme Pronovost. 

« Cette stratégie est largement employée par les organisations anti-choix. Cela a pour effet de camoufler leur biais idéologique et de paraître neutre, scientifique et crédible. »

— Véronique Pronovost, à propos de la facture visuelle professionnelle du site de l’institut deVeber

Le document de l’institut deVeber, intitulé Complications : l’impact de l’avortement sur les femmes, compile une dizaine d’arguments antiavortement.

Risques de cancer du sein, d’infections aux organes reproducteurs, d’infertilité, de maladies auto-immunes ou de problèmes de santé mentale pouvant mener jusqu’au suicide… L’avortement est porteur de nombreux maux, si l’on en croit la lecture conseillée par Enceinte et inquiète.

On y prétend que les accouchements prématurés sont plus probables pour une femme ayant précédemment avorté. Tout un chapitre est consacré aux graves douleurs qui peuvent être ressenties durant et après un avortement, alors qu’un autre prétend que 10 % des problèmes mentaux sont attribués à l’avortement.

« Toutes ces affirmations ont été réfutées maintes et maintes fois par la communauté médicale internationale, soulève Véronique Pronovost. Aucune étude crédible, reconnue par la communauté médicale, n’établit de lien de causalité entre l’avortement et le développement de ces afflictions. »

« L’objectif [de cet institut] est clair : générer un sentiment de peur suffisamment fort pour que les femmes choisissent “par elles-mêmes” de ne pas se faire avorter. »

« Un geste horrible que vous regretteriez toute votre vie »

La Presse a également contacté le groupe Pro-Vie Québec, qui affirme aussi offrir du soutien en cas de grossesse imprévue.

« Nous sommes totalement contre l’idée d’une mère qui tue son propre enfant ! Le plus mauvais conseil à donner à une femme enceinte, c’est de lui conseiller de devenir une meurtrière », nous a répondu une représentante de l’organisme, qui croyait elle aussi s’adresser à une jeune femme enceinte à la recherche de conseils.

Le groupe affirme clairement sa position antiavortement. Mais « que les centres anti-choix affichent ouvertement leur idéologie ou non ne change pas le fait qu’ils utilisent la vulnérabilité des gens à des fins politiques et idéologiques et non pas pour les guider vers la meilleure solution pour eux », soutient Mariane Labrecque, co-coordonnatrice à la FQPN.

Alors que nous parlions de craintes face à l’interruption de grossesse, on nous a répondu à Pro-Vie Québec que « c’est le bébé dans sa mère qui court les pires risques durant un avortement ». 

« C’est votre enfant qui se ferait tuer ! Ses chances de mourir sont de 100 % ! »

— Une représentante de Pro-Vie Québec, croyant s'adresser à une jeune femme enceinte

« Ce n’est pas des choses qui sont populaires de nos jours, dans notre pays anti-enfants, mais chez Pro-Vie Québec, nous n’essayons pas de gagner un concours de popularité. Nous essayons de vous empêcher de faire un geste horrible que vous regretteriez toute votre vie », a conclu la représentante de l’organisation, en ajoutant qu’« il y a toujours une solution autre que de tuer son propre enfant ».

« De traiter les personnes de “meurtrières” est carrément diffamatoire », soulève Mme Labrecque, en soulignant que se faire avorter « n’est pas “tuer un enfant” », ce que la loi stipule depuis maintenant 30 ans.

Glossaire

Pro-vie

Les groupes pro-vie, que certains désignent par le terme « anti-choix », s’opposent à ce qu’une personne enceinte prenne la décision d’interrompre sa grossesse. Ils sont également contre l’aide à mourir, notamment. Souvent financés par des organismes religieux, les centres de conseils de grossesse pro-vie se positionnent donc contre le droit à l’avortement.

Pro-choix

Les organismes d’aide aux personnes enceintes ayant une orientation pro-choix sont des groupes au sein desquels l’avortement est considéré comme une action aussi valable, sur le plan moral, que celle de poursuivre une grossesse. Leur intervention se veut neutre et vise l’autodétermination de la personne faisant face à une grossesse imprévue.

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« Une voix antiavortement de plus en plus décomplexée »

Le nombre de centres pro-vie a presque doublé au Québec au cours des trois dernières années. Des organismes et des experts s’inquiètent de l’expansion de leur emprise.

De 15 à 27 centres

En 2015, il a été démontré, dans le cadre de l’étude sur les discours et pratiques des centres pro-choix et anti-choix de l’UQAM, en partenariat avec la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), « qu’il y avait eu une forte progression depuis 2013 » du nombre de centres pro-vie. Les chercheuses dénombraient alors 15 centres au Québec. Trois ans plus tard, à la mi-août de cette année, on en recensait 27. De Montréal à la Gaspésie, en passant par Québec, Sherbrooke, Drummondville, Joliette ou Trois-Rivières, ces centres sont déployés un peu partout dans la province. « On ne s’explique pas pourquoi il y en a de plus en plus, affirme Cindy Pétrieux, de la FQPN. La seule chose qu’on peut voir, c’est qu’il y a une voix antiavortement de plus en plus décomplexée. »

Une image qui ne correspond pas au discours

L’étude soulève que plusieurs centres (cinq sur les neuf que les chercheuses ont ciblés pour leur enquête) donnent « de l’information erronée sur l’avortement », afin d’induire de l’inquiétude ou même de la peur, et ainsi « gêner la capacité à prendre une décision éclairée ». En consultant leurs sites internet, on pourrait croire qu’il ne s’agit pour la plupart que de groupes de conseil sans biais pro-vie. Des images de grossesses avancées, des photos de familles ou de jeunes femmes tristes, que l’on trouve également sur les murs de leurs locaux, trahiront parfois la position antiavortement, soulève Cindy Pétrieux. On parle de « soutien », d’« écoute », de « conseils éclairés » et d’« options ». C’est toujours en privé que « le message change insidieusement », explique Karine Angers.

Exploiter la vulnérabilité

Des femmes ont déjà rapporté à SOS Grossesse s’être fait raconter que l’avortement est une opération à l’aveugle, que le médecin va gratter l’utérus sans regarder, rapporte Mme Angers. Une autre s’est fait reprocher d’être « une mauvaise mère », car elle considérait se faire avorter. À la suite de cette rencontre, elle a passé plusieurs jours à pleurer, si bien que son conjoint, en détresse, a fait appel à SOS Grossesse. Il a alors fallu plusieurs rencontres pour démystifier ce qu’est vraiment l’interruption de grossesse et apaiser cette femme qui « se sentait très coupable ». « Ces centres se servent d’un moment particulier de vulnérabilité dans la vie d’une personne pour faire avancer un projet politique ou des croyances », soutient Cindy Pétrieux. Même si « pas mal n’importe qui peut tomber dans le “panneau” », vu la position neutre qu’ils adoptent en apparence, « leur clientèle “de choix” est particulièrement vulnérable, dans le sens de “peu entourée”, car ils deviennent alors une source de soutien qui est bienvenue dans ce moment de détresse », ajoute Mariane Labrecque, de la FQPN.

« Pas de la manipulation », dit un groupe pro-vie

Georges Buscemi, président de l’organisation Campagne Québec-Vie, un groupe pro-vie influent qui dit avoir comme but « l’établissement d’une société chrétienne qui défend la foi, la famille et la vie, de la conception à la mort naturelle », admet qu’il est « fort possible » que certaines informations propagées par plusieurs centres antiavortement soient erronées. Mais « ça ne veut pas dire qu’elles sont mensongères, car ça présumerait de la mauvaise volonté », affirme-t-il. « Ce que [les organismes pro-choix] contestent, c’est ce que nous croyons être la vérité. » Pour M. Buscemi, les actions des centres pro-vie « ne sont pas de la manipulation ». Il s’agit de « convaincre », dit-il. M. Buscemi n’est pas non plus convaincu par l’argument scientifique appuyant les critiques des organismes et experts envers certains groupes pro-vie. Il dit ne pas avoir vu de recherches qui vont à l’encontre de ce que son organisme défend, mais assure qu’il rectifierait toute erreur factuelle du site de l’organisme s’il voyait une preuve qu’elle en est une.

Organisation parapluie pro-vie

C’est la Campagne Québec-Vie qui a mis sur pied le centre Enceinte et inquiète. Joint par La Presse à visage découvert, Enceinte et inquiète a reconnu être un projet de Campagne Québec-Vie et a justifié ses procédés en nous faisant parvenir un texte, signé par M. Buscemi, intitulé « Nous ne serons jamais neutre », qui défend la position « pro-vie » du groupe et affirme faire une description « véridique » de « la nature horrible de l’avortement et ses conséquences ». Campagne Québec-Vie finance également l’Alliance Ressources Grossesse, une sorte d’organisation parapluie qui réunit une dizaine de centres de conseil pour femmes enceintes au Québec, dont le centre Options. « Pourtant ces organismes n’affichent pas, ou seulement discrètement, leurs liens avec des organismes ou acteurs du mouvement pro-vie », soulèvent les chercheuses de l’UQAM dans leur étude. Questionné par rapport aux messages que véhicule Enceinte et inquiète, ainsi que ses méthodes, Georges Buscemi renvoie le doute vers les services d’avortement. « Peut-être que nous pourrions retourner la question et demander si les soi-disant cliniques d’avortement ne cachent pas la vérité », déclare-t-il.

Un impact considérable sur les femmes

Grâce à l’internet et aux réseaux sociaux, la portée des centres anti-choix est exponentielle, soulève Cindy Pétrieux. « Ils touchent le public qu’ils cherchent à rejoindre » encore plus facilement, dénonce-t-elle. L’organisme SOS Grossesse est intervenu auprès de femmes qui avaient d’abord consulté un organisme anti-choix et a pu constater l’impact psychologique qu’ont eu ces rencontres. « Ça va avoir un impact sur le choix, mais aussi sur les émotions que la personne va vivre ensuite », témoigne Karine Angers, directrice de l’organisation. La crainte, le remords et une confusion encore plus grande s’emparent de beaucoup de ces femmes, dit-elle. Des séquelles difficiles à faire disparaître. « Une fois qu’on s’est fait flouer, c’est difficile de refaire confiance en ce qui concerne tous les services d’aide, poursuit-elle. On se sent plus émotif, avec des problèmes psychologiques. Et ça a un impact pas seulement sur la personne, mais aussi sur tout son entourage. »

Action collective à venir

Il est « très difficile » d’intenter des démarches judiciaires contre les centres anti-choix, explique Cindy Pétrieux, car « il faut avant tout se rendre compte de la manipulation qui est subie, ce qui n’est pas le cas pour tout le monde ». « C’est aussi un moment de la vie où on a autre chose à faire que de se lancer dans un recours en justice, ajoute-t-elle. Alors, il faut créer un mouvement collectif, rassembler des témoignages, car les personnes ne veulent pas se battre seules contre les centres. Il faut se réunir pour agir. » Car même si leurs propos sont insidieux, « en termes de façade, il n’y a aucun problème quant à la légalité » des centres anti-choix, fait remarquer Cindy Pétrieux. Une action collective menée par la FQPN est en train de s’organiser pour tenter de défendre en cour les droits de la personne face à ces groupes.

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