OPINION ÉDUCATION

Pour une relève de qualité

Monsieur le ministre,

J’ai enseigné le français en Belgique. En 1999, j’ai immigré au Québec. Je dois mon premier poste d’enseignante de français dans l’école publique à un directeur d’origine française qui a compris mon choc culturel.

Un élève a soutenu qu’au Québec, on disait des chevals et que moi, « l’o.. de Française », je n’avais pas à changer la langue québécoise. J’ai cru que le sol se dérobait sous mes pieds, moi qui ai suivi un cours de linguistique historique, qui ai étudié le latin et le grec.

Dans la salle des profs, des enseignants affirmaient que « chevals » se dit au Québec, jusqu’à ce qu’un prof de français, à quelques mois de sa retraite, corrobore mes dires après avoir imprimé la page grammaticale du mot cheval du site de l’Office québécois de la langue française.

Moult réflexions sur l’idée que le savoir écrire n’a plus d’importance, un peu comme si l’ignorance valait autant que les connaissances m’ont poussée à réagir, récemment, au propos du ministre François Blais, que je cite : « Sur le français au Québec, on ne peut pas faire de concession. Quand on regarde la performance des élèves au Québec en littératie, quand on compare avec le Canada et l’OCDE, aux grands examens internationaux, c’est là qu’on a une faiblesse. (…) La langue, c’est la pensée. Il y a un lien direct ».

Rigueur intellectuelle, culture générale riche et maîtrise de la langue de Molière sont les ingrédients de la recette gagnante pour faire du métier d’enseignant un métier respectable et respecté. Enseigner, ce n’est pas animer, c’est instruire en animant !

M. le ministre, mon vécu illustre la raison pour laquelle je partage votre avis au sujet de la formation des enseignants et de la maîtrise de la langue officielle du Québec. Mais je vous invite à ne pas faire de généralisation abusive : il y a plusieurs enseignants qui maîtrisent bien leur langue maternelle. J’en connais aussi qui ont une mauvaise orthographe, mais qui sont des pédagogues hors pair. Je reste indulgente devant ceux qui ont conscience de leurs forces et faiblesses, car ce sont leurs forces qui les pousseront à pallier leurs faiblesses en acceptant la révision linguistique d’un tiers expert.

REVALORISER LA FORMATION

Je vous saurais gré de mettre de l’avant votre plan de revalorisation de la formation des enseignants, tant sur l’accessibilité au métier que sur la maîtrise du français au sein de toutes les filières du bac en éducation. La langue française est un merveilleux outil de pensée, un bien collectif convergent et diagonal. L’estropier, c’est abîmer la société et comme l’indique Albert Camus, mal nommer les choses, c’est ajouter à la misère du monde.

N’attendez pas la sortie de la première cohorte de ce bac rehaussé pour revaloriser les salaires des enseignants. C’est maintenant que vous devez le faire, avec le personnel des écoles, certes imparfait, mais dévoué à un point que vous n’imaginez peut-être pas.

Plus la société est instruite, plus elle produit des richesses. Dans un monde qui valorise étroitement l’argent, je comprends difficilement pourquoi les formateurs des producteurs de richesses de demain reçoivent une rémunération sans cesse rabotée et sans rapport avec leur qualification. Alors, pourquoi les étudiants n’iraient-ils pas choisir un métier nettement plus payant et moins usant sur le plan de la santé mentale ?

Il est temps de faire de la qualité de vie dans les écoles un critère de décision de gestion pour implanter une gestion enfin humaine des ressources ! Vous ne pouvez augmenter la charge de travail des enseignants, encore moins le nombre d’élèves par classe. Les seules choses que vous pouvez augmenter, ce sont nos salaires et les services aux élèves en difficulté. Alors seulement, votre vision de la formation des enseignants à laquelle je souscris assurera la relève, une relève de qualité et pérenne !

OPINION ÉDUCATION

Investissez rapidement !

Cher ministre,

J’enseigne l’histoire. Tous les jours, je suis au front pour l’augmentation de la sagesse de l’humanité en élevant la génération d’aujourd’hui. Je suis un spécialiste du domaine dont vous êtes le patron. Comme nous avons à cœur le succès de la même entreprise, je vous offre ici quelques suggestions pro bono.

Tous les spécialistes du développement social et économique vous affirmeront qu’une société plus éduquée est plus rentable. Les citoyens plus éduqués sont généralement plus en santé, commettent moins d’actes criminels et participent plus activement à la vie de leur communauté que ceux ayant un parcours scolaire restreint. Ils occupent aussi, généralement, de meilleurs emplois.

La richesse de notre société repose sur le génie des grands innovateurs, mais aussi sur les techniciens et les spécialistes issus de notre système scolaire, capables d’augmenter non seulement leur propre richesse, mais aussi celle des entreprises pour lesquelles ils travaillent.

Or, quand je suis entré dans ma classe cette semaine, et qu’il faisait 43 degrés, c’est là que, toutes fenêtres ouvertes, je me suis mis à douter. En effet, demander à des élèves de rester assis 75 minutes dans une telle chaleur est complètement inhumain.

MAIS IL Y A PIRE…

J’enseigne dans un quartier merveilleux, mais amoché. La criminalité, la pauvreté et le faible taux de scolarité parentale ont mis un frein aux espoirs de plusieurs jeunes esprits brillants et vaillants. Pourtant, chaque année, nous réussissons à donner à une quarantaine de jeunes au crépuscule d’une adolescence mouvementée le courage, les outils, les connaissances et l’envie de briguer un diplôme d’études secondaires et même l’accès à des études supérieures et à une vie meilleure.

L’an prochain, si tout va bien, nous aurons une cohorte record de 66 finissants. Nos élèves de secondaire 4 sont le fruit de plusieurs années de travail de l’ensemble du personnel de cette école, des enseignants aux directeurs, des éducatrices à l’infirmière, du conseiller d’orientation aux concierges, des secrétaires aux élèves eux-mêmes.

Alors, quand je suis entré dans cette classe où il faisait 43 degrés pour enseigner à 36 adolescents, certains face au mur faute de place, j’ai commencé à douter de vos compétences. Comme si l’environnement dans lequel ils grandissent n’était déjà pas suffisamment empreint de problèmes : violence familiale, pauvreté, malnutrition et drogue, voilà qu’ils doivent subir des cours d’histoire obligatoires dans des conditions dignes d’un goulag saharien.

Nous avons entre les mains les fruits de plusieurs années d’efforts et on dirait que vous travaillez activement à les saboter, juste avant le dernier droit.

Vous abolisez des postes d’enseignants, de spécialistes grandement nécessaires, d’intervenants marquants pour les jeunes, vous refusez d’ouvrir de nouvelles classes, vous augmentez consciemment la précarité d’emploi, non seulement des enseignants, mais aussi de tous les employés du système scolaire et on ne parle pas encore des vrais problèmes. Or, où est le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté ? Où est le comité d’étude sur la violence et la négligence domestiques ? Où sont les subventions pour augmenter le sport et les activités pour les ados, afin de les décrocher de leur foutu iPhone ? Où est l’argent nécessaire pour rendre un cours neutre et monotone en un instant magique ?

Monsieur le ministre, vos mesures empêchent mes élèves, la prunelle de mes yeux et de notre école, d’atteindre le droit à une éducation décente et à de meilleures chances dans la vie. Alors aujourd’hui, dans mon désert prophétique, entouré de mes élèves, j’ai pensé au meilleur conseil que je pouvais vous offrir : investissez rapidement. Le temps qu’ils fassent quelques études et décrochent un bon boulot. Investissez maintenant et vous engrangerez les profits bientôt ! Promesse de prof !

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