OPINION ÉDUCATION
Pour une relève de qualité
L’auteure, enseignante depuis 21 ans, a travaillé sur deux continents.
Monsieur le ministre,
J’ai enseigné le français en Belgique. En 1999, j’ai immigré au Québec. Je dois mon premier poste d’enseignante de français dans l’école publique à un directeur d’origine française qui a compris mon choc culturel.
Un élève a soutenu qu’au Québec, on disait des chevals et que moi, « l’o.. de Française », je n’avais pas à changer la langue québécoise. J’ai cru que le sol se dérobait sous mes pieds, moi qui ai suivi un cours de linguistique historique, qui ai étudié le latin et le grec.
Dans la salle des profs, des enseignants affirmaient que « chevals » se dit au Québec, jusqu’à ce qu’un prof de français, à quelques mois de sa retraite, corrobore mes dires après avoir imprimé la page grammaticale du mot cheval du site de l’Office québécois de la langue française.
Moult réflexions sur l’idée que le savoir écrire n’a plus d’importance, un peu comme si l’ignorance valait autant que les connaissances m’ont poussée à réagir, récemment, au propos du ministre François Blais, que je cite : « Sur le français au Québec, on ne peut pas faire de concession. Quand on regarde la performance des élèves au Québec en littératie, quand on compare avec le Canada et l’OCDE, aux grands examens internationaux, c’est là qu’on a une faiblesse. (…) La langue, c’est la pensée. Il y a un lien direct ».
Rigueur intellectuelle, culture générale riche et maîtrise de la langue de Molière sont les ingrédients de la recette gagnante pour faire du métier d’enseignant un métier respectable et respecté. Enseigner, ce n’est pas animer, c’est instruire en animant !
M. le ministre, mon vécu illustre la raison pour laquelle je partage votre avis au sujet de la formation des enseignants et de la maîtrise de la langue officielle du Québec. Mais je vous invite à ne pas faire de généralisation abusive : il y a plusieurs enseignants qui maîtrisent bien leur langue maternelle. J’en connais aussi qui ont une mauvaise orthographe, mais qui sont des pédagogues hors pair. Je reste indulgente devant ceux qui ont conscience de leurs forces et faiblesses, car ce sont leurs forces qui les pousseront à pallier leurs faiblesses en acceptant la révision linguistique d’un tiers expert.
Je vous saurais gré de mettre de l’avant votre plan de revalorisation de la formation des enseignants, tant sur l’accessibilité au métier que sur la maîtrise du français au sein de toutes les filières du bac en éducation. La langue française est un merveilleux outil de pensée, un bien collectif convergent et diagonal. L’estropier, c’est abîmer la société et comme l’indique Albert Camus, mal nommer les choses, c’est ajouter à la misère du monde.
N’attendez pas la sortie de la première cohorte de ce bac rehaussé pour revaloriser les salaires des enseignants. C’est maintenant que vous devez le faire, avec le personnel des écoles, certes imparfait, mais dévoué à un point que vous n’imaginez peut-être pas.
Plus la société est instruite, plus elle produit des richesses. Dans un monde qui valorise étroitement l’argent, je comprends difficilement pourquoi les formateurs des producteurs de richesses de demain reçoivent une rémunération sans cesse rabotée et sans rapport avec leur qualification. Alors, pourquoi les étudiants n’iraient-ils pas choisir un métier nettement plus payant et moins usant sur le plan de la santé mentale ?
Il est temps de faire de la qualité de vie dans les écoles un critère de décision de gestion pour implanter une gestion enfin humaine des ressources ! Vous ne pouvez augmenter la charge de travail des enseignants, encore moins le nombre d’élèves par classe. Les seules choses que vous pouvez augmenter, ce sont nos salaires et les services aux élèves en difficulté. Alors seulement, votre vision de la formation des enseignants à laquelle je souscris assurera la relève, une relève de qualité et pérenne !