OPINION PROLONGEMENT DE L’AUTOROUTE 19

Un demi-tour qu’on pensait interdit

Trois jours après le dévoilement de sa Politique de mobilité durable 2030, alors que le premier ministre Couillard annonçait une nouvelle Baie-James dans les transports collectifs, le gouvernement du Québec réalisait une spectaculaire volte-face, annonçant un retour au bitume avec le prolongement de l’autoroute 19. L’« ère de la mobilité durable » n’aura-t-elle duré que 72 heures ?

Nous comprenons les partisans du projet qui n’en peuvent plus d’attendre : dans la couronne nord comme ailleurs, le parc automobile a crû deux fois plus rapidement que l’augmentation de la population dans les dernières décennies. Or, ce n’est pas en appliquant à répétition le modèle qui a conduit à cette envahissante congestion que nous réglerons ce grave problème.

Le projet autoroutier, qui stimulera la poursuite de l’étalement urbain, ne permet au mieux qu’un soulagement temporaire de la congestion, aux frais de 600 millions pour l’État.

Ce que reconnaît le gouvernement dans sa Politique de mobilité durable : « l’augmentation de la capacité routière […] fragilise davantage les finances publiques tout en contribuant de façon importante à l’accroissement de la congestion, de la motorisation des ménages et des émissions de GES. »

Pourtant le BAPE avait soulevé plusieurs inquiétudes sur le projet en 2015, demandant au gouvernement d’étudier le scénario alternatif d’un boulevard. Bien qu’il prétende vouloir transformer la mobilité, jamais le ministère des Transports n’aura considéré sérieusement cette option, se contentant de publier un document d’une page montrant des esquisses, sans justifier sa décision de favoriser une autoroute. Au final, ni le BAPE ni la politique de mobilité durable n’auront réussi à modifier d’un iota le projet.

Certes, une voie réservée et une voie cyclable donnent bonne presse, cependant les pronostics sont connus : il n’y aura pour ainsi dire ni cyclistes ni utilisateurs des transports en commun sur une autoroute aménagée pour l’automobile. Une voie réservée sans garantie concernant les services des transports en commun, cela ressemble à de l’écoblanchiment ; un mirage pour ceux qui souhaitent délaisser la voiture.

Le projet autoroutier est d’autant plus pervers que le gouvernement avait devant lui une occasion unique de montrer à quoi pourrait ressembler la mobilité durable.

On aurait pu proposer un boulevard urbain assorti de transports collectifs structurant avec des dessertes vers Laval et Montréal. Augmenter dès maintenant le service d’autobus depuis Bois-des-Filion et poursuivre la voie réservée jusqu’à Montréal, répondant ainsi à des besoins criants à court terme. Mais la logique électoraliste aura prévalu, autant pour le gouvernement que pour les partis de l’opposition qui ont appuyé le projet, s’adonnant à une surenchère autoroutière qui nous ramène au temps où l’on gagnait les élections en promettant des routes.

La Politique de mobilité durable fixe des objectifs pour accélérer les déplacements, redonner du temps aux familles et réduire leur facture transport ; améliorer le bilan carbone et favoriser l’économie du Québec. Cette politique ne doit pas être écrasée par un rouleau-asphalte.

Nous en appelons à la responsabilité des élus et de ceux qui aspirent à gouverner le Québec. Cessons cette fuite en avant ruineuse pour les finances publiques, les ménages et l’économie du Québec.

Il est temps de dépolitiser les décisions en transport et d’investir dans des solutions qui marchent à long terme. 

Pour cela, nous lançons un défi aux formations politiques en lice pour les élections de 2018, celui de cesser la surenchère et de soumettre leurs propositions en transport à des experts.

Nous ne sommes plus en 1950.

* Signataires : Philippe Cousineau Morin, Trajectoire Québec ; Karel Mayrand, Fondation David Suzuki ; Coralie Deny, CRE-Montréal ; Patrick Bonin, Greenpeace Canada ; Christian Savard, Vivre en Ville ; Samuel Pagé-Plouffe, Alliance TRANSIT ; Véronique Fournier, Centre d’écologie urbaine de Montréal ; Mélanie Busby, Coalition pour un boulevard Papineau ; Raphaëlle Dancette, Mobilisation environnement Ahuntsic-Cartierville (MEAC) ; Steven Guilbeault, Équiterre ; Marie-Soleil Cloutier, INRS ; Guy Garand, CRE-Laval ; Azzedine Achour, Solidarité Ahuntsic ; Jeanne Robin, Piétons Québec.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.