Une journée, deux histoires

Israël souligne son indépendance, les Palestiniens se rappellent la « catastrophe »

Tel-Aviv et Shefa Amr — Le 14 mai, Israël fête l’anniversaire de sa création, mais cette année, le pays est hanté par l’absence des otages et par l’attaque du 7 octobre dernier. Les Palestiniens, eux, se souviennent de la « Nakba » – la catastrophe qui a chassé nombre de leurs ancêtres de leurs terres.

« Nous sommes toujours là, mes filles sont toujours là […] Israël est toujours là, mais ce n’est pas un vrai jour de l’Indépendance », lâche Lishay Lavi Miran, dont le mari se trouve dans la bande de Gaza, prisonnier du Hamas, comme 127 autres otages. Depuis 221 jours, la guerre meurtrière dans l’enclave palestinienne se poursuit sans issue en perspective.

C’est pourquoi « il n’y a pas de quoi se réjouir », croit la femme de 39 ans.

Elle dit tenir bon pour ses filles et dans l’espoir de retrouver son mari, que lui ont arraché des commandos palestiniens le 7 octobre, dans leur kibboutz de Nahal Oz, dans le sud d’Israël.

Comme elle, Batia Holin, habitante évacuée du kibboutz voisin de Kfar Aza, estime « qu’il n’y a pas d’indépendance ici ».

« Si je suis dans mon pays, mais que je ne peux pas être chez moi et que je ne le serai pas avant au moins trois ans, de quel genre d’indépendance s’agit-il ? »

— Batia Holin

Israël est « un pays souverain dont les citoyens sont des réfugiés. […] C’est terrible », lâche la femme de 71 ans. Batia Holin raconte être brièvement retournée chez elle, avoir fermé la porte et être partie : « C’est tout, je n’ai plus de maison. »

« Foyer national juif »

Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame la création de l’État d’Israël, concrétisant la promesse d’un « foyer national juif » faite en 1917 par Londres. Les grands-parents de Lishay Lavi Miran s’y sont établis, leur famille ayant quitté la Libye et l’Azerbaïdjan.

Or, la première guerre israélo-arabe éclate dès le lendemain, le 15 mai 1948, date que les Palestiniens associent à la « Nakba » ou la « catastrophe » : l’exode de 760 000 Palestiniens du nouvel État israélien.

D’autres guerres suivront, dont celle de 1967, quand Israël s’est notamment emparé de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, dont il se retirera unilatéralement en 2005, deux ans avant que le Hamas n’y prenne le pouvoir.

Après le 7 octobre, Israël a fait vœu d’« anéantir » le Hamas, et l’offensive lancée dans la bande de Gaza a fait, depuis sept mois, plus de 35 000 morts, selon le ministère de la Santé du mouvement islamiste. Or, de l’avis de Lishay Lavi Miran, pour l’instant, c’est « le Hamas qui a gagné la guerre, parce que les otages ne sont pas là ».

Et elle dit qu’elle retrouvera son foyer « seulement quand [son mari] reviendra ».

« Notre catastrophe »

« Votre jour de l’Indépendance est notre catastrophe » : sous ce mot d’ordre, des milliers de Palestiniens d’Israël ont pris part mardi à une marche annuelle dans les ruines de villages dont les habitants arabes ont été chassés en 1948.

Agitant des drapeaux palestiniens, keffieh autour du cou ou de la tête, des hommes et des femmes se sont rassemblés dans les villages détruits d’Al-Kassayer et d’Al-Husha, à une quinzaine de kilomètres de Haïfa, dans le nord d’Israël.

Certains portaient des pancartes avec les noms de dizaines de villages disparus d’où leurs familles ont été expulsées. Sur une banderole, on pouvait lire : « Nous resterons tant qu’il restera du thym et des oliviers. »

Parmi les marcheurs, Abdul Rahman al-Sabah, 88 ans, raconte comment des membres de la Haganah – une organisation paramilitaire des Juifs de Palestine – ont contraint sa famille à quitter Al-Kassayer vers la ville voisine de Shefa Amr.

Pendant un temps, « j’avais l’habitude de revenir me faufiler avec ma mère dans le village pour y récupérer des matelas et des objets de la maison », mais ensuite ils « ont fait exploser […] Al-Kassayer et […] Al-Husha, afin que nous ne puissions pas revenir et ils ont posé des mines », dit-il, des larmes dans les yeux, une photo en noir et blanc de ses parents à la main.

Citoyens « arabes israéliens »

Les quelque 160 000 Arabes de Palestine qui sont restés, à l’issue de la guerre, en Israël sont devenus des citoyens « arabes israéliens ». Or, une majorité d’entre eux se disent Palestiniens. Les membres de la minorité arabe représentent plus de 21 % de la population israélienne, selon les plus récents chiffres officiels.

Ils se plaignent de longue date de discriminations, notamment à l’emploi, et nombre d’entre eux restent profondément attachés à leurs terres ancestrales.

Cette année, les slogans dénonçant entre autres ces enjeux parlaient également de la guerre meurtrière en cours depuis plus de sept mois dans la bande de Gaza.

« Gaza ne s’agenouillera pas devant les chars et les canons », « Liberté, liberté, pour Gaza » et « Non à la famine, non à la démolition, non au déplacement », ont notamment scandé les manifestants. Le tout, derrière une banderole : « Arrêtez la guerre maintenant », pouvait-on y lire.

Raids israéliens et déplacés

Les bombardements israéliens incessants sur la bande de Gaza ont fait des dizaines de morts, mardi, a indiqué le Hamas, à l’heure où près de 450 000 Palestiniens ont dû fuir des secteurs pilonnés de la ville de Rafah, menacée d’une offensive d’envergure. La population gazaouie, déplacée plusieurs fois depuis le début de la guerre, est de nouveau sur les routes pour tenter de trouver un refuge, même si l’ONU affirme qu’il « n’y a pas d’endroit sûr dans la bande de Gaza ». Avant l’aube, mardi, des frappes ont visé différents secteurs de la bande de Gaza, y compris l’est de Rafah. Au cours des 24 dernières heures, au moins 82 Palestiniens ont péri, selon le ministère de la Santé du Hamas. Au moins huit morts ont notamment été dénombrés dans une frappe sur un immeuble de Nousseirat. — Agence France-Presse

Le port artificiel américain bientôt opérationnel

Un port artificiel construit par l’armée américaine pour faciliter la livraison d’aide humanitaire dans la bande de Gaza sera opérationnel « dans les prochains jours » après des retards dus aux conditions météorologiques, a fait savoir mardi le Pentagone. Face aux restrictions des livraisons d’aide par voie terrestre imposées par Israël au territoire palestinien, le président américain, Joe Biden, avait annoncé début mars la mise en place de cette structure provisoire. « Dans les prochains jours, je pense qu’elle sera opérationnelle », a déclaré mardi le porte-parole du Pentagone, Pat Ryder, sans donner de date précise. Des bâtiments de la marine américaine sont sur place pour faciliter l’opération. — Agence France-Presse

L’aide bloquée, l’Égypte et Israël se rejettent le blâme

L’Égypte et Israël se sont rejeté mardi la responsabilité du blocage de l’entrée de l’aide humanitaire par le point de passage de Rafah. L’armée israélienne mène depuis une semaine des incursions dans l’est de la ville – elle a pris le contrôle du côté palestinien du passage frontalier avec l’Égypte. Depuis, Le Caire refuse de coordonner l’entrée de l’aide dans la bande de Gaza. « Le monde fait porter à Israël la responsabilité de la situation humanitaire [à Gaza], mais la clé est désormais entre les mains de nos amis égyptiens », a dit lundi Israël Katz, chef de la diplomatie israélienne. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a quant à lui estimé que l’aide ne passait plus par Rafah en raison du « contrôle israélien ». — Agence France-Presse

Plus de la moitié des morts sont des femmes et des enfants, selon l’ONU

Les Palestiniens tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre sont au moins à 56 % des femmes et des enfants, selon une estimation de l’ONU. L’organisation a présenté ce chiffre mardi sur la base des données du ministère de la Santé du Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza. Cette explication en forme de mise au point intervient après que le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a une fois de plus attaqué l’ONU. Lundi, il lui a reproché de donner foi et crédit aux statistiques du mouvement islamiste palestinien. — Agence France-Presse

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