Analyse d’experts en Communication

Tôt ou tard, la politique retrouvera ses habitudes

Après l’« exercice de transparence » quotidien auquel se livre le trio Legault, Arruda et McCann depuis près de 40 jours, est-ce impossible de revenir à l’ancienne façon de faire de la politique ? Rien ne sera plus pareil, répète-t-on. Mais peut-être que si, au fond.

« Je ne sais pas si ça va changer beaucoup de choses », s’interroge le professeur et directeur du Département de science politique de l’Université Laval, Thierry Giasson.

Chaque jour depuis le 12 mars, le premier ministre du Québec, le directeur national de santé publique et la ministre de la Santé donnent un point de presse – la messe de 13 h du Québec confiné.

« La transparence est présente, mais c’est difficile de déterminer à quel point. En situation de crise, on ne peut pas tout dire. Il y a un exercice de parole tous les jours, mais jusqu’à quel point on révèle vraiment quelque chose à la population ? »

Spécialiste en communication politique, M. Giasson se demande « jusqu’à quel point on ouvre son jeu, on explicite l’ensemble des enjeux, des conséquences et des retombées dans ces points de presse ».

Les guillemets entourant l’expression ci-dessus « exercice de transparence » viennent de lui. Mais les trois experts consultés par Le Soleil sont formels : être transparent ne signifie pas tout dire et tout montrer.

Porter attention au flou

« La crise est toujours en cours, alors l’orientation que tout cela va prendre est encore susceptible de changer », analyse Josianne Millette, professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval.

Mme Millette estime qu’une étude ne pourra être réalisée avec justesse qu’après la crise, en la divisant en trois « chapitres », soit le déclencheur, la durée – où nous sommes actuellement – et la fin.

« La situation dans les CHSLD, notamment, ce n’est qu’a posteriori qu’on va pouvoir juger des choix qui ont été faits. »

— Josianne Millette, professeure de l’Université Laval

Mme Millette parle en connaissance de cause. La semaine dernière, sa grand-mère s’est éteinte dans un CHSLD, probablement des suites de la COVID-19. « Disons que je porte attention au flou. La communication interne dans certains réseaux semble poser problème », se contente-t-elle de faire remarquer.

Aussi professeur à l’Université Laval, politologue et ancien conseiller politique, Éric Montigny insiste pour dire que toute crise s’avère « un amplificateur de tendances qui existent déjà », « un révélateur de caractères » et un « accélérateur de réformes » déjà amorcées au gouvernement.

Le réseau de la santé sera le premier touché, la justice aussi.

M. Montigny prévoit que la crise du coronavirus forcera l’administration publique québécoise à publier davantage de données ouvertes en ligne, en temps réel, comme avec le nombre de cas et de décès de la COVID-19. En plus des tableaux et graphiques fournis par l’Institut national de santé publique du Québec sur l’évolution de la maladie.

Les leçons de la crise du verglas

À terme, on connaîtra ce que les autorités ont choisi de dire et, surtout, de ne pas dire.

Mme Millette cite en exemple la crise du verglas de 1998, dont la stratégie de gestion de crise du gouvernement alors mené par Lucien Bouchard inspire de façon manifeste celle du gouvernement Legault.

« Durant la crise du verglas, on avait décidé de ne pas parler de la baisse des réserves d’eau potable. On avait calculé le risque de créer de la panique et établi qu’on allait pouvoir rétablir le courant à temps. Un choix qui s’est révélé judicieux, mais on a su seulement après que ces questions-là s’étaient posées. »

« On peut présumer que c’est la même chose en ce moment », poursuit la spécialiste des relations publiques. « Il y a certainement des scénarios, des possibilités qui sont discutés. Mais c’est normal qu’on ne soit pas plusieurs millions à décider tous ensemble. »

Plus que les orientations fondamentales, les actions de communication privilégiées lors du verglas ont été imitées 22 ans plus tard, jusque dans le moindre détail.

« Une chose qui revient dans l’imaginaire, c’est le PDG d’Hydro-Québec André Caillé avec son col roulé ! Pour montrer qu’il était sur le terrain et qu’il y avait vraiment urgence. Ne pensez pas que c’est un hasard que, le samedi, le DArruda et M. Legault portent un chandail. Ce n’est pas parce que c’est samedi et qu’ils ont juste cinq vestons ! Il y a un choix là-dedans », fait valoir Mme Millette.

La tragédie de Lac-Mégantic, en juillet 2013, et celle de L’Isle-Verte, en janvier 2014, s’avèrent aussi des références quant à ce qu’il faut faire et ne pas faire en gestion de crise.

Comme en campagne

N’empêche que les objectifs des communications politiques demeurent les mêmes qu’avant, selon Thierry Giasson : informer et persuader.

« On essaie de persuader les gens à adopter des comportements sanitaires qui vont limiter la propagation d’un virus. En campagne électorale, on invite les électeurs à modifier leurs opinions pour adhérer à un projet politique. C’est la même démarche ! », constate-t-il.

Tôt ou tard, « on va revenir à une certaine normalité. On va avoir à voter dans des élections, à entendre ou à subir des campagnes électorales », poursuit-il.

Quand la joute parlementaire reprendra, « le gouvernement ne sera plus le seul à intervenir dans l’espace public », souligne-t-il. Les partis d’opposition devront par contre « trouver le bon ton, une façon d’interpeller le gouvernement, de poser des questions sans avoir l’air de miner l’action collective. On aura des discours moins acrimonieux. En ce moment, les gens ont besoin de sentir de la solidarité dans la classe politique aussi. »

Du moins, au début. Mais ça ne durera pas. « Dans quelques mois ou un an, si les choses reviennent à la normale, on se réadaptera à une communication politique plus conflictuelle, à Québec comme à Ottawa. Parce qu’il y aura une nouvelle échéance électorale », prédit M. Giasson.

En bref

Pêche au homard

Une saison à l’eau ?

Difficile de prédire si la saison de pêche au homard suivra son cours cette année en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine et dans l’est du Canada. Au cœur du dilemme : des enjeux économiques, mais aussi des préoccupations concernant les risques d’infection. Une quinzaine de conditions ont été déposées à la ministre fédérale des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, Bernadette Jordan. En Gaspésie, les homardiers ont repoussé le début de la capture au 9 mai au lieu du 25 avril. Même si Montréal représente un marché de prédilection, les États-Unis mènent la barque. On estime que 80 % des prises de l’est du pays sont envoyées sur le marché américain, actuellement inexistant. La sécurité est de mise pour les homardiers, qui voient difficilement comment les mesures de distanciation sociale peuvent être appliquées dans un bateau de moins de 30 pieds.

— Gilles Gagné, Le Soleil 

Mauricie–Centre-du-Québec

La région franchit le cap des 60 décès

La COVID-19 a maintenant fait 60 victimes sur le territoire du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Une morgue temporaire a même été aménagée dans un conteneur réfrigéré au CHSLD Laflèche. On compte 33 décès liés au coronavirus dans cet établissement de Shawinigan. Une lettre adressée au premier ministre François Legault, signée par la députée Marie-Louise Tardif, dresse un funeste portrait de la situation au CHSLD Laflèche, principal foyer d’éclosion de la région. Elle souligne notamment plusieurs problèmes d’hygiène et de salubrité, en plus de sonner l’alarme sur l’insuffisance d’équipements de protection adéquats. Mme Tardif demande que des inspections soient faites pour donner l’heure juste. Avare de commentaires, le CIUSSS MCQ affirme de son côté qu’une équipe s’est rendue sur place vendredi. 

— Gabriel Delisle, Le Nouvelliste

Estrie

Pas besoin des spécialistes dans les CHSLD

La situation est maîtrisée dans les CHSLD de la région, assure le CIUSSS de l’Estrie. À un tel point que les médecins spécialistes volontaires pour prêter main-forte ne seront pas mobilisés pour l’instant. Le CIUSSS n’exclut pas de les déployer en cas de besoin. D’ailleurs, l’appel à l’aide de Québec aux spécialistes est pris avec ambivalence chez certains spécialistes de la région, qui jugent ne pas être aptes à exécuter les tâches des préposés aux bénéficiaires. Il faut éviter de mettre à risque la santé de certains spécialistes, ce qui pourrait compromettre la reprise des opérations chirurgicales considérées « non urgentes », juge Guillaume Lafortune, neurologue à l’hôpital de Granby. Sherbrooke se place au sommet de la liste des villes les plus touchées en Estrie avec 254 cas vendredi. Le bilan à Granby est de 112 patients infectés alors que Bromont compte 30 cas.

— Jean-François Guillet, La Voix de l’Est

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