PME québécoises et main-d’œuvre

Il est temps de mettre un terme à l’injustice

L’auteur s’adresse au premier ministre du Québec, François Legault

Il y a deux ans, j’ai écrit une lettre ouverte intitulée « Les petites entreprises, les grandes oubliées »⁠1.

J’y ai démontré que le Québec défavorisait des petites entreprises en leur faisant payer l’impôt de la multinationale et en leur bloquant l’accès aux crédits d’impôt créés pour aider les PME vivant la pénurie de main-d’œuvre. Monsieur le Premier Ministre du Québec, je vous demandais alors de mettre un terme à cette injustice fiscale. Deux ans plus tard, non seulement l’injustice perdure, mais la situation est pire que jamais !

Si, par malheur, une personne décide ici de lancer son entreprise dans le secteur des services ou de la construction et qu’elle rémunère annuellement moins de 5500 heures (près de trois employés à temps plein), contrairement aux autres provinces canadiennes, le Québec lui refusera le taux d’impôt réduit pour PME.

Bon nombre de ces entreprises dépendent de facteurs indépendants qui ont un impact sur les heures rémunérées, notamment celles à caractère saisonnier. La diminution des heures de travail est parfois liée à des éléments extérieurs et incontrôlables. Pensons à un restaurateur ayant pignon sur rue pouvant subir une baisse de sa fréquentation à cause de travaux routiers municipaux majeurs qui peut décider de réduire ses heures d’activité. Ou bien à une entreprise de plomberie qui diminue ses heures dans une perspective de départ progressif vers la retraite. Que dire des restrictions économiques qui, depuis mars 2020, affectent à la baisse les heures rémunérées de nombreuses petites entreprises ?

D’ailleurs, votre gouvernement a apporté un ajustement dans le budget du 25 mars 2021 afin que les restrictions économiques ne fassent pas exploser l’imposition des petites entreprises déjà assujetties au taux d’impôt réduit. Et pour les autres ? L’écart a augmenté à 259 % parce que vous avez pris la bonne décision de baisser le taux d’impôt des PME pour le ramener au même taux que l’Ontario, malheureusement sans abolir le critère des heures rémunérées. Pour expliquer la diminution du taux PME, votre ministre des Finances a affirmé, lors du discours du budget : « Le gouvernement souhaite que nos petites entreprises deviennent moyennes et que nos moyennes entreprises deviennent de grandes entreprises québécoises. Nous leur donnons un coup de pouce à cette fin. » Nous sommes d’accord, mais pourquoi défavoriser encore les plus petites entreprises des secteurs des services et de la construction ?

Vous aimez vous comparer à l’Ontario. Je vous confirme que, comme dans toutes les autres provinces canadiennes, une telle injustice fiscale n’existe pas.

De plus, l’Ontario compte une plus forte part d’entreprises de moins de cinq employés que le Québec : 58,4 % des entreprises comparativement à 53 %. Il faut croire que notre province voisine n’a pas peur de miser sur ses plus petites entreprises pour stimuler sa croissance économique.

L’injustice fiscale unique au Québec fait mal. Pour un bénéfice de 150 000 $, on parle de 12 450 $ d’impôt de plus à payer ! Pourquoi ? Parce que l’entreprise n’a pas son siège social à l’ouest de la rivière des Outaouais ? Parce qu’elle n’est pas issue des secteurs manufacturier ou primaire ? Parce qu’elle n’a pas assez d’employés ? Sur ce dernier point, avec la pénurie de main-d’œuvre, la situation est encore plus difficile.

Main-d’œuvre et petites entreprises défavorisées

L’enjeu est tel que près de deux PME sur cinq au Québec doivent refuser des contrats ou des ventes. Pire encore, si l’enjeu persiste ou s’aggrave, ce sont 57 % des PME qui ne pensent pas survivre plus de quatre ans. Pourtant, l’accès au crédit d’impôt pour les travailleurs d’expérience – et pour les travailleurs ayant des contraintes sévères à l’emploi – impose la même barrière d’accès liée aux heures rémunérées dans les entreprises des secteurs des services et de la construction (5000 heures dans ce cas-ci, pour être précis). Sous ce seuil, elles ne peuvent pas bénéficier d’un remboursement pouvant atteindre 50 % de la part des cotisations salariales pour un employé âgé d’au moins 60 ans (jusqu’à concurrence de 1250 $ par employé) et d’un taux de 75 % pour un employé âgé d’au moins 65 ans (jusqu’à concurrence de 1875 $ par employé). Si l’entreprise tombe sous le seuil, le taux du crédit est facile à mémoriser : 0 % pour 0 $.

Pour résumer, un manque d’employés peut signifier une augmentation d’impôt ou la perte de crédits d’impôt liés à la pénurie de main-d’œuvre. On peut se demander comment il serait possible d’adopter des politiques plus défavorables à la petite entreprise.

Monsieur le Premier Ministre, je vais achever cette lettre ouverte avec les mêmes mots que celle que j’ai écrite le 16 février 2020 en espérant que, cette fois-ci, vous les entendrez :

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre des Finances et Monsieur le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, je vous fais la demande : veuillez faire cesser cette iniquité […] lors du dépôt du budget. Cela ferait une grande différence pour nos petites entreprises, créatrices d’emplois et de richesse dans toutes les régions du Québec.

1. Lisez la lettre « Les petites entreprises, les grandes oubliées »

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