« Contribution santé » pour les non-vaccinés

Québec fait marche arrière

Le projet de loi était prêt, mais il ne sera pas déposé. Face à la « grogne » et à la « division » dans la population, Québec laisse tomber l’idée d’une taxe santé pour les non-vaccinés. En réaction, les partis de l’opposition accusent le gouvernement d’avoir « tenté de faire diversion ». Sur une autre note, les gyms et les spas pourront rouvrir leurs portes le 14 février prochain, à leur grand soulagement.

« Contribution santé » pour les non-vaccinés

Legault recule pour préserver la « paix sociale »

Québec — Le premier ministre François Legault abandonne l’imposition d’une taxe ou d’une « contribution santé » aux non-vaccinés pour préserver la paix sociale, alors que l’« on voit la grogne grandir de jour en jour ».

Mardi, à l’occasion de la reprise des travaux de l’Assemblée nationale, François Legault a affirmé que le projet de loi sur cette taxe modulée selon le revenu (d’un minimum de 100 à 200 $ jusqu’à un maximum de 800 $ à 1000 $ selon les plus récentes informations) est « prêt », mais qu’il ne sera pas déposé afin de « faire avancer le Québec dans un climat social serein ».

« Cette annonce-là », faite le 11 janvier, « est venue diviser les Québécois », a-t-il reconnu en conférence de presse, en compagnie du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, et du directeur national de santé publique par intérim, le DLuc Boileau. Le caucus caquiste lui-même était divisé sur la question, ce qui a été relevé lors d’une réunion à huis clos pour préparer la session parlementaire à la fin de la semaine dernière.

« Il y a trois ou quatre semaines, on voulait évidemment mettre des incitatifs pour que plus de gens se fassent vacciner. Depuis trois semaines, la grogne est montée au Québec, et donc il faut tenir compte de ça. »

— François Legault, premier ministre du Québec

Il a également observé que les partis de l’opposition ont critiqué ce projet de taxe, en soulevant des enjeux d’éthique et d’équité. « Ça aurait amené un débat pas nécessairement constructif à l’Assemblée nationale », a-t-il soutenu. Son chef de cabinet, Martin Koskinen, disait pourtant sur les réseaux sociaux le 11 janvier que « le débat démocratique sur cette question va être passionnant », ajoutant que tout citoyen « a des droits, mais aussi des responsabilités ».

François Legault a fait valoir mardi que son rôle de premier ministre est à la fois d’assurer la sécurité de la population et de « protéger la paix sociale », de « rassembler les Québécois ».

« Quand on voit ce qui se passe dans notre société, et les médias sociaux, j’ai une inquiétude de voir les Québécois divisés », a-t-il déclaré. « La contribution santé aurait pu aider à être un incitatif pour certaines personnes » non vaccinées, mais dans la « balance » des avantages et des inconvénients, « c’est important de protéger la paix sociale et la cohésion sociale ».

Legault veut « tendre la main aux non-vaccinés »

De son côté, la Santé publique s’était gardée de prendre position formellement. Le DLuc Boileau avait refusé d’émettre une recommandation sur cette mesure, pendant que des directeurs régionaux avaient exprimé des critiques. « Il s’agit d’une mesure économique, et moi, je préfère ne pas commenter les mesures économiques. Ça ne relève pas de l’expertise de la Santé publique », expliquait le DBoileau.

Le gouvernement plaidait jusqu’à maintenant que l’imposition d’une taxe aux non-vaccinés avait pour objectif non seulement de les inciter à retrousser leur manche, mais de répondre à la grogne des personnes vaccinées.

Or, aujourd’hui, pour François Legault, « c’est le temps de rebâtir les ponts entre les Québécois ». Il a invité tout le monde à « mettre un peu d’eau dans son vin ». Pour convaincre les non-vaccinés de tendre le bras, il mise sur la méthode douce déployée depuis quelques jours par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. « Je veux tendre la main aux non-vaccinés », a-t-il dit dans un changement de ton évident.

« Je comprends certaines personnes qui ne voient pas ça d’un bon œil de se faire vacciner, d’avoir un produit dans leur corps même si les experts sont à peu près unanimes [qu’]il n’y a à peu près pas d’effets secondaires. Des centaines de millions de doses ont été données dans le monde, et ça a été testé. »

« Les chiffres sont très clairs : si vous n’êtes pas vaccinés, vous avez beaucoup plus de chances de vous retrouver à l’hôpital et de mourir de la COVID. »

— François Legault, premier ministre du Québec

Une personne non vaccinée à l’hôpital « prend la place d’un autre patient » ; donc sa décision n’est pas strictement « personnelle », il y a un enjeu de « solidarité », a ajouté le premier ministre.

Des opposants aux mesures sanitaires promettent de « jammer » Québec dès la fin de semaine en organisant des convois comme ceux qui ont convergé vers Ottawa (voir autre texte en écran 11). Ils ont le droit de s’exprimer et de manifester, mais « ça doit être fait dans le respect, pas avec des symboles haineux. On espère que ça va se faire dans le respect », a réagi François Legault.

Autres assouplissements

Le premier ministre a confirmé la reprise des activités sportives et artistiques pour les adultes, jusqu’à un maximum de 25 personnes par groupe, tout comme la réouverture des gyms et des spas, à 50 % de leur capacité, le 14 février. « On doit faire un pas de ce côté-là », afin de contribuer à la « santé mentale » des Québécois qui sont « tannés » de cette pandémie, a-t-il expliqué.

« Ce qu’on espère, c’est d’être capables d’annoncer d’autres assouplissements dans les prochaines semaines, mais en même temps, on ne peut pas faire de miracles. Vous voyez comme moi la situation dans nos hôpitaux, on ne peut pas prendre trop de risques. Il faut penser aux employés [et] à tous les Québécois qui attendent pour une chirurgie qui [a été] reportée. »

Il a réitéré qu’une hausse du taux de vaccination permettrait « d’accélérer le déconfinement ». C’est insuffisant que seulement 61 % des adultes aient reçu une troisième dose, a-t-il souligné.

Une mêlée de presse du Dr Boileau sème la confusion

Les minutes qui précèdent la période des questions sont le théâtre de frénétiques mêlées de presse à l’Assemblée nationale. L’une d’elles a créé une certaine confusion, mardi, alors que le directeur national de santé publique par intérim, le Dr Luc Boileau, s’est présenté après son point de presse dans le corridor où les correspondants parlementaires sont rassemblés. Alors qu’il était questionné au sujet de la dose de rappel du vaccin contre la COVID-19, l’attachée de presse du ministre de la Santé et des Services sociaux, Marjaurie Côté-Boileau – qui est aussi la fille du Dr Boileau –, s’est précipitée pour interrompre son père. Elle l’a invité à quitter le corridor pour retourner au bureau du premier ministre. Le nouveau directeur national de santé publique, qui se dit indépendant des cabinets politiques depuis sa nomination, n’a pas écouté cette recommandation et a répondu aux questions. En temps normal, Mme Côté-Boileau n’anime pas les points de presse et les évènements médiatiques impliquant son père. Le Dr Boileau s’est défendu devant les journalistes d’avoir changé de position au sujet du délai de la troisième dose pour les personnes doublement vaccinées ayant contracté la COVID-19.

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

Québec TRAITE LES CITOYENS COMME DES « valises », SELON L’opposition

Québec — Les partis de l’opposition accusent François Legault de s’être comporté comme un joueur de poker qui a « bluffé avec la gestion de crise » en lançant l’idée d’imposer une contribution santé aux Québécois non vaccinés. L’objectif du premier ministre, affirment-ils, était de camoufler sa gestion « chaotique » de la cinquième vague de la pandémie.

Le chef du Parti québécois (PQ), Paul St-Pierre Plamondon, accuse le premier ministre d’avoir lancé dans l’espace public une « bébelle » et d’avoir été « irrespectueux de l’intelligence des gens » afin de camoufler les mesures sanitaires confuses imposées pendant le temps des Fêtes.

« On a un premier ministre qui prend sa population pour des valises. […] Le premier ministre joue avec la confiance des gens [et] c’est inacceptable. C’est de la manipulation de l’opinion publique et il faut que ça cesse. »

— Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Du côté de l’opposition officielle, la cheffe libérale Dominique Anglade accuse elle aussi François Legault de traiter les Québécois comme des « valises » et de les avoir « niaisés » pendant près d’un mois avec son idée « irréfléchie [et] irresponsable ».

« C’est un gouvernement qui a tenté de faire diversion, qui a tenté de ne pas répondre aux questions alors qu’il avait complètement perdu le contrôle. [Ils ont] proposé quelque chose qui était irréfléchi et maintenant, ils se rendent compte dans les sondages que ce n’est pas l’idée du siècle », affirme Mme Anglade.

« De l’incompétence », selon QS

Le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, accuse pour sa part François Legault d’avoir inventé une « patente à gosses » avec sa contribution santé et de gouverner le Québec sur la base de « son humeur [du] jour » et des « coups de tête ».

« Sur quoi se base François Legault quand il prend des décisions ? Le premier ministre du Québec nous doit de sérieuses explications », dit M. Nadeau-Dubois, affirmant que ce débat sur la contribution santé était « broche à foin » et qu’il relevait tout simplement « de l’incompétence ».

Au premier jour de la rentrée parlementaire, mardi, les partis de l’opposition craignaient que le débat avorté entourant l’imposition d’une contribution santé ait pu miner la confiance de la population envers les mesures sanitaires.

« Ce n’est pas normal qu’au Québec, on soit parmi les juridictions au monde qui sont les plus confinées, alors qu’on est les plus vaccinés, et le minimum est de cesser de jouer avec les émotions des gens […] et d’arriver avec un plan rigoureux [de déconfinement] », affirme le chef du PQ, Paul St-Pierre Plamondon.

Le 11 janvier dernier, lorsqu’il avait annoncé en point de presse que le Québec imposerait une contribution santé aux non-vaccinés, François Legault avait défendu l’idée en affirmant que « les personnes qui refusent de se faire vacciner amènent un fardeau sur le personnel et un fardeau financier important pour la majorité des Québécois ».

« Tous les adultes au Québec qui n’accepteront pas d’aller chercher au moins une première dose au cours des prochaines semaines auront une facture à payer parce qu’il y a des conséquences sur notre réseau de la santé et ce n’est pas à l’ensemble des Québécois à payer pour ça », avait-il déclaré.

Réouverture des gyms et des spas

« Un grand soulagement »

Gyms et spas se sont réjouis mardi de leur réouverture prochaine, estimant avoir été écoutés par le gouvernement.

« On est vraiment contents. On se doutait qu’on allait être les prochains, mais tant qu’il n’y a pas de date officielle, on reste toujours dans le doute », dit Amandine Perrotte, propriétaire du Crossfit Minotaure à Sainte-Julie.

Nombreux sont ceux qui attendent avec impatience la réouverture des gyms et des établissements de spa, et la pression se faisait de plus en plus forte sur le gouvernement Legault.

« On est très contents de voir que toutes nos demandes ont porté leurs fruits. On sait qu’on a été entendus », dit Gabriel Hardy, kinésiologue, propriétaire du gymnase Le Chalet et leader provincial du Conseil canadien de l’industrie du conditionnement physique.

Le Conseil avait demandé au gouvernement du Québec de la prévisibilité, ce qu’il a obtenu. Les gyms n’ouvriront que le 14 février.

« On est très heureux. Ça va nous donner deux semaines pour tout remettre en place et recommencer le service. »

— Gabriel Hardy, propriétaire du gymnase Le Chalet, à Québec

Lors de la fermeture du 20 décembre dernier, les propriétaires avaient été avisés quelques heures à l’avance seulement. « La conférence avait eu lieu à 13 h l’après-midi et on nous annonçait qu’on fermait à 17 h le soir même. C’était vraiment inattendu », se remémore Georges Valade, propriétaire du Gym du Plateau et du Gym St-Henri.

Les spas se réjouissent eux aussi

L’Association québécoise des spas (AQS) se réjouit aussi de cette réouverture. « C’est un grand soulagement. Nous sommes très contents d’avoir enfin une date de réouverture », dit la présidente et directrice générale de l’Association québécoise des spas, Véronyque Tremblay.

« On peut commencer à rappeler nos employés et notre personnel. Je pense que l’ensemble des propriétaires des établissements de spa sont bien contents de cette nouvelle. »

— Véronyque Tremblay, présidente et directrice générale de l’Association québécoise des spas

L’Association s’est dite heureuse que sa voix ait été entendue. « Depuis le début de la pandémie, on se sent toujours un peu oubliés. On est toujours parmi les premiers à être fermés et les derniers à rouvrir », indique Mme Tremblay. Mardi, elle a eu l’impression que le gouvernement avait enfin compris la nature de leurs activités.

Elle se réjouit que les établissements de spa puissent rouvrir pour la Saint-Valentin, qui représente une partie importante de la haute saison hivernale pour l’industrie. « On souhaite que les amoureux s’offrent des cartes cadeaux ou viennent visiter les spas dans les prochaines semaines », dit-elle.

Clientèle au rendez-vous ?

Malgré la fermeture des spas et des saunas, les soins personnels étaient toujours permis au sein des établissements. « Par contre, le chiffre d’affaires avait diminué de beaucoup, parce que la clientèle souhaite profiter de l’expérience complète, dont les bains à l’extérieur », indique Mme Tremblay.

Elle s’attend à ce que la clientèle soit au rendez-vous le 14 février. « Les clients étaient tellement nombreux à avoir hâte de retourner dans nos installations », dit-elle.

Les propriétaires de gym craignent toutefois que certains de leurs clients et de leurs employés ne soient pas de retour. « Il y a plusieurs entraîneurs qui ont changé d’emploi ou qui ont choisi de travailler plus d’heures pour un autre emploi », dit Mme Perrotte.

« On a des industries qui sont passablement amochées, qui ont perdu énormément d’argent, énormément de professionnels et énormément de clients dans les deux dernières années », renchérit M. Hardy. Selon lui, le défi des prochaines semaines sera de regagner la confiance de la clientèle et des professionnels.

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