Éditorial COVID-19

Un appel à l’humanité des banques

Le temps est venu de faire appel à l’humanité des banques.

Ne riez pas.

Ce n’est pas impossible. Ça se pourrait.

S’il y a une chose que la crise actuelle nous apprend, c’est à élargir les œillères de notre « réalisme ». Jour après jour, on voit des choses auparavant irréalistes s’accomplir soudainement, tout simplement parce qu’on a trouvé la volonté de les faire.

Pourquoi les banques ne pourraient pas donner un petit répit à ceux qui en arrachent ?

Et si les grandes institutions financières s’y refusent, le gouvernement fédéral devrait les forcer à offrir un peu d’oxygène à la population.

Elles pourraient : 

 – Réduire les taux d’intérêt sur leurs cartes de crédit, qui avoisinent les 20 %. D’autant que ce taux est resté stable malgré les trois baisses du taux directeur de la Banque centrale cette année, comme l’a rappelé mardi notre collègue Stéphanie Grammond.

 – Abolir les frais pour chèques ou paiements préautorisés sans provisions, ou pour les demandes d’arrêt de paiement.

 – Cesser de hausser le taux d’intérêt quand un client ne paye pas le solde minimal.

 – Cesser de facturer les clients qui dépassent leur nombre limite de transactions par carte bancaire. En effet, puisque certains commerces refusent l’argent comptant, la carte devient nécessaire. Cela pénalise les gens aux revenus modestes, qui n’ont pas un forfait avec transactions nombreuses ou illimitées.

 – Faciliter l’accès aux petits prêts. Il est difficile d’obtenir un prêt personnel pour une petite somme, par exemple de 10 000 $ ou moins. Les clients sont dirigés vers les cartes de crédit. Pire, certains vont recourir aux prêteurs parallèles et leurs pratiques quasi usuraires. Pourtant, avec un taux actuel d’environ 12 à 14 %, les petits prêts demeurent payants pour les institutions financières.

Il est vrai que les institutions financières proposent maintenant à leurs clients de reporter le paiement mensuel de leur hypothèque ou de leur carte de crédit. Par contre, les intérêts continuent de s’accumuler. Même quand elles aident, elles réussissent à en tirer un profit.

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Pourquoi cibler ainsi les banques ? Parce qu’elles ont un rôle unique à jouer auprès des gens en détresse financière et parce qu’elles ont les moyens de le faire.

De 2013 à 2018, l’actif net des sociétés du secteur bancaire est passé de 214 à 318 milliards. Cela leur fait un petit cochon bien dodu.

Les banques pourraient rétorquer qu’elles apportent déjà leur contribution grâce aux impôts.

Vrai, si on cherche des géants qui abritent des milliards dans les paradis fiscaux, il faut accuser les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Ce sont eux qui échappent à l’impôt. Ce sont eux qui financent peu ou pas nos services publics, comme le rappelle Brigitte Alepin, professeure en fiscalité à l’Université du Québec en Outaouais et cofondatrice de TaxCOOP.

N’empêche qu’avec les différentes déductions fiscales, les banques payent un taux d’imposition qui n’est pas énorme. Selon les calculs de Mme Alepin, entre 2013 et 2018, leur taux d’imposition effectif (après déductions) était en moyenne égal ou inférieur à celui des PME.

Même si le gouvernement fédéral dit réfléchir au dossier, on sent un malaise. « Les banques vont continuer d’agir de façon commerciale », a prévenu il y a quelques jours le ministre des Finances, Bill Morneau.

Or, la crise rappelle que le marché ne suffit pas à régler certains problèmes collectifs. Surtout quand ce marché est dominé par des géants qui offrent différentes versions d’un choix fort semblable. La loi de l’offre et de la demande a parfois le dos large…

L’État peut édicter d’autres normes si cela permet d’éviter des drames humains. D’autant plus qu’on ne demande pas aux institutions financières de se saigner.

Ce qui leur est demandé, c’est simplement de réduire leur appétit pendant que d’autres ont faim.

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