Trop peu de médecins d’urgence au Québec ?

Le problème du débordement des urgences dans le secteur de la santé au Québec ne date pas d’hier. Et fort heureusement, la pandémie a eu pour effet d’étendre la prise de rendez-vous par internet pour les urgences mineures.

Il reste que la publication d’un rapport en mars 2021 a piqué ma curiosité au sujet de la médecine d’urgence. Le rapport en question, publié par le Secrétariat du Conseil du trésor du Québec, compare certains éléments du système de santé québécois à ceux des systèmes des autres provinces, notamment la rémunération des médecins spécialistes, dont j’ai déjà traité partiellement récemment.

Outre la rémunération, le rapport comprend une foule d’éléments intéressants, notamment sur la santé des Québécois, la migration de nos médecins vers l’étranger, mais aussi le nombre de médecins spécialistes par catégorie.

Or voilà, le Québec compte sur l’équivalent de 136 médecins d’urgence à temps plein, selon les données du rapport, ce qui correspond à seulement 12,7 % du total canadien. Comme le Québec compte 22,5 % de la population canadienne, notre proportion de médecins d’urgence serait donc deux fois plus petite qu’ailleurs, environ.

Autre point de comparaison : les médecins d’urgence du Québec représentent 2 % du total de nos médecins spécialistes, alors que cette proportion est de 4,4 % ailleurs. Les données du rapport, publié en mars 2021, datent de 2017, soit l’année de la comparaison de la rémunération, mais ce genre de données ne change pas rapidement.

Bref, se peut-il que nos débordements s’expliquent en partie par la trop faible proportion de médecins qui se consacrent spécialement aux urgences ?

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) n’est pas étonnée par ce constat. « C’est plus bas qu’ailleurs, effectivement, et on demande d’avoir plus de médecins d’urgence », me dit Anne-Louise Chauvette, directrice des communications de la FMSQ.

Une hausse du nombre de médecins d’urgence ne réglerait toutefois pas le problème sans l’ajout de personnel infirmier, dit-elle. Et diverses raisons viennent tempérer ce constat de faible proportion de médecins d’urgence, m’indique la FMSQ.

D’abord, au Québec, la médecine d’urgence n’a pas été reconnue par le Collège des médecins du Québec avant 1999, soit plus tard qu’ailleurs. Avant, cette spécialité était souvent pratiquée par des omnipraticiens, aussi appelés médecins de famille.

Bien souvent, en raison des obligations familiales, les omnipraticiens retournaient à la médecine familiale, moins exigeante.

Justement, comme la médecine d’urgence est encore pratiquée de nos jours au Québec par certains omnipraticiens ou encore appuyée par d’autres spécialistes (gynécologues, etc.), le dénombrement officiel des médecins d’urgence serait sous-estimé par rapport au reste du Canada, selon Mme Chauvette.

Autre raison : l’attrait des hôpitaux des grands centres urbains pour les médecins d’urgence. « Ce genre de médecins carbure aux défis, avec de grands hôpitaux, ce qui explique que certains quittent le Québec pour Toronto, par exemple », dit Mme Chauvette.

Médecins qui migrent ailleurs

Justement, le rapport traite de la migration des médecins québécois vers les autres provinces ou autres pays, de même que l’attrait du Québec pour les médecins d’ailleurs. Pour la migration interprovinciale, le rapport a examiné les données de 2016 et 2017, tandis que pour l’étranger, l’analyse porte sur les années 2013 à 2016.

En 2016, donc, 48 médecins spécialistes arrivant des autres provinces sont venus pratiquer au Québec, alors que 63 ont quitté le Québec pour les autres provinces. Les entrées et sorties sont faites essentiellement entre le Québec, d’une part, et l’Ontario et la Colombie-Britannique, d’autre part. Bref, perte nette de 15 médecins en 2016.

En 2017, tendance inverse : 30 sont venus s’installer au Québec et 21 sont partis, pour une entrée nette de 9 médecins spécialistes.

À l’étranger ? Entre 2013 et 2016, il y a eu une entrée nette de 19 médecins spécialistes venant des États-Unis et une sortie nette de 9 médecins vers d’autres pays.

En somme, durant les années entourant la renégociation de la rémunération des médecins, la migration nette des spécialistes a été somme toute assez faible, soit moins de 1 % des quelque 10 500 médecins spécialistes au Québec.

Le rapport affirme que « la rémunération et les préférences culturelles et personnelles peuvent exercer une influence importante sur leur mobilité, en particulier entre provinces ou pays voisins ».

À voir les chiffres, il est difficile de prétendre que la migration des spécialistes soit un problème et donc que la rémunération soit un facteur à cet égard, dans un sens ou dans l’autre.

Au Québec, un médecin d’urgence à temps plein avait une rémunération brute de 415 295 $ en 2017 (avant soustraction des frais de bureau et autres), soit 30 % de plus qu’ailleurs au Canada (320 342 $).

En moyenne, l’ensemble des divers types de médecins spécialistes recensés dans l’étude touchaient une rémunération brute de 438 968 $ en 2017, si l’on s’en remet à la méthode « équivalent temps plein » du rapport. Il s’agit d’un niveau comparable à la rémunération ailleurs au Canada (433 911 $).

Dans sa récente analyse de la question, rappelons-le, le vérificateur général du Québec estimait que les médecins spécialistes du Québec gagnaient en 2017 environ 11 % de plus que ne le prévoient les paramètres clefs sur la question. Ces paramètres tiennent compte de la comparaison avec les autres provinces, à travail égal, mais aussi du coût de la vie.

Parmi les quelque 25 médecins spécialistes recensés dans le rapport, ce sont les spécialistes en ophtalmologie (maladies de l’œil) qui gagnaient le plus en 2017 (770 232 $), comme ailleurs au Canada, essentiellement. Les chirurgiens cardiovasculaires (584 000 $) et les cardiologues (575 000 $) suivaient.

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