environnement

Après des années d'attente, Québec a présenté mardi un plan de protection partiel du caribou qui s'est attiré les critiques de nombreux observateurs. Des experts recommandent quant à eux une révision majeure du cadre législatif québécois pour protéger les espèces menacées.

Protection des caribous forestiers et montagnards

Québec accouche d’un plan partiel

Québec mettra sur pied des « projets pilotes » visant à protéger les caribous forestiers de Charlevoix et des caribous montagnards de la Gaspésie, reléguant à plus tard l’adoption de mesures de protection de la dizaine d’autres hardes de caribous de la province, un plan jugé incomplet, décevant et incertain par divers observateurs.

La stratégie québécoise de rétablissement et de protection du caribou, promise depuis 2016 et reportée à de nombreuses reprises, fait donc place à « un plan régionalisé », ont annoncé mardi à Sainte-Anne-des-Monts le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, et la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina.

Les hardes de la Gaspésie et de Charlevoix sont « particulièrement vulnérables » et ces régions « n’ont pas subi de plein fouet les impacts des feux de forêt de l’été dernier, qui étaient catastrophiques », a justifié le ministre Charette.

Mais Québec n’a « pas de calendrier précis » pour adopter de mesures de protection du caribou ailleurs dans la province, a-t-il reconnu.

« Je ne suis pas en mesure de dire si c’est dans un an, dans deux ans ou davantage. »

— Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

Prévisibilité

Les deux projets pilotes annoncés mardi pour la Gaspésie et Charlevoix consistent à restaurer des habitats prioritaires du caribou, à assurer la protection légale des territoires ciblés, à y encadrer les activités et les usages, à assurer un contrôle des prédateurs et à accentuer le suivi des populations, une approche qui a pour but d’offrir de la « prévisibilité » aux acteurs économiques de ces régions, a déclaré le ministre Charette.

Québec veut protéger le caribou sans mettre l’ensemble de son habitat sous une « cloche de verre [qui] viendrait geler le territoire », a-t-il expliqué, illustrant que le gouvernement « n’a pas interdit d’aller à Tadoussac pour voir des baleines », ce qui n’empêche pas de leur assurer une protection.

La superficie et les limites des territoires visés par les projets, leur localisation exacte et les modifications réglementaires envisagées feront l’objet de consultations jusqu’à la fin de juillet auprès des communautés concernées et des Premières Nations.

Ces consultations vont « permettre de mieux comprendre comment protéger l’espèce tout en contribuant à nos activités économiques », a déclaré la ministre Blanchette Vézina.

Les mesures à prendre sont pourtant connues depuis longtemps, rappelait en 2022 la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, qui concluait à l’« urgence d’agir ».

« La première, première cause du déclin du caribou, c’est la perte d’habitat causée par l’activité humaine, ça, on ne peut pas le nier », a d’ailleurs rappelé le ministre Charette.

Ultimatum d’Ottawa

L’annonce de Québec intervient à la veille de la date butoir fixée par Ottawa, qui a menacé d’intervenir unilatéralement pour protéger le caribou si Québec ne présentait pas de plan avant le 1er mai.

« Ce n’est pas du ressort du gouvernement canadien de s’immiscer dans ce dossier-là », a déclaré mardi le ministre Charette, invitant Ottawa à contribuer au financement des mesures proposées par Québec.

Le gouvernement fédéral avait déjà proposé un tel financement, mais exigeait de voir les propositions de Québec avant de verser quoi que ce soit.

« Ces discussions pourront continuer une fois les plans évalués », a réitéré mardi le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, déplorant au passage l’absence de « plusieurs éléments névralgiques » du plan de Québec, notamment sur l’engagement de réduire le taux de perturbation dans l’habitat du caribou à un maximum de 35 %.

« L’annonce [de mardi] est silencieuse sur plusieurs populations de caribou. Le gouvernement du Québec doit publier une stratégie pour l’ensemble des populations de caribou boréal au Québec, y compris des mesures intérimaires immédiates. »

— Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Vives critiques

Le plan proposé par Québec est « un exemple flagrant de l’inefficacité du cadre législatif du Québec », a jugé la biologiste Fanie Pelletier, professeure à l’Université de Sherbrooke et membre du Comité de conseillers sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables du Québec.

« Le gouvernement n’étant légalement pas tenu de respecter des échéances prédéterminées pour mettre des mesures de conservation efficaces, ce genre de ralentissement semble la norme sans que le ministre ne soit imputable », affirme Mme Pelletier, autrice principale d’une étude sur la question, publiée mardi.

Le professeur en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) Martin-Hugues St-Laurent parle d’une stratégie « timide, dans la foulée du statu quo, et dont l’efficacité réelle à contribuer au rétablissement [du caribou] reste à démontrer avec des analyses sérieuses ».

Le plan présenté « est un devoir incomplet remis en retard », a asséné la biologiste Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec, saluant la volonté du gouvernement de restaurer l’habitat des caribous de Charlevoix et de la Gaspésie, mais déplorant l’absence de mesures pour les autres hardes.

Chute marquée des caribous en Gaspésie

La population de caribous de la Gaspésie a chuté du tiers en deux ans, montre le plus récent inventaire du gouvernement, publié mardi. D’une population de 37 à 40 bêtes en 2021, la harde est passée à une population de 23 à 25 bêtes en 2023, indiquent les données gouvernementales. Québec a d’ailleurs procédé à la capture et à la mise en enclos de 13 caribous, dont 10 femelles, en février, afin de les protéger en prévision de la période de mise bas, ce printemps. Le nombre de femelles gestantes serait inconnu pour l’instant. Une telle opération avait aussi été menée l’an dernier, mais aucun des deux faons nés en captivité n’avait survécu et une femelle était morte.

Projet reporté à Val-d’Or

Le projet de Québec d’augmenter la population de caribous de Val-d’Or en y ajoutant six caribous capturés dans le Nord-du-Québec est reporté d’un an. La « supplémentation » de cette harde vivant en captivité depuis 2020, annoncée au début de mars, a été mise sur la glace « à la suite d’échanges avec divers partenaires du milieu […] afin de poursuivre les discussions pour mieux intégrer leurs préoccupations et consolider le projet », a indiqué sans autre détail Ève Morin Desrosiers, porte-parole du ministère de l’Environnement. La population de caribous de Val-d’Or compte neuf bêtes, dont trois nées au cours des trois dernières années.

De 23 à 25

Estimation de la population de caribous de la Gaspésie en 2023

De 700 à 1500

Estimation de la population de caribous de la Gaspésie en 1950

Source : ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

5252

Estimation de la population de caribous forestiers au Québec

Source : Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards

Protection des espèces en péril

Des experts demandent à Québec une refonte majeure

Manque de transparence, absence d’« imputabilité », lois désuètes et volonté politique presque inexistante. Les scientifiques qui conseillent le ministre de l’Environnement pour assurer la protection des espèces menacées recommandent une révision majeure du cadre législatif québécois, devenu carrément inefficace.

Une critique sévère

Cinq des six membres du Comité aviseur sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables du Québec viennent de publier un article dans la revue scientifique FACETS, publication officielle de la Société royale du Canada. Le texte critique sévèrement les nombreux échecs du gouvernement du Québec à protéger ses espèces menacées et propose « neuf recommandations urgentes afin de rendre plus efficaces les efforts de conservation des espèces en situation précaire sur le territoire québécois ». Les signataires sont Fanie Pelletier, Pierre Dumont, Joanie Van de Walle, Daniel Jauvin et David Rodrigue, tous nommés par le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, en 2022.

« Rien n’a changé »

Pour le biologiste David Rodrigue, ce texte dans FACETS, et ses neuf recommandations, est en quelque sorte une ultime tentative pour faire bouger les choses au gouvernement du Québec. Malgré quelques annonces faites par Québec au moment de la COP15 sur la biodiversité, qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022, il juge qu’il y a toujours une absence de volonté politique pour protéger les espèces vulnérables. Il y a aussi un cadre législatif inefficace que le gouvernement Legault semble peu pressé de moderniser, souligne-t-il. « On a exposé quelques problèmes publiquement en 2022 et le gouvernement a réagi. Mais on est revenus au même point, on n’a rien changé dans le fond », constate David Rodrigue.

Des problèmes de transparence et d’« imputabilité »

« Trois des principaux obstacles à la protection des espèces sauvages en situation précaire au Québec sont l’absence de transparence, la lenteur du processus de désignation et le manque d’imputabilité du ou de la ministre responsable face aux décisions relavant de ce processus », écrivent les auteurs de l’article intitulé « Cadre législatif québécois pour la protection des espèces sauvages en situation précaire : évaluation, critique et recommandations pour une révision majeure ». Alors qu’au fédéral, les recommandations des comités chargés de conseiller le gouvernement sont publiques, le processus est totalement opaque au Québec. Les recommandations du comité sont transmises au sous-ministre responsable, qui peut les accepter ou les refuser sans aucune justification ni communication publique, signale-t-on.

S’inspirer du modèle fédéral

Si la première recommandation des scientifiques vise la transparence, la deuxième s’attaque au manque de responsabilité du ministre. En effet, le ministre Benoit Charette n’a actuellement aucune obligation de désigner officiellement une espèce comme menacée ou vulnérable après une recommandation de son comité. Au fédéral, le ministre responsable a neuf mois pour rendre sa décision, faute de quoi la recommandation du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) est officiellement déployée. Des délais légaux plus stricts sont aussi requis au Québec pour la désignation des espèces, plaide-t-on. On suggère d’ailleurs une révision en profondeur de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et des règlements qui en découlent.

Un « contraste majeur » entre Québec et Ottawa

Selon David Rodrigue et Fanie Pelletier, professeure au département de biologie de l’Université de Sherbrooke, la transparence est l’élément clé de toute réforme des mécanismes de protection des espèces menacées au Québec. « Je siège au COSEPAC depuis plusieurs années et il y a un contraste majeur entre Québec et le fédéral », affirme Mme Pelletier. Mais Québec pourrait rapidement changer la donne côté transparence, avance-t-elle. « On n’a pas besoin de changer la loi pour ça. Ça pourrait arriver dès demain avec une volonté politique. » Pour les deux experts, la suite des choses risque d’influencer leur décision de continuer ou non leur travail au comité consultatif. « Si rien ne change, ils vont avoir de la misère à trouver du monde [pour siéger au comité] », affirme Fanie Pelletier.

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