La vie sans Brendan Gallagher
Toronto — La question, posée en matinée, était à la fois lumineuse et précise : quelle dimension de Brendan Gallagher sera la plus difficile à remplacer ? Ses qualités offensives ou son cœur à l’ouvrage ?
Dominique Ducharme n’a pas hésité longtemps : « L’énergie qu’il apporte », a répondu l’entraîneur-chef au journaliste Marc Antoine Godin, d’Athlétique.
« C’est dans sa nature », dans son ADN, a énuméré Ducharme. « C’est un intangible dur à remplacer. »
À quelques heures de la rencontre opposant son équipe aux Maple Leafs de Toronto, mercredi, l’entraîneur aurait sans doute préféré se tromper. Car à certains moments du match, qui s’est soldé par une défaite de 3-2 du Tricolore, ses propos ont pris des airs de prophétie.
Gallagher, rappelons-le, a subi une fracture à un pouce qui lui fera manquer le reste de la saison et possiblement le début des séries éliminatoires. Il a d’ailleurs été placé sur la liste des blessés à long terme, mercredi.
En son absence, c’est une équipe complètement éteinte qui s’est présentée au Scotiabank Arena. Auston Matthews, qui se fait toujours un malin plaisir de malmener le Canadien, ne s’en est pas privé en marquant dès la première minute. Même si les visiteurs ont rapidement répliqué, les Leafs n’en ont pas moins dominé l’engagement, presque sans partage.
Ça s’est franchement replacé en deuxième, alors que les Montréalais ont bombardé le filet défendu par le nouveau recordman Jack Campbell. Mais au dernier vingt, pourtant amorcé à égalité 1-1, les mauvaises habitudes sont revenues et Toronto en a profité pour se donner une avance de deux buts.
Le manque d’émotion n’a jamais été aussi flagrant qu’au cours d’une supériorité numérique amorcée avec quelque 8 minutes à jouer. Le Canadien n’a même pas obtenu un tir, alors qu’il avait un retard à combler. Disons, pour faire court, que la proverbiale énergie de Gallagher n’aurait pas été de trop.
Ducharme a avancé qu’il faudrait que ses hommes se serrent les coudes pour combler la perte du teigneux attaquant, car « on va avoir une vingtaine de matchs à jouer comme ça », a-t-il rappelé.
Par contre, il n’attribue pas le faux départ à une « question d’émotions », mais bien au fait que ses troupiers étaient « moins actifs, trop spectateurs ». « Ce n’est pas un joueur qui aurait tout changé ça », a-t-il ajouté.
Le gardien Jake Allen, à qui ses coéquipiers doivent une fière chandelle pour les avoir gardés dans le coup jusqu’à la fin, a tenu le même genre de discours.
Selon lui, attribuer la défaite à l’absence de Gallagher serait trop court. « C’est une excuse », a-t-il tranché.
« Il va nous manquer beaucoup, a convenu Allen. C’est le cœur et l’âme de cette équipe. Mais on doit trouver le moyen de gagner et le faire en groupe. C’est une chance pour les gars de se lever et de remplir ses chaussures jusqu’à ce qu’il revienne. »
Autour du filet
Parlant des chaussures de Gallagher, il y a aussi celles de l’ailier droit à remplir. Et, par le fait même, celles du marqueur de 30 buts.
À sa première audition à la droite de Phillip Danault et Tomas Tatar, Jesperi Kotkaniemi a fait bonne impression. Ce trio avait l’ingrate tâche de contenir celui de Matthews, et hormis quelques séquences plus difficiles, il s’est plutôt bien acquitté de sa mission.
Là où l’absence du numéro 11 s’est possiblement fait le plus sentir, c’est autour du filet adverse. À l’exception de Corey Perry, un habitué des lieux, Campbell n’a pas reçu beaucoup de visiteurs à proximité de son demi-cercle.
En deuxième période, le Canadien a dirigé 31 rondelles vers lui à cinq contre cinq. C’est énorme, et cela témoigne d’une domination en possession de rondelle.
Pourtant, selon le site de statistiques avancées Natural Stat Trick, le Tricolore n’a obtenu qu’une seule chance de marquer de grande qualité au cours de ces 20 minutes. Une.
Le même site fournit une schématisation de la provenance des tentatives de tir. Après 40 minutes, ça ressemblait à ceci :
Explication sommaire : les joueurs en blanc ont dramatiquement échoué tant à décocher des tirs de l’intérieur des points de mise au jeu qu’à sauter sur leurs retours.
Exprimé autrement : le pain et le beurre de Gallagher.
Ducharme a certes argué qu’un membre de chaque trio était chargé de travailler près du but, cette facette a fait défaut sur trois de ses unités. Car Perry a marqué ses deux buts à courte distance. Mission accomplie dans son cas. Mais il faudra que ça fasse des petits.
« Il faut arriver là avec de la hargne », a confirmé Ducharme.
Combien de fois, depuis le début de sa carrière, Brendan Gallagher a-t-il été une bougie d’allumage, voire une inspiration pour ses coéquipiers sur la patinoire ? On a, depuis longtemps, cessé de les compter. La fiche ronflante du Tricolore au cours de ses dernières absences prolongées en fait aussi la démonstration : 4-5-1 en 2019-2020 et 7-9-2 en 2016-2017.
Il reste en effet 20 matchs à disputer au Canadien, dont 12 contre les Maple Leafs de Toronto, les Oilers d’Edmonton et les Jets de Winnipeg, trois équipes qui le devancent au classement.
Sachant en outre que les affrontements à haute teneur en émotion se multiplient à mesure que progresse le calendrier, il faudra trouver le moyen de reproduire l’apport de Gallagher… sans Gallagher. Une tâche complexe, mais nécessaire.
Ses chaussures sont juste là. Elles ne demandent qu’à être portées.
Prochain match : Jets de Winnipeg c. Canadien, ce jeudi à 19 h au Centre Bell