Aider les Ukrainiens… sans nuire

Touchés par la détresse des Ukrainiens qui vivent depuis deux semaines sous les bombes ou sur le chemin de l’exil, de très nombreux particuliers sont prêts à beaucoup pour leur venir en aide. Avec un don en argent, en offrant de les loger ici, parfois même en manifestant le désir de se rendre sur place pour prêter main-forte. Or, certaines initiatives ne sont pas toujours heureuses, croient des observateurs.

« Je fais l’hypothèse que tout le monde est bien intentionné, mais la bonne volonté n’est pas suffisante », déclare François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires, affilié à l’Université du Québec à Montréal.

Le 3 mars dernier, le DJulien Auger, médecin de famille de Saint-Jérôme, s’est rendu spontanément en Pologne, où il a trouvé un poste comme médecin à la tente médicale d’un camp de réfugiés à la frontière avec l’Ukraine. D’innombrables bénévoles portés par le sentiment de devoir faire quelque chose ont pris le même chemin, tout comme des centaines de journalistes indépendants qui tiennent à raconter ce conflit historique…

François Audet, qui a travaillé pendant une quinzaine d’années en action humanitaire, critique vivement ce genre d’initiative. « C’est assez naïf de penser que, dans un contexte de conflit comme celui-là, avec des millions de réfugiés à une frontière, on va se rendre utile. Au contraire, avec le peu de ressources qu’il y a, le peu d’espace pour les réfugiés, on va prendre des ressources, un logement, de la nourriture, de l’eau. » C’est ce qui s’est passé en Haïti, rappelle-t-il, où des gens voulant aider à la reconstruction ont finalement nui au travail des organisations sur place.

Il cite aussi les risques pour la sécurité auxquels s’exposent ceux qui se rendront en territoire ukrainien. « C’est un conflit armé. Il y a des risques qu’ils soient faits prisonniers. Combien ça va nous coûter pour les sortir de là ? »

La meilleure façon d’aider, selon lui, demeure par l’entremise de dons en argent versé à des organisations reconnues qui sont en mesure de les transformer en denrées, en médicaments, en hébergement ou autres, « en fonction des besoins sur le terrain et non pas de ce qu’on a en trop dans notre garde-robe ».

Beaucoup de gens semblent l’avoir compris. La Croix-Rouge canadienne, par exemple, a récolté à ce jour plus de 62 millions de dollars au pays. « On est très reconnaissants de la confiance et de la générosité des gens et des entreprises d’ici », indique Carole Du Sault, directrice des communications à la Croix-Rouge canadienne.

Certains joignent néanmoins la Croix-Rouge canadienne dans l’espoir de se rendre sur place. « Oui, il y a des gens qui se manifestent, qui demandent ce qu’ils peuvent faire », indique Mme Du Sault. Mais la Croix-Rouge n’enverra pas de « bénévoles spontanés » dans la région. « Si les gens veulent devenir bénévoles, on leur demande de suivre le processus d’application. On entre ensuite en contact avec eux pour voir quel est leur intérêt et voir s’ils ont des compétences particulières », précise-t-elle.

L’argent aux Ukrainiens

Aider les réfugiés qui ont fui l’Ukraine, c’est bien, mais selon Kate Bahen, directrice générale de Charity Intelligence Canada, organisation qui vise à aider les gens à prendre des décisions éclairées, il vaut mieux privilégier les organismes qui sont en mesure d’utiliser rapidement l’argent en territoire ukrainien.

« Les réfugiés sont épuisés et ils sont en détresse, mais ils sont en sécurité. C’est pour les 42 millions de personnes à l’intérieur de l’Ukraine que notre soutien peut faire le plus de bien. »

— Kate Bahen, directrice générale de Charity Intelligence Canada

Parmi les organisations présentes en Ukraine ou qui y acheminent des dons, elle énumère Médecins sans frontières, la Fondation Canada-Ukraine et la Croix-Rouge ukrainienne, entité indépendante de son pendant canadien et à qui les Canadiens peuvent faire des dons, sans toutefois obtenir de reçus fiscaux.

L’argent du Fonds de secours : crise humanitaire en Ukraine sera entièrement remis à la Croix-Rouge ukrainienne et à celles des pays limitrophes pour l’accueil des réfugiés, assure Carole Du Sault, de la Croix-Rouge canadienne. Quand des besoins se manifestent en Ukraine, les autres Croix-Rouge nationales transfèrent les fonds au fur et à mesure, ajoute la porte-parole.

Par ailleurs, Kate Bahen trouve particulièrement brillante et innovante l’idée de réserver des logements offerts sur Airbnb en Ukraine pour offrir une aide directe à la population. Deux jours après le début du mouvement, plus de 60 000 logements avaient été réservés. « Avoir du capital, de l’argent, est ce qui aide le plus les gens à traverser une crise. Nous n’avons jamais vu ça auparavant, nous n’avons pas d’antécédents, mais c’est innovant. Pas de frais de transaction [Airbnb a levé ses frais de service]. De l’argent de mon portefeuille à quelqu’un en Ukraine. »

Accueillir des réfugiés

Parce qu’ils veulent s’impliquer personnellement, des milliers de Québécois souhaitent aussi héberger des réfugiés ukrainiens. À elle seule, l’initiative de l’avocat Alexandre Dufresne, qui a lancé un groupe Facebook pour trouver des volontaires, a permis de recueillir plus de 3500 noms, même si pour l’instant, personne ne sait exactement combien de réfugiés ukrainiens atterriront au Québec ni quand. Ottawa n’a pas encore donné toutes les informations quant à leur statut au pays. Ceux qui souhaitent aider les Ukrainiens à leur arrivée peuvent aussi s’inscrire auprès du Congrès des Ukrainiens canadiens.

« C’est un très grand témoignage de solidarité, c’est magnifique, et il faut le faire », en particulier dans un contexte de pénurie de logements, souligne Anait Aleksanian, directrice générale du Centre d’appui aux communautés immigrantes, à Montréal.

Mais c’est un engagement qui ne doit pas être pris à la légère. « C’est aussi beaucoup de travail », précise Mme Aleksanian, qui évoque non seulement les besoins en vêtements et en nourriture des réfugiés, mais aussi les démarches administratives, les inscriptions des enfants à l’école, etc. « Heureusement, il y a une structure d’intégration au Québec et ceux qui accueillent des réfugiés peuvent aller voir n’importe quel organisme comme le nôtre pour avoir du soutien gratuitement. »

Et si l’arrivée des Ukrainiens tarde, il peut être bon de rappeler que des centaines de réfugiés sont déjà au Québec depuis la réouverture du chemin Roxham l’automne dernier. Il est donc aussi possible d’offrir une aide immédiate.

Et les dons d’objets ?

Depuis le début de la guerre, plusieurs organismes, dont des églises ukrainiennes à Montréal, ont lancé un appel aux dons de vêtements, de médicaments et de produits d’hygiène notamment. Le président de la section québécoise du Congrès des Ukrainiens canadiens, Michael Shwec, assure que les biens récoltés seront envoyés en Ukraine. Certains dons seront aussi offerts aux réfugiés à leur arrivée au Canada.

Vu le défi de logistique et de transport que cela représente, il convient toutefois que les dons en argent sont à privilégier.

« L’argent, c’est plus facile. On peut acheter la marchandise en Europe au lieu de l’envoyer d’ici. »

— Michael Shwec, président de la section québécoise du Congrès des Ukrainiens canadiens

Un avis que partage François Audet. « Il y a des expériences qui démontrent que le don en matériel fonctionne très mal, expose-t-il. Pour la Syrie, par exemple, on s’est retrouvé avec des conteneurs pleins de trucs de toutes sortes, des surplus de consommation d’ici qui n’étaient pas du tout en harmonie avec les besoins là-bas. »

« Les gens en Pologne ont beaucoup de vêtements, les gens en Roumanie aussi, ajoute Kate Bahen. Donnez-leur de l’argent et laissez-les choisir les vêtements qu’ils veulent. » Et les articles médicaux ? « Il y a des fournitures médicales en Europe. On n’a pas besoin d’envoyer des boîtes de pansements du Canada ! »

Où donner ?

La Croix-Rouge canadienne a mis sur pied le Fonds de secours : crise humanitaire en Ukraine. Les dons amassés sont envoyés à la Croix-Rouge ukrainienne et à celles des pays limitrophes. On peut aussi faire un don directement à la Croix-Rouge ukrainienne (sans reçu fiscal).

La Fondation Canada-Ukraine amasse des dons en argent pour acheminer des vivres et des médicaments en Ukraine.

Le Conseil provincial du Québec du Congrès des Ukrainiens canadiens recueille les noms de personnes souhaitant aider à l’accueil des réfugiés. Il lancera également bientôt une campagne pour amasser des fonds pour ces réfugiés.

Médecins sans frontières a des équipes en Pologne, en Moldavie, en Hongrie, en Roumanie et en Slovaquie. En Ukraine, l’organisme de bienfaisance a distribué des ensembles pour blessés de guerre et a formé des chirurgiens locaux pour la prise en charge des traumatismes.

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