Industrie de la musique au Québec

Vivement une ADISQ 2.0

Il y a 22 ans, j’obtenais mon premier travail dans l’industrie du disque, chez Audiogram. À cette époque, l’industrie avait l’allure d’une belle grande famille où la compétition était somme toute loyale. Et s’il existait des enjeux de relations de travail entre les producteurs de disques et les artistes, ce n’était pas chose commune, encore moins publique. Après tout, les ententes collectives entre l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) et l’Union des artistes (UDA)/Guilde des musiciens et musiciennes (Guilde) étaient toutes neuves.

En 1999, l’argent coulait à flot. Les ventes de disques étaient à leur sommet. L’industrie venait de (re)vendre aux consommateurs pour une troisième fois le même catalogue. Après le vinyle : en cartouche à huit pistes, en cassette et en disque compact. Ce dernier format numérique était roi. Les Archambault, Renaud-Bray et HMV de ce monde faisaient de belles affaires. MusiquePlus, les médias grand public et les chroniqueurs culturels étaient tout-puissants.

Puis est arrivé Napster. Et cette idée novatrice d’échanger des fichiers MP3, de pair-à-pair.

Tel un avion fonçant sur le gratte-ciel de l’industrie musicale, cela a eu un impact fracassant, déstabilisant, qui a enclenché la longue chute de l’économie des contenus.

Chaque avancée technologique apporte des menaces ; certes, elle amène aussi son lot d’opportunités. Il suffit d’ouvrir ses yeux et ses oreilles. Et avant les autres, de préférence.

D’ordinaire, le réflexe naturel d’une industrie consiste à lutter contre la technologie pour préserver ses acquis. Et c’est ce que l’industrie musicale d’ici avait choisi de faire face au partage de fichiers : protéger son modèle d’affaires fondé sur la vente de contenus. L’ADISQ a mené de grandes quêtes juridiques pour, d’une part, tenter de préserver les revenus de son industrie et, d’autre part, pour s’assurer de maintenir ses dépenses au minimum… auprès des artisans et des créateurs.

Un réflexe compréhensible. Mais discutable. Surtout du point de vue des artistes en musique, dont les revenus minimum n’ont pas été indexés au coût de la vie depuis le dernier siècle. Beaucoup d’entre eux doivent aujourd’hui avoir un travail d’appoint afin de joindre les deux bouts.

Parce que le temps, c’est de l’argent…

Depuis 10 ans, l’ADISQ négocie avec l’UDA et la Guilde pour renouveler des ententes encadrant l’enregistrement sonore, échues respectivement depuis 2000 et 1998. Ces ententes régissent les tarifs minimum d’embauche des musiciens et chanteurs en studio. Des tarifs minimum encore respectés à la lettre par certains producteurs, qui ne voient pas l’intérêt de tomber dans la bonification volontaire.

Et pendant que le coût du panier d’épicerie et du « p’tit trois et demie bien trop cher, frette en hiver » (dixit Mes Aïeux) a augmenté à vue d’œil, l’ADISQ, l’UDA et la Guilde, eux, négociaient.

Jusqu’à ce qu’on apprenne le 25 novembre dernier dans l’émission radio de Pénélope McQuade sur ICI Première⁠1 que l’ADISQ aurait cessé les négociations en cours. Cette affirmation (à ce jour non démentie par l’ADISQ) a été lancée par le flamboyant Philémon Cimon, dont la plus récente et vibrante prise de parole sur Instagram en est une parmi d’autres ces derniers mois. De fait, une centaine d’artistes autoproduits – désormais majoritaires dans le paysage de la production – ont dénoncé en juin dernier certaines problématiques dans l’attribution des subventions.

Espérons donc que la refonte de la Loi sur le statut de lartiste en cours du côté de la ministre Nathalie Roy verra (finalement) le jour et imposera (enfin) à ces trois pôles industriels l’obligation flagellante d’aller finir leurs interminables négociations devant un arbitre éclairé ou un tribunal administratif…

C’est le début d’un temps nouveau…

La bonne nouvelle, c’est qu’on observe présentement un changement de garde profond au cœur même de cette industrie. En septembre dernier, Eve Paré est entrée en poste comme nouvelle directrice générale de l’ADISQ. Dans son parcours remarquable, elle s’est déjà assise avec Airbnb, à l’époque où elle défendait l’industrie hôtelière du Grand Montréal. Cette collaboration – avec l’ennemi juré – a débouché rapidement sur une meilleure équité fiscale au Québec, en matière d’hébergement touristique. La morale ? Quand on cible rapidement ce sur quoi on ne pourra pas s’entendre, on peut facilement se concentrer sur le reste, en équipe.

De plus, Mme Paré a récemment cosigné une lettre ouverte dans La Presse, avec Jérôme Payette, directeur général de l’Association des professionnels de l’industrie musicale (APEM).2 Mentionnons que l’APEM est un des rejetons de l’ADISQ. Cette association est venue au monde en 2002, alors que quelques éditeurs membres de l’ADISQ choisissaient de claquer la porte, ne s’y sentant pas adéquatement représentés.

Bref, j’applaudis l’arrivée de cette vision d’ouverture et de collaboration au cœur de l’ADISQ. Cela me redonne espoir. J’ai de fortes raisons de croire qu’avec cette nouvelle direction générale, cherchant visiblement à créer des ponts, nos prochains développements industriels seront guidés par la bonne foi et la recherche de consensus.

Et cela arrive à point. Puisque la vague de dénonciation publique actuelle des artistes et autoproducteurs est somme toute une réaction face à une vieille façon de faire, souvent antagoniste, qui semble s’essouffler.

Ce qui nous attend droit devant risque d’être fort constructif. Particulièrement si Nathalie Roy réussit à faire adopter sa Loi sur le statut de l’artiste, avant les prochaines élections provinciales.

L’avenir sera peut-être moins sclérosé. En tout cas, on peut se donner le droit d’y croire.

1. Écoutez l’émission de Pénélope McQuade

2. Lisez la lettre d’Eve Paré et Jérôme Payette

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