Vers un « Tableau de bord » du système scolaire

Des idées pour améliorer la réussite

Bernard Drainville déplore qu’il n’ait pas accès à toutes les données pour mesurer l’état du réseau de l’éducation. Il promet de créer un « tableau de bord » qui lui permettra de mesurer les besoins pour améliorer la réussite scolaire. Quels indicateurs doit-il suivre ? La Presse a mis en place un comité d’experts qui formulent des recommandations bien précises au ministre de l’Éducation.

UN DOSSIER D'HUGO PILON-LAROSE

Persévérance scolaire

« On peut faire mieux. Beaucoup mieux. »

Québec — En début de mandat, alors qu’il faisait une tournée des écoles, Bernard Drainville s’est plaint que les centres de services scolaires ne transféraient pas tous leurs données de la même façon à Québec. Conséquence : le ministre de l’Éducation peine à bien mesurer l’état de son réseau, au moment où il se fixe l’objectif de faire passer de 84 % à 90 % la diplomation et le taux de qualification au secondaire.

Pour atteindre cette nouvelle cible, Bernard Drainville a promis d’établir un « tableau de bord », à l’image de celui mis en place par son collègue Christian Dubé en santé, qui mesurera l’état de l’école québécoise. Dans son dernier budget, Québec a d’ailleurs réservé plus de 240 millions d’ici 2027-2028 pour « soutenir l’accès aux données » et « accroître l’efficience du réseau et du ministère de l’Éducation ».

Pour jeter les bases de ce vaste chantier, La Presse a réuni pour une longue entrevue trois experts en matière de persévérance scolaire :

• Frédéric Guay, professeur au département des fondements et pratiques en éducation de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en motivation, persévérance et réussite scolaires ;

• Isabelle Archambault, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’école, le bien-être et la réussite éducative des jeunes, ainsi que ;

• Julien Prud’homme, professeur et directeur du département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières et spécialiste des politiques des enfants à besoins particuliers.

Leur premier constat : si l’école québécoise va bien, le Québec fait face à de grands défis pour aider encore plus les élèves ayant des besoins particuliers et les garçons en général.

« Quand on regarde les grandes enquêtes internationales, le Québec se positionne relativement bien. Là où ça va moins bien, c’est lorsqu’on regarde la persévérance scolaire, surtout celle des garçons. Là, on peut faire mieux. Beaucoup mieux », a affirmé Frédéric Guay à l’ouverture de la table ronde.

Un réseau, des inégalités

Le spécialiste de l’Université Laval a rappelé que « les garçons diplôment dans une plus faible proportion que les filles après sept ans, soit 77,6 % pour les garçons et 86,8 % pour les filles », ce qui peut « s’expliquer par un plus grand attrait par rapport au marché du travail ». À ce jour, a dit M. Guay, les garçons qui n’ont pas de diplôme d’études secondaires ont encore plus de chances que les filles sans diplôme de trouver un emploi qui est mieux rémunéré.

Julien Prud’homme a renchéri sur ce qui « nous distingue » face à d’autres sociétés : nos difficultés à réduire les inégalités face à la réussite scolaire. « Pour ça, ça prendrait des mesures qui ratissent assez large », a-t-il plaidé.

« Depuis plusieurs années, on réussit à faire diplômer les élèves qui sont dans la moyenne ou dans la norme, mais ce sont surtout les élèves qui ont des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage avec lesquels on a plus de difficulté. »

— Isabelle Archambault, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’école, le bien-être et la réussite éducative des jeunes

Mais gare à ceux qui croient qu’un seul facteur, ou bien le suivi d’un indicateur sur un « tableau de bord », permettra à Québec d’améliorer l’état de la réussite scolaire. « Il faut identifier les besoins et l’impact des mesures en s’appuyant sur des indicateurs concrets », a dit M. Prud’homme.

Avec un système d’éducation à plusieurs vitesses, entre l’école publique dite régulière, l’école publique offrant des programmes pédagogiques particuliers (que le gouvernement veut d’ailleurs multiplier) et l’école privée subventionnée, « la classe ordinaire n’est plus une classe ordinaire, mais une classe avec une proportion grandissante de jeunes qui ont des besoins plus importants et des enseignants qui ont accès à des ressources limitées pour les aider », a rappelé Mme Archambault.

Ajouter des ressources

Selon Frédéric Guay, le réseau de l’éducation a clairement « un manque criant de ressources » et les profs manquent de temps pour accomplir leurs tâches.

« S’ils sont responsables de 4 à 6 groupes de 28 élèves différents au secondaire [et qu’ils] doivent en plus à l’extérieur des heures de classe donner de la rétroaction individuelle à plusieurs élèves, ça ne fonctionne pas. Ils le font déjà sur leurs pauses dîner et le soir après l’école », a-t-il dit.

« On a fait le choix de l’intégration en classe ordinaire, ça fait aussi en sorte que les défis dans ces classes sont beaucoup plus nombreux. Il faut donner plus de ressources et de services d’accompagnement aux enseignants pour aider les élèves en difficulté, sinon [les profs aussi] décrochent. »

— Frédéric Guay, professeur au département des fondements et pratiques en éducation de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en motivation, persévérance et réussite scolaires

Le tableau de bord que veut instaurer le ministre Drainville doit donc cibler les écoles où les besoins sont les plus criants, mais surtout les ressources appropriées pour les aider. Il faut donc éviter l’approche tous azimuts, a dit Isabelle Archambault.

« Si on veut vraiment que ce qu’on met en place amène des changements, il faut que les investissements soient mis aux endroits où ça aura le plus d’impact. Et là où on aura le plus grand impact, c’est en offrant des occasions de soutien pédagogique ou de l’enrichissement, comme des concentrations en sciences et technologies, en sports, en arts ou des activités parascolaires, d’abord dans les milieux les plus défavorisés où les jeunes n’y ont pas toujours accès », a-t-elle dit.

Avoir des données dès le primaire

Les résultats de l’étude PISA 2018, soit l’enquête de l’OCDE relevant du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, montre que le Québec occupe la tête du peloton lorsqu’on mesure des acquis en lecture, en mathématiques et en sciences par rapport aux autres provinces canadiennes, mais aussi sur la scène internationale. Frédéric Guay affirme qu’il faudrait aussi récolter des données dès le primaire, afin d’avoir des indicateurs qui permettraient de mesurer plus tôt les besoins des enfants, sans attendre les résultats provenant d’enquêtes internationales.

« Parfois, on peut aller chercher des informations en posant peu de questions. Une de mes étudiantes au doctorat a validé un test de compréhension de lecture en début d’année scolaire au primaire qui prend trois minutes à remplir et qui prédit la réussite à l’examen final du ministère. Il y a des moyens de repenser l’évaluation pour qu’elle ne soit pas trop exigeante pour les enseignants et qu’elle ne demande pas trop de correction », a-t-il ajouté.

Mais attention, a renchéri le professeur Guay : « On évalue pour aider les élèves, et non pas pour trier l’ivraie du grain. »

« Un de mes collègues a déjà montré que plus il y a d’écoles introduites dans un système qui trient les élèves en fonction de leur niveau de performance, moins bien ce pays-là réussit aux épreuves internationales. »

— Frédéric Guay, professeur au département des fondements et pratiques en éducation de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en motivation, persévérance et réussite scolaires

« Il y a donc un effet pervers à introduire trop de compétition dans un système et à se servir des notes pour mousser cette compétition entre les écoles et entre les élèves », a-t-il dit.

« À l’heure actuelle, on est beaucoup dans une logique de réussite et d’échec, mais le gros enjeu, en fait, ce sont les jeunes qui sont sur la ligne. Tu peux être en réussite à 62 % et être en échec à 58 %, mais dans les deux cas, tu as besoin d’aide », a affirmé Isabelle Archambault.

« On est quand même dans une société et à une époque où les enfants sont assez soutenus, encadrés et valorisés. Ça serait important de mettre ça de l’avant. […] La nuance dans tout ça, c’est qu’on pourrait mieux faire avec les enfants qui ont des besoins particuliers, mais pour cela, il faut se donner les moyens », a-t-elle précisé.

« L’école est bienveillante et les intentions sont bienveillantes. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on pellette de plus en plus dans la cour des enseignants. On s’attend à plus de leur part alors que les services ne sont pas au rendez-vous pour les épauler », a conclu Julien Prud’homme.

Persévérance scolaire

Québec fait son propre bilan

Dans son dernier rapport annuel, le ministère de l’Éducation dresse un bilan de ses réussites et de ses échecs face aux cibles qu’il s’est lui-même fixées. Voici quelques données les plus à jour qui pourraient se trouver dans le prochain tableau de bord de Bernard Drainville.

Indicateur : Taux d’obtention d’un premier diplôme ou d’une première qualification au secondaire (global après sept ans) – Cible non atteinte

Justifications du Ministère :

« Cette faible progression pourrait s’expliquer par le fait que l’amélioration globale du taux de diplomation et de qualification par cohorte après sept ans n’est pas chose aisée et repose principalement sur la réussite des catégories d’élèves les plus en difficulté. Des efforts accrus seront nécessaires pour assurer la persévérance scolaire et le succès éducatif de ces groupes, en particulier parce qu’ils ont pu être les plus négativement touchés pendant la pandémie. »

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Indicateur : Écart de réussite entre les garçons et les filles (réduction en points de pourcentage) – Cible non atteinte

Justifications du Ministère :

« Le taux de diplomation plus faible chez les garçons que chez les filles peut être partiellement expliqué par l’attractivité conjoncturelle du marché du travail. Celle-ci représente, particulièrement pour ce groupe d’élèves considérés comme fragiles en ce qui a trait à la diplomation, un facteur susceptible d’inciter à interrompre ses études avant l’obtention d’un diplôme ou d’une qualification. Des efforts accrus sont nécessaires pour favoriser la persévérance et la réussite scolaires de tous les élèves, notamment des garçons, en particulier lorsque ceux-ci présentent d’autres formes de vulnérabilité ou des difficultés pouvant faire obstacle à leur réussite. »

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Indicateur : Écart de réussite entre les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) et les élèves ordinaires dans le réseau public seulement (réduction en points de pourcentage) – Cible non atteinte

Justifications du Ministère :

« La fermeture temporaire des établissements scolaires et les répercussions multiples de la pandémie pourraient avoir aggravé les facteurs de vulnérabilité que présentent certains élèves HDAA et avoir une incidence sur l’atteinte des cibles fixées pour les années futures. »

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Indicateur : Nombre de nouveaux intervenants et intervenantes en soutien aux élèves (ajout annuel) – Cible atteinte

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Indicateur : Écart de réussite entre les élèves des écoles défavorisées et ceux des autres écoles, dans le réseau public seulement (réduction en points de pourcentage) – Cible atteinte

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Indicateur : Taux d’obtention d’un diplôme en formation professionnelle après trois ans – Cible non atteinte

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