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Édition du 17 septembre 2023,
section VOS FINANCES, écran 3
Avec le partage en parts égales, le fléau de la balance est parfaitement horizontal : le poids des dépenses communes est réparti également entre les conjoints, sans égard à leurs revenus respectifs. Chacun y contribue à partir de son compte personnel.
Le bénéfice
Chaque conjoint conserve une certaine indépendance et peut dépenser ses surplus à sa guise.
L’ennui
Plus complexe que la mise en commun, cette méthode, comme toute méthode de partage des dépenses, impose le délicat exercice de déterminer quelles sont les dépenses communes, de décider qui paie laquelle, puis de faire une astreignante compilation pour rééquilibrer les débours.
Le partage des dépenses peut être équilibré, mais si le contrepoids des revenus est inégal, la balance des surplus penche en faveur du conjoint au meilleur revenu.
Un cas typique
Deux jeunes tourtereaux se font un premier nid
Corneille et Colombe viennent d’entrer sur le marché du travail et dans leur premier appartement. Ils gagnent respectivement 37 000 $ et 42 000 $.
Les jeunes tourtereaux ont des revenus relativement similaires, ce qui est un argument pour conserver leurs œufs dans leurs paniers respectifs.
La méthode la plus simple consiste à séparer leurs (minces) dépenses communes en parts égales. Bref, faire partage 50-50.
« C’est une bonne façon de voir quelles sont les priorités de dépenses de l’autre, soulève Hélène Belleau, professeure titulaire au Centre Urbanisation Culture et Société de l’INRS. C’est un moment où les conjoints apprennent à se connaître. »
Le bassin de dépenses communes est partagé au prorata des revenus. La part des dépenses communes qu’un conjoint assume est en proportion de sa contribution au revenu total du ménage.
Le bénéfice
Une méthode plus égalitaire que le partage en parts égales. Chacun contribue aux paiements en fonction de ses moyens. Une fois sa part versée, chaque conjoint peut jouir à sa convenance du solde de ses revenus.
L’ennui
La compilation des dépenses et le rééquilibrage des parts en fonction des variations de revenus demandent plus de minutie que le partage en parts égales.
Lorsque les écarts de revenus sont importants, le conjoint défavorisé dégage moins d’épargne que sa douce mais inégale moitié.
Un cas typique
Deux conjoints de fait copropriétaires, sans enfant, léger écart de revenus
Jade et Agathe, sans autres responsabilités que le condo dont elles sont copropriétaires, gagnent respectivement 90 000 $ et 110 000 $. Chacune veut ajouter sa précieuse pierre à l’édifice conjugal sans pour autant abandonner sa latitude budgétaire.
« Certains conjoints préfèrent se garder une certaine autonomie, alors c’est souvent le prorata des revenus qui va être mis de l’avant », constate Hélène Belleau.
Chaque conjoint paie sa part des dépenses communes en proportion de son revenu, ici respectivement 45 % et 55 %.
« Chacun a un certain pécule pour ses dépenses personnelles, ajoute-t-elle. Ce mode de gestion fonctionne très bien pour des gens qui ont des revenus à peu près similaires. »
La formule du prorata, qui vise à corriger les écarts de revenus, est très efficace… tant qu’il y a un faible écart de revenus.
Lorsque l’écart est important, « ce mode de gestion ne fonctionne pas bien parce qu’il appauvrit la personne qui gagne le moins dans le couple », souligne Hélène Belleau.
Dans leur ouvrage, Hélène Belleau et Delphine Lobet suggèrent une méthode correctrice : ajouter l’épargne individuelle aux dépenses partagées au prorata des revenus. Le conjoint moins nanti recevra la moitié de l’épargne accumulée, quelle que soit sa contribution au paiement des dépenses communes.
Le bénéfice
Le conjoint aux revenus moindres est certain de dégager une épargne de retraite.
L’ennui
Les deux conjoints doivent partager les mêmes priorités relativement aux épargnes et à la retraite. Le calcul se complexifie si un seul des deux conjoints profite d’un régime de retraite avec son employeur.
Un cas typique
Deux conjoints de fait copropriétaires, sans enfant, l’un gagne 70 000 $, l’autre 130 000 $
Olivier et Marjolaine cultivent une belle relation dans leur petit jardin de banlieue. Le premier apporte 70 000 $ et la seconde 130 000 $ à la salade familiale.
Dans leur cas, la formule du prorata serait inéquitable « parce que le niveau de vie du couple est à la hauteur du revenu de la personne qui gagne le plus », observe Hélène Belleau.
C’est pour les épargnes que le bât (de laine) blesse.
Le conjoint désargenté pourrait être tenté de suivre le train de vie de son conjoint – en le suivant en voyage, par exemple – et il « n’aura plus d’argent à mettre de côté pour sa retraite », indique-t-elle.
La méthode du prorata avec contribution à l’épargne permettra d’ajuster la vinaigrette.
Les épargnes de retraite sont ajoutées aux dépenses communes, lesquelles sont ensuite partagées au prorata des revenus.
Hélène Belleau et Delphine Lobet suggèrent un autre type d’ajustement pour corriger la distorsion de la méthode du prorata en présence de grands écarts de revenus : instaurer un revenu personnel de base.
Les conjoints conviennent d’un montant qu’ils se réserveront à chacun. Cette somme est déduite de leurs revenus dans le calcul de leur contribution respective aux dépenses communes.
Le bénéfice
Résultat, le conjoint moins favorisé dégage davantage de surplus personnel qu’avec la méthode du prorata pur.
L’ennui
L’écart entre les conjoints est moins substantiel, mais il demeure. Et encore une fois, les conjoints doivent faire de savants calculs et un suivi minutieux des dépenses.
Un cas typique
Deux parents de deux enfants d’âge scolaire, écart de revenus important
Conjoints de fait sans convention d’union et parents de deux enfants d’âge scolaire, Laurier et Rose touchent respectivement des revenus de 75 000 $ et 25 000 $ après impôts.
Mis au parfum de la formule du prorata des revenus, Laurier et Rose conviennent que chacun se réservera 10 000 $ – un revenu personnel discrétionnaire, en quelque sorte.
« Chacun aura 10 000 $ dans son compte, puis on calcule le prorata à partir de ce qui reste de leurs revenus », explique Hélène Belleau.
Ici, le calcul du prorata s’effectuerait sur la base de revenus nets de 65 000 $ et 15 000 $ plutôt que 75 000 $ et 25 000 $.
En supposant des dépenses communes de 70 000 $, Rose dégagera ainsi un surplus de 11 875 $ plutôt que 7500 $ pour ses dépenses discrétionnaires et son épargne de retraite.
« C’est une solution assez simple pour des gens qui veulent conserver une certaine autonomie », indique la chercheuse.
Les familles recomposées obligent à composer avec des labyrinthes budgétaires : la charmante petite princesse d’un conjoint, les deux horribles monstres de l’autre, un quatrième chérubin en commun…
Le calcul des dépenses communes – les dépenses de logis, la nourriture, les loisirs… – peut s’effectuer au prorata de la parentalité dans la maisonnée : ici, 2,5/6 personnes pour le premier conjoint, 3,5/6 pour le second.
Le bénéfice
La méthode permet d’ajuster les contributions des conjoints en fonction du poids de leur vie passée. Le présent est alors plus serein.
L’ennui
Comme le soulignent Hélène Belleau et Delphine Lobet dans leur ouvrage, ce mode de gestion n’est véritablement équitable que si les revenus sont relativement similaires.
Un cas typique
Famille recomposée : chaque conjoint a des enfants d’une précédente union
Jean-Loup et Agnelle réunissent dans la même bergerie les enfants issus de leurs précédentes unions respectives. Le premier est le père de deux ados hautement carnivores, alors que la seconde est maman d’un timide agneau préscolaire.
« Les ménages recomposés fonctionnent souvent comme des ménages intacts, à la différence que les dépenses de l’enfant d’un des parents sont considérées comme des dépenses personnelles », a pu observer Hélène Belleau au cours de ses recherches.
Une disparité s’installe lorsque la grouillante marmaille d’un des conjoints impose l’usage d’une maison et d’un frigo tous deux disproportionnés.
« Ça veut dire que le loyer et les dépenses de la nourriture sont beaucoup plus importants », fait valoir la chercheuse. « Il faut que ce soit proportionnel à la charge financière de chacun des conjoints », avise-t-elle.
Dans le cas de Jean-Loup et Agnelle, la solution pourrait consister à se séparer les dépenses domestiques au prorata des charges familiales : 3/5 pour lui, 2/5 pour elle.
Encore faut-il que leurs revenus soient du même ordre de grandeur.
En cas d’écart et de désaccord, le couple souhaitera peut-être introduire un ajustement au prorata des revenus. Un calcul complexe, toutefois. Plutôt que de s’arracher les cheveux, ils pourront les couper en quatre.