Chronique

Tous ensemble ? Really ?

Après le monde (anglo-saxon), le Canada (anglais)…

Samedi dernier, l’évènement One World : Together at Home rassemblait des vedettes internationales confinées chez elles (Lady Gaga, les Rolling Stones, Céline Dion, etc.) afin de récolter des fonds pour combattre la COVID-19 et saluer les travailleurs de la santé. Dimanche prochain, le spectacle Stronger Together/Tous ensemble remet ça, avec le même objectif – notamment de venir en aide aux banques alimentaires canadiennes – et une brochette d’artistes canadiens.

L’émission d’une heure sera diffusée sur différentes chaînes, avec sous-titres en français sur ICI ARTV, SériesPlus, VRAK et V, dimanche, à 19 h (heure de Montréal). Céline Dion sera de nouveau de la partie, ainsi que Marie-Mai (révélée au Canada anglais comme juge à l’émission The Launch, à CTV).

Il s’agit des deux seuls artistes francophones dont on a annoncé la participation, lundi matin, aux côtés d’Alessia Cara, Arkells, Barenaked Ladies, Bryan Adams, Buffy Sainte-Marie, Eric McCormack, Howie Mandel, Jann Arden, Jason Priestley, Margaret Atwood, Michael Bublé, Rick Mercer, Russell Peters, Sarah McLachlan, Shania Twain, Sofia Reyes, William Prince et autres « personnalités » comme Tessa Virtue, Will Arnett, Bianca Andreescu, Chris Hadfield, Connor McDavid, David Suzuki, Hayley Wickenheiser, Penny Oleksiak et Rick Hansen.

J’ose imaginer qu’au cours des prochains jours, la présence franco-québécoise sera bonifiée. Parce qu’encore une fois, dans une manifestation culturelle pancanadienne, la musique franco-québécoise joue un rôle secondaire.

Quantité négligeable ajoutée à la programmation par les organisateurs peut-être pour se dédouaner, se donner bonne conscience ou faire taire les empêcheurs de tourner en rond.

J’imagine la réunion sur Zoom (et l’intervenant du coin droit supérieur à l’écran) : « On va leur donner trois minutes de temps d’antenne en français, en espérant que la majorité ne change pas de poste… »

Je soupçonne que la langue d’expression artistique dans une manifestation spontanée de solidarité canadienne n’est pas pour tous, en temps de pandémie mondiale, un enjeu de première importance. Il reste que la quasi-absence du français dans un tel contexte n’est malheureusement pas l’exception qui confirme la règle. J’en veux pour preuve le faible temps d’antenne accordé à la chanson en français sur les ondes du diffuseur public national.

À CBC Music, l’équivalent anglophone d’ICI Musique, la musique francophone ne fait pas seulement office de parent pauvre, c’est le petit-cousin exotique qu’on a oublié.

Alors qu’ICI Musique diffuse une quantité appréciable de musique anglophone (notamment anglo-québécoise et canadienne) sur ses ondes, la musique francophone a été folklorisée sur la chaîne musicale anglophone.

À l’exception des 14 ou 15 chansons francophones (pas seulement québécoises) entendues chaque dimanche à l’émission C’est formidable ! (animée par Florence K), le français est traité à la CBC sans statut particulier, comme une langue minoritaire, marginale, voire étrangère, malgré les obligations de diffusion de contenu canadien. Le français, langue officielle ? Les francophones, peuple fondateur ? Je dirais surtout, le Québec, société distincte…

J’ai pris pour échantillon une semaine type des émissions habituelles de la programmation de CBC Music, avant les mesures de confinement imposées par la crise sanitaire, et tout juste avant le gala (annulé) des prix Juno. À l’émission matinale Mornings, animée par Saroja Coelho de 6 h à 9 h les jours de semaine, sur 270 chansons diffusées entre les mercredis 4 et 11 mars, une seule était francophone : Prémonition de Cœur de pirate. De 9 h à 13 h, Tempo se consacre essentiellement à la musique classique. De 13 h à 15 h 30, Tom Allen anime Shift. Sur 172 pièces – dont plusieurs sont instrumentales –, aucune lors de la même période observée n’était en français.

L’émission animée les jours de semaine par Rich Terfry (alias le rappeur Buck 65), de 15 h 30 à 19 h, ne promeut guère mieux la musique québécoise, même si elle est entièrement axée sur la chanson. Sur 309 pièces répertoriées entre les 4 et 11 mars, deux seulement étaient francophones, Prémonition de Cœur de pirate et Pourquoi de Marie-Pierre Arthur, tirée de son album homonyme de 2009.

De 19 h à 20 h les jours de semaine, les émissions de CBC Music alternent quotidiennement. Par exemple, dans la semaine que nous avons examinée, il n’y avait pas de pièce francophone à Reclaimed, qui s’intéresse surtout à la musique d’artistes autochtones. Il n’y en avait pas davantage ni à l’émission Q the Music, ni à Marvin’s Room, ni à Canada Live, ni à CBC Music Top 20

Le week-end, hormis donc l’émission consacrée exclusivement à la musique francophone animée par Florence K – qui a pris le relais d’À propos, animée pendant 30 ans par Jim Corcoran –, c’est presque le désert pour les artistes franco-québécois. Sur les 84 chansons diffusées entre 6 h et 9 h sur la période analysée, aucune n’était francophone. Il n’y en avait pas davantage sur la « playlist » de l’artiste invité (Jay Douglas) entre 9 h et 10 h. Aucune à Saturday Night Blues, aucune à Saturday Night Jazz (où l’on trouvait en revanche plusieurs pièces en portugais) et une seule (Sac banane d’Ingrid St-Pierre) parmi les dernières des 50 chansons programmées en fin de soirée le dimanche, au sympathique Strombo Show.

En semaine, le français se retrouve quasi exclusivement à l’émission After Dark, animée par le très suave Odario Williams. Sur 364 chansons diffusées entre 20 h et minuit, du 4 au 11 mars, j’ai trouvé une douzaine de pièces en français : Ton vieux nom d’Elisapie Isaac, Petit Bois de Fanny Bloom, Rois de nous de La Bronze, Que la peine passe de Mara Tremblay, La dérape de Bronswick, Les animaux de Klô Pelgag, J’orage de Pointeix, Vol plané de Louis-Jean Cormier, Mélancolie de Patrick Watson et Safia Nolin, Technicolor de Safia Nolin, Retourner en moi d’Ariane Moffatt et Metropolis de Monogrenade.

La plupart de ces chansons ont été diffusées en fin de soirée, dans la dernière partie de l’émission, vouée aux « nouveaux sons » avant-gardistes.

Bref, plus la nuit approche, plus il y a de musique francophone à CBC Music. Je m’attendais à une embellie après minuit, qui ferait mentir les piètres statistiques. Or, le ratio de musique francophone ne s’améliore la nuit. C’est un euphémisme…

En une semaine d’analyse entre minuit et 6 h du matin, à l’émission Nightstream, j’ai trouvé sur un total précis de 800 diffusions de chansons (ce sont parfois les mêmes pièces qui tournent) un grand total de zéro chanson francophone. ZÉRO. Sur 800. « Nous allons chercher à accroître la représentation francophone sur nos ondes », m’a assuré lundi soir Steve Jordan, directeur de CBC Music depuis seulement un mois. On l’espère bien.

Je faisais le décompte des pièces en français, et pour être franc, je sentais non pas une lassitude, mais une indignation sourde monter en moi. La même qui gronde lorsque je vois les artistes francophones cantonnés aux rôles de soutien d’un gala comme celui des prix Juno, confinés à la catégorie Album francophone de l’année.

À l’exception d’Alexandra Stréliski, dont la musique est instrumentale, aucun finaliste francophone ne se trouvait dans les catégories de pointe de l’album, de la chanson, de l’auteur-compositeur ou de l’artiste de l’année, à l’occasion de la cérémonie des prix Juno qui a été annulée pour cause de pandémie, le mois dernier. Le seul et unique lauréat francophone du prestigieux prix Polaris, qui récompense le meilleur album canadien de l’année, demeure Karkwa pour Les chemins de verre, il y a 10 ans.

C’est partout pareil. Dimanche, Stronger Together/Tous ensemble n’y fera pas exception. Tous ensemble ? Yeah right !

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