Opinion

La leçon de Joyce Echaquan

Chaque jour, nous apprenons au chevet du monde malade que la vulnérabilité constitue la qualité essentielle de la vie humaine. Depuis Platon, nous savons que nous sommes des êtres complexes et en conflit permanent. Il faudra attendre le généticien français Albert Jacquard pour apprendre que nous sommes des êtres différents issus d’une seule et même espèce, l’espèce humaine.

Alors, comment se fait-il que nous ayons eu à voir Joyce Echaquan mourante et humiliée sur un lit d’hôpital public québécois ? Comment se fait-il que cette mère de sept enfants soit morte sous l’œil méprisant et les propos insultants de préposées censées prendre soin d’elle ? Serait-ce parce que Joyce était une femme autochtone du Québec ? Comment le racisme peut-il s’inviter dans une chambre d’hôpital qui se doit d’être un antre d’humanité ?

Joyce, jeune femme Atikamekw de 37 ans, a été hospitalisée pour des douleurs au ventre. À la suite de mauvais traitements, elle lance un ultime appel au secours sous forme de vidéo sur Facebook. On finit par y entendre des insultes outrancières du personnel soignant à son égard.

Outre celles qui relèvent d’un racisme éhonté, il y a en a une qui m’a particulièrement bouelversée et je la cite : « C’est juste bon à fourrer, ça ! » Toute immigrée blanche francophone issue de l’immigration européenne que je suis, j’ai déjà subi, dans un contexte médical, un jugement à connotation sexuelle pour une douleur abdominale qui s’est avérée très banale. J’en profite pour rappeler que les violences médicales, hospitalières et obstétricales sont plus courantes que l’on ne pense. J’ai lu d’ailleurs que de nombreux Québécois d’origine autochtone préfèrent éviter les soins médicaux de peur d’être discriminés.

« L’indifférence aux souffrances qu’on cause est la forme terrible et permanente de la cruauté. » Marcel Proust.

Le Québec a souvent du mal à admettre qu’il n’est pas meilleur élève que d’autres régions dans le monde concernant le racisme. Mais lorsqu’il s’agit des autochtones, on doit constater que les discriminations sont systémiques. De plus, rappelons que la Loi sur les Indiens (Acte relatif aux Sauvages) de 1876 d’Ottawa est non seulement raciste, mais aussi sexiste. En 2016, j’ai eu la chance de recevoir dans mes classes Emmanuelle Walter, autrice d’une enquête sur le féminicide des femmes autochtones du Canada, Sœurs Volées. Je la cite : « Tant qu’on n’enseignera pas l’histoire autochtone au secondaire, il ne se passera rien. Du côté blanc, il faut lire, apprendre et comprendre. Je suis quand même optimiste. Je trouve que la jeunesse québécoise se montre plus ouverte. »

Je partage son optimisme, car nombreux sont mes élèves qui ont choisi de lire son livre pour un travail de lecture. Il faut insister sur la prévention afin de sensibiliser la population et la jeunesse à cette violence envers les femmes autochtones en privilégiant l’enseignement de ce féminicide au sein des établissements.

Prévenir, c’est ne pas demander aux femmes autochtones québécoises de survivre. C’est leur offrir la possibilité de vivre.

Le serment de Florence Nightingale ou le serment de l’infirmier est un pendant du serment d’Hippocrate, prêté par les médecins. Comment peut-il être trahi sans qu’il y ait banalisation du racisme envers les autochtones si ce n’est par manque d’éducation ? Il nous faut rappeler qu’une pensée peut devenir des mots, que des mots peuvent être des actes, que les actes deviennent à leur tour une habitude et que les habitudes deviennent une destinée. Voilà comment se fonde une destinée appuyée sur des mots et des préjugés. Personne ne naît intolérant, mais chacun peut le devenir ou non, si l’éducation agit sur les mots et sur l’humanisation des esprits. En attendant ce changement collectif, je me permets de rappeler que si certains membres du personnel infirmier ont osé humilier sans filtre Joyce, c’est qu’il y avait bien banalisation du racisme envers les Premières Nations du Québec dans cet hôpital, bien que je ne fasse pas appel ici à la chute d’autres têtes.

C’est, par conséquent, toute la société québécoise qui doit se rappeler que les larmes d’une Québécoise autochtone sont aussi salées que les nôtres. Pour ce faire, il faut que la classe politique et les médias changent leurs mots, car nous sommes tous des Québécois et aucun n’a choisi son lieu de naissance.

Dans le sable et dans la terre, toutes les pierres précieuses brillent autant que l’or. In varietate concordia, « unie dans la diversité », telle doit être notre société québécoise ! Et c’est ce que nous a rappelé notre Joyce.

Le mot de la fin reviendra à Leila Lesbet, présidente par intérim de PDF Québec : « Le temps des bons sentiments doit faire place aux actions concrètes. Le Québec doit mettre en pratique les recommandations du rapport Viens, dont l’application est jusqu’ici décevante pour lutter concrètement contre les discriminations systémiques dont sont victimes les femmes autochtones dans les institutions publiques. »

La COVID-19 ne peut pas tout excuser. Qu’on se le dise et qu’on le rappelle au gouvernement !

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