Société COVID-19

Faire son deuil en pleine crise

Si la vie continue alors que la crise du coronavirus bat son plein, la mort aussi. À la suite de notre reportage sur les services funéraires perturbés en pleine crise du coronavirus, nous avons reçu beaucoup de témoignages de gens qui ont perdu un proche et qui ne peuvent pas vivre leur deuil comme il se doit. 

Les services funéraires sont considérés comme « essentiels » par le gouvernement du Québec, mais les expositions doivent se faire à distance – sans accolade et sans poignée de main – et seuls quelques membres de la famille immédiate peuvent être présents. Dans ces circonstances éprouvantes, La Presse donne aujourd’hui la parole à des gens endeuillés qui veulent rendre hommage à l’être aimé qu’ils ont perdu. Témoignages.

« Un baume sur mon  cœur endeuillé »

Marie Bonami a perdu sa mère, Gloria Burinato, il y a trois semaines.

« Notre maman est décédée le 9 mars dernier. C’était avant la tempête du confinement, donc nous avons préparé des funérailles à la hauteur de la grande femme qu’elle était. Malheureusement, il a fallu tout mettre sur pause. On a dû sauter des étapes de ses volontés, dont l’exposition.

« Présentement, elle est incinérée. Ses cendres sont au funérarium et on attend les indications pour le reste. Le plus difficile pour les membres de ma famille est de vivre notre deuil chacun de notre côté. Sans mes sœurs, sans mon frère, sans les membres de ma grande famille tissée serré.

« Après le décès, il y a eu le début des directives de confinement et tout ce qui vient avec. C’est aujourd’hui que je commence à avoir les effets du deuil. Je pleure, je m’ennuie…

« Une chance que je peux jaser avec les membres de ma famille sur Messenger et que j’ai un bon conjoint. Ça fait un baume sur mon cœur endeuillé.

« Il faut se dire : “ça va bien aller”. »

« Il y a du beau dans tout ça »

David Dufresne a perdu son père Gaétan la semaine dernière.

« Mon père a eu un diagnostic de cancer assez avancé il y a un an. Notre deuil a commencé à ce moment-là. Quand je me mets à la place des gens qui, dans la crise, vont perdre des proches dans les hôpitaux sans pouvoir aller les visiter, je me considère assez chanceux.

« Vendredi dernier, mon père a eu l’aide médicale à mourir dans sa maison à Trois-Rivières où il vivait avec sa femme Lucie. Ma conjointe et moi avons pu y aller. Le dimanche précédent, nous avons aussi pu dire au revoir à mon père avec mes filles. Mon père avait toute sa tête jusqu’à la fin. Il était entouré et serein.

« Je dirais que c’était un beau départ… Mais c’est difficile actuellement pour mes filles de ne pas pouvoir passer du temps avec Lucie, qui était comme leur grand-mère. C’est aussi difficile pour mon frère qui est pilote d’avion et qui n’a pas pu revenir d’Halifax.

« Nous ne pouvons pas nous réconforter les uns et les autres outre qu’à distance. Pour l’instant, nous ne ferons pas de funérailles.

« Mon père était optométriste. Il aidait les gens. Il était apprécié, discret et intègre. Et c’était un super grand-papa…

« Depuis vendredi, je reçois beaucoup de messages de proches et même d’amis d’enfance que je n’ai pas vus depuis des années. Il y a beaucoup de longs messages remplis de souvenirs. Certains prennent le temps de m’appeler. D’autres ont fait livrer des fleurs à la maison.

« Peut-être qu’en temps de distanciation sociale, et à l’ère des réseaux sociaux, le deuil devient plus collectif et communautaire, hors des rites traditionnels.

« Plutôt que de dire un rapide “mes sympathies” au salon funéraire, des gens prennent le temps d’envoyer des témoignages plus étoffés et personnels.

« Il y a du beau dans tout ça. »

« Lorsque les pommiers sont en fleurs »

Andrée Dalphond a perdu son conjoint Jean-Claude Lazzaroni en octobre dernier et elle doit annuler la grande commémoration qui était prévue en mai pour la disposition de ses cendres.

« Ma famille et moi avons décidé de reporter la commémoration du décès de mon conjoint prévue le 20 mai à l’automne en espérant que la pandémie sera chose du passé.

« Mon conjoint avait une mère française et un père italien. Il est arrivé au Québec avec sa famille en 1951 quand il avait 12 ans. Il est décédé le 4 octobre dernier après de multiples hospitalisations.

« Il a contracté trois infections nosocomiales et il a subi une chirurgie cardiaque aux multiples complications. Son séjour à l’hôpital en septembre dernier pour une infection, compliquée par une crise d’épilepsie, fut le dernier. Quand les médecins m’ont demandé si je voulais des soins palliatifs, j’ai dit oui. Pendant un mois, nous ne pouvions pas nous réunir en famille de façon intime. Seul un rideau séparait mon mari de l’autre patient.

« Mes enfants ont organisé une grande fête deux jours après sa mort pour souligner notre 80e anniversaire de naissance. C’est ce que mon mari aurait voulu… Ce fut un très beau moment avec des membres de la famille et des amis. Il y avait un bon repas, du bon vin… Tous avaient une anecdote sur mon mari rappelant son humour, sa générosité et sa joie de vivre.

« Il n’est pas facile de réunir la famille dispersée d’un océan à l’autre et d’un continent à l’autre. Nous devions nous revoir pour la disposition de ses cendres et celles de ses parents au printemps. Lorsque les pommiers sont en fleurs. Pour mon mari qui adorait cueillir des pommettes pour en faire de la gelée…

« Puis la pandémie nous a surpris. Comme tout le monde, nous suivons les consignes.

« Ça va aller… ce n’est que partie remise. »

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