Aston Martin

Un futur entre espoir et rumeurs

Parce qu’on est à Montréal, et parce qu’il a plu – et qu’il pleuvra encore –, les regards se tournent naturellement vers Lance Stroll et vers Aston Martin. L’écurie, toutefois, n’offre rien de très appétissant aux amateurs de Formule 1 depuis le début de la saison. Au point que, quand il est question des monoplaces vertes, ce qui surviendra en 2025 semble davantage retenir l’attention que ce qui se déroule sur la piste ces jours-ci.

Les déboires de l’équipe sont documentés. Après un formidable début de campagne l’an dernier, le retour à la réalité a été brutal. Plusieurs fois, au cours des derniers jours, Stroll a indiqué qu’un bon week-end, chez Aston Martin, se résumait désormais à des « petits points » de classement. Un, parfois deux. Ça pourrait être pire, mais pas tant que ça.

Le présent championnat ne s’est pas si mal amorcé pour Alonso, qui a marqué des points à ses six premières courses. Or, à Imola et à Monaco, ç’a été encore plus pénible pour lui (19e, 11e) que pour son coéquipier (9e, 14e).

Au sein de l’écurie, on parle d’ajustements constants et d’une saison encore jeune, à laquelle il reste encore 15 courses, en comptant Montréal. Et on se nourrit d’espoir, même d’optimisme.

« Je pense que nous sommes en meilleure posture que l’an dernier, a estimé Alonso, jeudi, lors d’une mêlée de presse. C’est dur de le traduire en [points], parce qu’on ne passe plus près du podium, mais nous sommes pleinement conscients de la situation, des besoins de la voiture et de ce qui va bien ou pas dans le développement. Des zones grises de l’an dernier sont désormais blanches ou noires. »

« Comme équipe, on a beaucoup appris au cours des 18 derniers mois. »

— Lance Stroll, pilote d’Aston Martin

Notamment que « ce qui semble bon sur le papier » ne l’est pas nécessairement une fois en piste. Le Montréalais évoque des changements de « philosophie », de « mentalité », notamment sur le plan aérodynamique, qui finiront par porter leurs fruits.

Car on ne se berce pas d’illusions, chez Aston Martin. Le bolide développé pour 2024 est « dur à conduire », a convenu le chef d’équipe Mike Krack, vendredi.

Les ajustements apportés, croit-il, permettront aux pilotes de maximiser davantage le « potentiel » de leur monture. « Ils pourront conduire avec plus de confiance, a avancé le gestionnaire. Ce n’est pas quelque chose qui se règle en deux courses, mais on essaie de l’amener le plus vite possible. »

L’écurie est encore jeune, rappelle Alonso. Il s’agit seulement, en effet, de sa quatrième saison sur le circuit. « Il y a deux ans, on était une équipe de 300 personnes ; aujourd’hui, nous sommes plus de 900, a-t-il souligné. C’est un peu injuste de nous comparer à Ferrari ou Mercedes, des équipes établies depuis longtemps. »

« On a plusieurs projets d’infrastructures en cours », a encore dit Mike Krack. Par exemple, l’automne dernier, l’organisation a inauguré une usine ultramoderne à Silverstone, au Royaume-Uni. Les pièces du casse-tête s’assemblent, lentement.

« On a une base sur laquelle construire. Les résultats vont venir », a-t-il prédit.

Flou pour Stroll

Si l’avenir de l’écurie attire l’attention, ce n’est rien en comparaison de l’avenir de ses pilotes. Celui de l’un plus que celui de l’autre, en fait.

Le cas de Fernando Alonso est réglé depuis quelques semaines, puisqu’il a signé un contrat qui le liera à l’équipe jusqu’en 2026. Ce pourrait bien être son dernier contrat en F1, a-t-il lui-même admis.

C’est moins clair en ce qui concerne Lance Stroll. Les détails de son association avec l’équipe n’étant pas rendus publics, il persiste un flou sur son statut, dont se régalent les observateurs, sérieux ou non, de l’industrie.

Mike Krack n’a pas vraiment contribué à mettre fin aux conjectures en se bornant à parler des « bons échanges » entre le coureur et son employeur. « Aston Martin est la maison de Lance, a-t-il poursuivi. Bientôt, on croit qu’on pourra communiquer des choses positives. »

Lors d’un point de presse animé par la FIA, l’animateur a fourni à Stroll une occasion rêvée de s’avancer sur son engagement à long terme avec l’écurie dont son père est propriétaire.

« C’est là qu’est ma tête, c’est sûr », a répondu le coureur, laconique, avant de relever qu’il s’agissait d’une « question populaire » depuis quelque temps. Il a renchéri sur les projets « emballants » à Silverstone, mais n’a jamais confirmé, nommément, qu’il serait sur la grille de départ en 2025.

Plus tard dans la journée, lors d’une discussion à bâtons rompus, un reporter lui a carrément demandé s’il se verrait faire « autre chose » que de la course automobile, référence à peine voilée à la rumeur, entendue plus tôt cette saison, selon laquelle il tirerait sa révérence à la fin de 2024.

« J’ai de petits projets, a-t-il répondu. D’autres sports me passionnent – le ski en hiver, le golf… Mais en ce moment, je me concentre sur la F1. »

Le même reporter l’a relancé en lui demandant s’il s’intéressait à la mode, industrie qui a fait la fortune de son père Lawrence. « Pas autant que la course en ce moment », a insisté Stroll.

« En ce moment… », a répété son interlocuteur alors que le point de presse prenait fin.

La discussion était close… pour le moment. Car les rumeurs, elles, ne semblent pas sur le point de se taire.

Hugo Mousseau

Le « grand frère » de Lance Stroll

Avant de devenir un pilote de Formule 1, Lance Stroll a dû gravir les échelons du sport automobile, comme tout le monde. Et pour y arriver, il a reçu, pendant 10 ans, l’aide de celui qui a été son entraîneur, puis son mentor, son ami et son « grand frère » : Hugo Mousseau.

On rejoint Mousseau dans les paddocks, devant les quartiers d’Aston Martin, après la troisième séance d’essais libres samedi. À notre arrivée, sa femme et lui sont en discussion avec Marilou Bélanger, la copine du pilote québécois.

Hugo Mousseau est de ceux qui ont côtoyé Lance Stroll alors qu’il était encore tout jeune. Il nous parle d’un enfant pas nécessairement timide, mais qui « aimait faire ses petites affaires ». « Je pense que c’est encore comme ça aujourd’hui, dit-il. C’est quelqu’un qui voulait toujours performer plus. Il ne prenait jamais de pause. Ce n’était jamais assez. »

Stroll avait 8 ans quand il a commencé à rouler « pour le plaisir » au SH Karting, à Saint-Charles-sur-Richelieu, le samedi matin. À l’époque, Mousseau, 24 ans, était responsable du développement des pilotes.

« Quand il a commencé à s’enligner dans les courses, on a vu qu’il aimait ça et qu’il était très doué en partant. Là, il s’est tout de suite joint à notre équipe et [je l’ai pris] sous mon aile. »

Un passionné ? « Absolument. Lance, c’est un pilote de course. C’est juste ça qu’il aime faire et c’est juste ça qu’il fait. »

Rapidement, Mousseau a compris qu’il avait affaire à un pilote différent, qui se démarquait par sa vitesse.

« Il y en a plein, des bons pilotes. Mais des pilotes qui vont vite rapidement, il n’y en a pas énormément. Lui, c’est un pilote qui va vite rapidement. En Formule 1, c’est une autre histoire. […] Mais dans une catégorie où on est dans une situation spec, c’est-à-dire où tout le monde a les mêmes karts, les mêmes moteurs, les mêmes voitures, les mêmes possibilités d’ajustement… C’est un pilote dominant. »

Mousseau a été l’entraîneur de Stroll en karting pendant cinq ans, de 2008 à 2013. Ensemble, ils ont gagné partout où ils sont passés : au Canada, aux États-Unis et en Europe. Ils passaient, en moyenne, 225 jours par année ensemble. « C’était énorme », lâche-t-il.

En 2014, Stroll a fait le saut du karting à la monoplace, en Formule 4, puis en Formule 3. Le rôle de Mousseau, comme la carrière de son protégé, a évolué.

« Quand on est passés à la voiture, j’étais son mentor, son soutien moral, son organisateur. On voyageait ensemble. »

« Mentalement très fort »

Quand Stroll a fait sa place en Formule 1, en 2017, Hugo Mousseau a cessé de voyager au même rythme. Sa femme et lui attendaient leur troisième enfant à l’époque. Le pilote a proposé à son mentor de le suivre dans cette nouvelle aventure, mais il a refusé. « J’avais fait mon travail », dit-il.

Mousseau est néanmoins resté disponible pour Stroll pendant environ un an et demi. Le pilote, qui avait maintenant 18 ans, pouvait l’appeler n’importe quand. « C’était une transition », explique Mousseau.

Les deux hommes sont toujours en contact aujourd’hui. Mousseau est à la fois un ami et un mentor. Ils parlent tantôt de performance, tantôt des « choses de la vie, des émotions ».

« Parfois, on parle juste de la game de hockey qui s’est jouée la veille ! […] Je suis un grand frère. »

— Hugo Mousseau

Quand on demande à Mousseau de nous parler de l’évolution de son poulain au fil des années, il nous décrit un individu « mentalement très fort ». « Très, très fort », insiste-t-il.

« Lance est quelqu’un qui a eu une forte éducation, quand même très stricte. Il a fallu qu’il compose avec son nom, sa situation et ses désirs de réussir en Formule 1. […] Toujours regarder, au loin, les objectifs qu’on veut atteindre, c’est une force. Il est juste devenu plus fort à faire ça tout au long de sa carrière. »

« Un bon trip »

Lance Stroll fait souvent l’objet de commentaires mesquins et désobligeants. Si Mousseau préfère ne pas se prononcer sur l’opinion des partisans de F1 à l’endroit du pilote, il rappelle que « Lance est où il doit être parce qu’il a travaillé pour être là ». « On ne peut pas juger un livre juste par le titre », se contente-t-il d’ajouter.

L’homme de 40 ans insiste : Stroll a sa place chez Aston Martin, quoi qu’en pensent certains. « Il est capable d’amener l’auto au maximum de ce qu’elle est probablement capable de faire. »

Mousseau sera aux premières loges pour la course, dimanche. Quoi qu’il arrive en piste, il est fier de voir son protégé au sommet du monde de la course automobile et garde de précieux souvenirs des 10 ans passés à ses côtés.

« C’est un bon trip qu’on a eu ! »

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