Santé

Cinq ans d’attente dans la douleur

Souffrant intensément au quotidien, Annie-Danielle Grenier attend depuis mai 2014 pour obtenir une consultation à la Clinique de la douleur du CHUM.

« Cinq ans, c’est long longtemps quand tu souffres », lâche Annie-Danielle Grenier, atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos (SED), une maladie orpheline qui lui cause de grandes douleurs au quotidien. Elle attend depuis près de cinq ans pour recevoir un traitement approprié pour la douleur chronique

La femme de 39 ans est inscrite sur la liste d’attente de la clinique de la douleur du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) depuis mai 2014.

Or, malgré le fait que ses médecins – dont trois spécialistes – ont fait plusieurs requêtes au fil des ans, elle a reçu des nouvelles de ladite clinique seulement hier, après que La Presse eut posé des questions sur son cas au CHUM. 

La patiente a reçu un appel de la clinique, hier, lui annonçant qu’une place s’était libérée à la suite d’une annulation pour une première consultation… aujourd’hui. 

À l’Association québécoise de la douleur chronique, on confirme que les gens souffrant de douleurs chroniques attendent souvent des mois, voire des années au Québec avant d’obtenir une consultation dans une clinique spécialisée. Des cas où des malades ont dû attendre trois ans leur ont été signalés, mais jamais des délais aussi longs que cinq ans.

« Trois ans, c’est déjà épouvantable. Cinq ans, je n’en reviens pas. Pauvre elle ! »

— Céline Charbonneau, présidente de l’Association québécoise de la douleur chronique, lorsque La Presse lui a exposé le cas de Mme Grenier

La majorité des gens qui souffrent du SED – aussi appelé « maladie de l’acrobate » – comme Mme Grenier présentent une hyperlaxité des articulations et une fragilité des tissus. Les complications qui découlent de cette maladie orpheline sont nombreuses, si bien que le malade doit être suivi par plusieurs spécialistes (physiatre, cardiologue, neurologue, gastroentérologue, etc.).

« Je subis des dislocations et des subluxations plusieurs fois par jour. J’ai de l’inflammation sévère. J’ai de l’arthrose à plusieurs endroits. J’ai également des migraines et de la neuropathie, énumère Mme Grenier. Il m’arrive d’avoir tellement mal que j’en perds conscience. »

Maladie rare

Mme Grenier se demande si le fait que sa maladie est rare et méconnue n’a pas joué contre elle. Il y a deux ans, elle a appelé pour savoir où en était sa demande. Elle n’a pas eu de réponse précise, affirme-t-elle, mais on lui aurait dit qu’elle aurait sans doute des nouvelles bientôt.

Son médecin de famille, qui a rappelé à la clinique à la fin de l’an dernier au nom de sa patiente, s’est fait dire que « ça devrait être en 2019 ».

Pendant tout ce temps, les douleurs de Mme Grenier sont mal contrôlées. « Mon physiatre ne sait plus quoi essayer. Depuis le début des années 2000, j’ai dû tester l’équivalent de deux pages recto verso d’antidouleurs différents », décrit-elle.

Mme Grenier souhaite consulter un médecin spécialisé dans la douleur chronique dans l’espoir que ce dernier trouve la bonne combinaison de médicaments qui saura la soulager adéquatement.

« Quand j’ai mal à m’en évanouir, ou à en vomir, je ne vais pas à l’urgence… Je me dis qu’ils vont juste me traiter en addict qui veut des médicaments, qu’ils ne pourront pas faire grand-chose. Mais c’est peut-être là mon erreur. Peut-être que si je m’étais pointée à l’urgence du CHUM pour douleurs chaque semaine pendant quelques mois, ils auraient davantage cru à ma douleur ? »

— Annie-Danielle Grenier, atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos

Cette longue attente a eu des répercussions sur sa santé mentale. « Trop de gens dans ma situation finissent par se suicider, incapables d’imaginer une journée de plus avec une telle douleur. Je ne peux pas dire que je n’y ai jamais pensé », lâche-t-elle.

L’Association québécoise de la douleur chronique – un organisme qui regroupe plus de 8000 personnes vivant de la douleur chronique et leurs proches ainsi que des professionnels de la santé – a d’ailleurs mis sur pied des groupes d’entraide dans différentes régions pour briser l’isolement des gens aux prises avec de telles douleurs. « Beaucoup de gens souffrant de douleurs chroniques sont victimes de préjugés. Leur douleur n’est pas visible et elle ne se traite pas en 15 minutes dans un cabinet de médecin », décrit la président de l’organisme.

Une attente normale ?

La Presse a demandé au CHUM si une attente de cinq ans correspondait au temps d’attente moyen à sa clinique de la douleur. L’hôpital a répondu que le temps d’attente variait en fonction de la priorisation. « Les cas urgents sont généralement vus entre un et trois mois, les cas semi-urgents, entre six et douze mois », indique la conseillère en communication du CHUM, Lucie Dufresne, sans vouloir commenter le cas de Mme Grenier.

« Les demandes de consultation à la clinique de la douleur sont priorisées en fonction de critères préétablis tels que : la condition clinique du patient, les soins et services déjà en place pour le patient et les expertises particulières du CHUM [par exemple les cas de neuromodulation] », explique Mme Dufresne.

Actuellement, environ 1000 patients sont inscrits sur la liste d’attente de cette clinique spécialisée. Quelque 700 nouveaux patients sont pris en charge chaque année. Le CHUM est un centre tertiaire en gestion de la douleur chronique, c’est-à-dire qu’il a pour mission de traiter les patients les plus lourds et les plus complexes, précise-t-elle. 

Plus d’un Québécois sur cinq souffre de douleur chronique. Les coûts directs et indirects au Canada s’élèvent à plus de 60 milliards de dollars par an, rappelle de son côté l’Association québécoise de la douleur chronique.

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