Réseau de la santé

La santé mentale des travailleurs sous la loupe

Des chercheurs se pencheront sur la santé mentale des travailleurs du réseau de la santé, ceux-ci ayant été durement éprouvés pendant la pandémie. Quatre établissements de Montréal participeront à l’automne à un projet de recherche pour prévenir l’épuisement, l’angoisse et le sentiment d’insécurité du personnel, a appris La Presse.

Pendant, mais aussi après une crise, l’aide psychologique est le nerf de la guerre, dit le spécialiste en systèmes de santé de l’Université de Montréal Carl Ardy Dubois, qui fera partie du projet. « Avec les récentes réformes du système de la santé, on a construit de grandes organisations, mais on a négligé le soutien de proximité aux équipes de travail », explique-t-il.

Bénéficiant d’un soutien gouvernemental de 300 000 $, l’équipe élaborera ainsi plusieurs nouveaux outils interactifs. Groupes de soutien, capsules d’information, outils de gestion du stress, évaluation des besoins par l'entremise de formulaires ; le spectre sera large, promet-on. « C’est une autre approche qui mise sur la construction de l’intervention avec les milieux. On veut soutenir la résilience des travailleurs. L’idée est que ça puisse ensuite être généralisé », dit M. Dubois.

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et le CISSS de Laval participeront au projet dès le mois de septembre, tout comme le Centre universitaire de santé McGill.

« Il faut agir davantage au niveau local, dans chaque établissement. C’est là qu’on peut faire une différence. Il vaut mieux prévenir les problèmes en amont. »

— Carl Ardy Dubois, chercheur à l’Université de Montréal

D’un milieu à l’autre, un portrait différent

Au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, la directrice des programmes de santé mentale, Véronique Wilson, avoue que la situation de son groupe est enviable. « Ici, on a un nombre important de ressources et une direction très forte. Pendant la pandémie, le service de santé mentale n’a donc pas eu de délestage à faire. On a pu offrir tous les services », dit-elle.

Dans d’autres établissements, la situation est toutefois différente. Certains se fient en bonne partie au Programme d’aide aux employés (PAE), qui a été bonifié de 14 millions début mai par Québec. Il permet dorénavant d’obtenir jusqu’à neuf séances de soutien psychologique par année.

Dans l’est de Montréal, près de 11 % des employés du CIUSSS ont recours au PAE, et ce, « pour différentes raisons », indique son porte-parole, Christian Merciari. « Nous avons actuellement près de 17 000 employés qui y ont accès. La plupart le font pour des problématiques reliées à leur vie personnelle et non en lien avec des problèmes générés par des relations de travail », précise M. Merciari.

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, lui, a reçu près de 300 appels depuis le début de la pandémie par sa ligne de soutien psychologique. Au total, 1140 personnes ont été rencontrées individuellement par des intervenants psychosociaux, et 3217 autres l’ont été en groupe, confirme l’agente d’information Jocelyne Boudreault.

« Nous sommes dans une démarche pour mettre en place du soutien aux employés qui ont des symptômes de stress post-traumatique. Une application d’auto-évaluation de l’état psychologique sera bientôt disponible pour les employés », ajoute-t-elle.

Un manque d’encadrement ?

Dans les 10 dernières années, la proportion de cadres intermédiaires – qui encadrent notamment les enjeux liés à la santé mentale – a largement diminué dans le réseau de la santé. Ces mêmes gestionnaires ont dû aussi composer avec des équipes « de plus en plus grandes et diversifiées », ce qui a contribué à fragiliser le système.

« La pandémie est arrivée sur un terrain déjà très vulnérable. En 2019, on avait 7,5 % d’absence sur les heures de travail dans le réseau. Et 40 % de ces absences étaient liées à des problèmes de santé mentale », note Carl Ardy Dubois à ce sujet.

Un son de cloche similaire pour l’experte en santé publique Roxane Borgès Da Silva, selon qui le problème est beaucoup plus large qu’il ne paraît.

« Il y a des mécanismes au plan des relations de travail, certes, mais les gens qui sont au bout du rouleau n’ont pas nécessairement tendance à aller vers ces mécanismes. »

— Roxane Borgès Da Silva, experte en santé publique

À ses yeux, même les plus grands spécialistes n’auraient pas pu prévoir l’ampleur de la crise. « On a demandé à des gens de travailler de 12 à 14 heures par jour, entre mars et juillet, sans aucune pause. C’était assez fou », observe-t-elle.

Georgia Vrakas, pour sa part, est professeure au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Elle presse Québec d’augmenter l’offre de services en psychologie et en psychothérapie dans le système de santé, surtout avec le déconfinement et « les bouleversements que cela implique ».

« Le problème, c’est qu’on a énormément coupé dans la santé publique ces dernières années, parce qu’on mise sur le curatif. Or, c’est l’une des raisons pour lesquelles on paie pour aujourd’hui. Il faut vraiment donner plus de ressources en prévention de la santé mentale pour reconnaître les professionnels à leur juste valeur », conclut-elle.

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