Rester petit et jouer dans la cour des grands

Indira Moudi est convaincue d’une chose : l’humain continuera de consommer de la viande même si la commercialisation de divers substituts tels que les protéines végétales gagne en popularité auprès de certaines clientèles. La présidente et propriétaire de Viandes Lafrance, à Shawinigan, est aussi convaincue d’une autre chose : la production de viande responsable à l’échelle locale participe à la décarbonation de l’économie.

Je vous ai déjà présenté Indira Moudi dans le cadre d’une grande entrevue publiée en 2021 au cours de laquelle j’avais raconté le parcours singulier de cette ingénieure industrielle formée à Polytechnique, née d’un père nigérien et d’une mère indienne, tous deux médecins à l’Organisation mondiale de la santé, qui a fait une carrière internationale en gestion auprès de grandes multinationales de l’énergie.

En 2012, Indira Moudi est revenue au Québec pour reprendre l’entreprise familiale Viandes Lafrance, fondée en 1929 à Shawinigan, dont les représentants de la troisième génération n’avaient pas de relève pour assurer la suite.

Viandes Lafrance était le plus gros abattoir multiespèces de compétence provinciale au Québec jusqu’à ce qu’Indira Moudi obtienne, en novembre dernier, son agrément de l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

Avec cette nouvelle certification fédérale, des horizons beaucoup plus larges se sont maintenant ouverts pour cette usine de transformation locale qui peut jouer désormais dans la ligue des grands, tout en réaffirmant sa volonté de rester petite.

« On est le premier abattoir de compétence québécoise qui obtient une accréditation fédérale. On est soumis à davantage de normes et de standards, mais désormais, on peut vendre notre production dans le reste du Canada et à l’étranger, ce qu’on ne pouvait faire quand on était de compétence provinciale », explique Indira Moudi.

C’est en 2018 que l’entrepreneuse a décidé d’entamer les premières démarches pour obtenir son nouvel agrément et elle l’a obtenu en novembre dernier.

« Ç’a été un long processus, on a opéré pendant presque cinq ans avec les doubles standards, mais là, on peut vendre notre viande dans les grandes chaînes d’épicerie qui exigent une accréditation fédérale et on peut faire plus de volume parce que le régime d’inspection fédéral est plus efficace.

« On transforme en trois jours et demi ce qu’on faisait avant en cinq jours. On a la capacité de transformer 100 veaux de lait par jour, on peut tripler la production au cours des prochaines années », souligne la présidente de Viandes Lafrance.

Une économie de proximité

Il reste 23 abattoirs de compétence provinciale. Viandes Lafrance était le plus important avec une capacité de transformation deux fois plus importante que son plus proche concurrent.

« On veut rester une entreprise à échelle humaine qui transforme la production animale des éleveurs de la région. On travaille avec les producteurs locaux, une quarantaine de producteurs bovins, ovins et caprins, dont les fermes sont à un maximum de quatre heures de distance de l’abattoir », explique Indira Moudi.

On parle ici d’un modèle totalement différent de celui des grands transformateurs industriels comme Cargill ou Maple Leaf qui peuvent transformer jusqu’à 5000 ou 7000 veaux par jour, des bêtes qui doivent parfois voyager sur des centaines de kilomètres pour se rendre à l’abattoir.

« Nous, on est plus soucieux du bien-être animal. On devient une destination de proximité pour les producteurs québécois d’agneaux, de bœufs, de veaux, de moutons. »

« Il n’y a pas assez d’abattoirs fédéraux au Québec et c’est la raison pour laquelle nos producteurs sont forcés de faire transformer leurs bêtes à l’extérieur. »

– Indira Moudi, présidente et propriétaire de Viandes Lafrance

L’élevage et la transformation locaux participent aussi à la décarbonation de l’économie, alors qu’il est plus rationnel de manger de l’agneau de Charlevoix que de Nouvelle-Zélande.

Indira Moudi a fait une présentation sur la viande responsable à la dernière COP27 sur les changements climatiques, tout comme elle s’est associée à l’Uruguay lors de la COP15 sur la biodiversité pour défendre le modèle de l’élevage et de la transformation locaux.

« Les clients sont prêts à payer un peu plus cher parce qu’ils savent que nos produits sont locaux, qu’ils sont plus frais et plus goûteux. On distribue nos produits dans quelque 200 boucheries et dans les épiceries Adonis, mais maintenant, on va pouvoir élargir notre portée.

« On va aussi pouvoir transformer davantage de bêtes et mieux accommoder les éleveurs québécois de la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec », précise la présidente de Viandes Lafrance.

Indira Moudi a été formée comme ingénieure industrielle selon le modèle de la production de masse qu’il fallait implanter partout, un modèle qu’il fallait casser, convient-elle aujourd’hui. On peut rester petit et caresser de grandes ambitions. Participer à la décarbonation de l’économie en est une très noble.

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