COVID-19

Les guerrières de la santé

Ces temps-ci, les infirmières ont davantage des allures de guerrières que d’anges gardiens. Alors qu’on souligne la Semaine nationale des soins infirmiers du 11 mai au 17 mai, leur métier revêt une importance toute particulière. En pleine pandémie, trois générations de soignantes s’ouvrent sur leur profession, dont l’importance est depuis longtemps cruciale.

Les infirmières ont changé le cours de l’histoire du Québec et contribué à le moderniser.

Beaucoup de Québécoises se sont épanouies à travers ce métier, à une époque où les options de carrière demeuraient limitées pour les femmes, note Yolande Cohen, historienne, professeure à l’UQAM et auteure. Cette rare possibilité de travail rémunéré – mal payé à l’époque – représentait un pas vers la liberté.

Depuis les années 50, être infirmière est considéré comme une forme de vocation charitable. Le terme d’anges gardiens utilisé dans les points de presse le démontre, remarque l’historienne. De même, il n’est pas fortuit qu’on multiplie les métaphores de guerre pour décrire les efforts du personnel soignant.

« Le moment de reconnaissance des infirmières, ça a été quand elles soignaient les blessés à l’arrière, durant les deux guerres mondiales. C’est intéressant, car aujourd’hui, on désigne la pandémie comme une guerre et le virus comme un ennemi. »

« Ne sous-estimons pas l’importance de la santé comme élément de développement de la société québécoise. Ce travail, les infirmières l’ont fait de manière invisible, car les femmes n’ont pas encore toute leur place dans le récit historique québécois », tranche Mme Cohen.

Elles sont encore aujourd’hui les pivots du système de santé, juge-t-elle. « Les hôpitaux ne fonctionneraient pas sans elles, mais c’est comme si on continuait à les considérer comme secondaires. »

La vétérane

« J’aurais bien aimé aller prêter main-forte », soupire Lucie Larivée, 72 ans. « J’aurais été utile. Je me suis occupée de maman quand elle était malade et j’aidais les préposées », assure l’infirmière retraitée depuis 2006.

Son âge la met à risque. Elle souhaitait s’impliquer à temps partiel en zones froides. Ses disponibilités ne sont pas suffisantes, lui a-t-on dit.

Confinée, elle se rappelle son cours d’infirmière en 1965, à Québec.

À l’époque, on devenait souvent infirmière, secrétaire ou professeure, dit-elle. « Moi, je savais où je voulais aller. »

« On était pensionnaires et c’était chez les religieuses. On va me trouver vieux jeu, mais je trouve ça regrettable que ça ait changé. On était imprégnée de ce sentiment d’appartenance », se remémore-t-elle.

« C’est très administratif, maintenant : il y a des CIUSSS par-ci, des CISSS par-là. Nous autres, c’était bien différent. »

Postée au département de chirurgie, elle tissait des liens avec ses patients. Un contact qu’elle aimait par-dessus tout.

« Ce que j’entends maintenant, c’est la surcharge de travail, peu de temps pour avoir des interactions. C’est moins humain. Ce n’est pas la faute des infirmières, mais c’est rendu un peu dépersonnalisé. »

— Lucie Larivée

Elle lève son chapeau à celles qui travaillent en ce moment. « Maintenant, ce n’est pas évident, avant ou pendant la crise. Je suis curieuse de savoir ce qui motive les plus jeunes à devenir infirmière. »

Soigner les soignants

Aïssatou Sidibe rêvait d’être soignante depuis l’âge de 4 ans. Aujourd’hui, cette diplômée française d’origine sénégalaise et mauritanienne est infirmière clinicienne et présidente-fondatrice de l’association « Vivre 100 fibromes ».

Que faire quand les soignantes tombent malades, s’écroulent d’épuisement et peinent à préserver leur santé mentale ? Au milieu d’une pandémie vouée à s’éterniser, la question se pose, plaide Mme Sidibe. Installée au Québec depuis 2011, elle prône un message d’amour envers les patients, mais aussi envers les infirmières. « Le système de santé est fait pour soigner les patients, mais pas les soignants. »

« Je suis célibataire, ma famille est en France. L’isolement, je le vis très difficilement. C’est la détresse de plusieurs professionnels de la santé issus de l’immigration, et il y en a beaucoup », explique la femme de 36 ans. Pour elle, la diversité est une force dans le système de santé. 

« L’immigration est parfois critiquée et on met des bâtons dans les roues de ceux qui veulent travailler ici. Il ne faudra pas oublier leur apport durant la pandémie. »

— Aïssatou Sidibe

En 2013, elle est tombée gravement malade. Des fibromes utérins, sortes de tumeurs bénignes sur la paroi de l’utérus. Depuis, elle se fait un devoir de sensibiliser les gens à la santé physique et mentale des soignants.

« Nous ne sommes pas des superhéros. Si on ne fait pas attention à notre santé, nous deviendrons des patientes. Il faut écouter les infirmières qui tirent la sonnette d’alarme. On a besoin d’elles pour aller au-delà de la crise. »

Plonger dans la crise

Très jeune, Souad Talbi se voyait évoluer dans le système de santé. La relation d’aide et la possibilité de donner des soins avec humanité l’ont naturellement attirée. La voilà qui plonge dans la crise la tête première. Aux études en soins infirmiers, elle prête main-forte en tant que préposée aux bénéficiaires à Montréal-Nord, là où elle habite. Avant la crise, il ne lui restait que deux mois pour devenir infirmière auxiliaire.

Elle envisage son futur métier avec optimisme, malgré la surcharge de travail qui vient avec. « On l’oublie, mais beaucoup d’infirmières ont des enfants, des responsabilités. C’est un métier majoritairement féminin. Il y a une double charge. Nous sommes mères et infirmières », souligne-t-elle, débordante d’énergie.

Dès qu’elle se met à s’occuper de gens vulnérables ou en perte d’autonomie, sa nature altruiste lui permet de surmonter largement l’isolement, le stress et la fatigue.

Elle commencera à exercer son nouveau métier face à un virus inconnu. Le combat n’est pas de tout repos, mais la crise permettra de remettre les choses en perspective, nuance-t-elle.

« À l’échelle salariale, s’occuper des autres comme ça, c’est sous-estimé, mais j’ai toujours pensé que c’était un métier noble, et pour moi, ça a toujours été valorisant. Les gens maintenant le réalisent. »

— Souad Talbi

Entre reconnaissance et enjeux

La Journée internationale des infirmières, le 12 mai, et celle des infirmières auxiliaires, célébrée le 5 mai, prennent une tout autre dimension cette année.

Le rôle essentiel des infirmières auxiliaires, qui ne s’occupent pas d’évaluer les patients, demeure méconnu. Pourtant, 11 000 membres de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (OIIAQ) œuvrent auprès des aînés, affirme sa présidente Carole Grant. Soigner des plaies, changer une culotte d’incontinence : ce métier est basé sur la proximité. La cruelle ironie de la pandémie, c’est qu’elle oblige à prendre ses distances pour préserver la santé des patients.

« Pour bien des infirmières auxiliaires, c’est difficile de ne pas tenir la main. On choisit ce travail parce qu’on aime être proche des gens », souligne Mme Grant.

Beaucoup a été fait depuis deux ans pour permettre aux infirmières auxiliaires d’utiliser toutes leurs compétences, afin de garantir un environnement professionnel stimulant. « La situation s’est améliorée, mais dans certains établissements, on ne leur permet pas d’exercer leur plein champ d’exercice. Pourtant, ça délesterait les infirmières praticiennes de plusieurs tâches », explique Mme Grant.

« La crise a prouvé à quel point on manquait de bras. J’espère qu’on ne se questionnera plus et qu’on reconnaîtra notre profession à sa juste valeur. »

— Carole Grant, présidente de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec

Il faut penser au soutien psychologique des professionnels de la santé, épuisés après huit semaines d’urgence sanitaire, pense Luc Mathieu, président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). L’organisation fête cette année son 100e anniversaire.

« Au début, tout le monde était sur l’adrénaline. Là, on n’est plus dans le sprint, on est dans le marathon. Les gens se sentent seuls et abandonnés. »

L’après-COVID-19 sera l’occasion de repenser les milieux de soins et les méga-structures qui les chapeautent.

Les ratios d’infirmières actuels n’ont jamais été ajustés en fonction de l’état de santé des patients, signale Luc Mathieu. « C’est un cercle vicieux. Quand la profession n’est pas valorisée, ce n’est pas très mobilisant pour la relève. Ça reste une belle profession qui offre de multiples possibilités de développer une expertise. On sent une écoute du gouvernement, mais il va falloir plus que des remerciements. Il faut des actions. »

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