Chronique

Le bruit des petits et la bêtise des grands

Un matin de septembre, dans une petite ville de la Rive-Sud. Véronique, mère de trois enfants, s’apprêtait à aller au travail quand un inconnu a sonné à sa porte. C’était un huissier. Il lui a remis une mise en demeure. Celle d’une voisine lui réclamant 500 $ pour bris de clôture et « perte de jouissance de la vie » causée par les cris de ses enfants.

Quand j’ai entendu parler de cette affaire, j’avoue que je n’y ai pas cru. Je sais bien que les chicanes de clôture les plus banales se révèlent parfois d’une étonnante violence. Mais que l’on en arrive à reprocher à des enfants d’être des enfants défie à mon sens l’entendement.

***

J’aurais aimé que cette histoire soit inventée. Qu’elle s’effrite d’elle-même, au fil de la vérification des faits. Mais non…

L’incident à l’origine de la mise en demeure s’est produit un soir de fin d’été. On est donc dans un quartier familial d’une petite ville de banlieue, juste avant le souper. Dans la cour de Véronique, une de ses filles et une petite voisine s’amusaient à sauter sur le trampoline en criant.

Derrière la haie de thuyas, les voisins – un couple dans la quarantaine, sans enfants – n’ont pas apprécié. Pour enterrer le bruit des enfants, ils ont mis en marche leur souffleuse à feuilles, brandie comme une forme de légitime défense sonore…

« Maman ! Le voisin nous envoie de l’air avec quelque chose ! »

Véronique était sidérée. Son conjoint a proposé d’aller parler aux voisins. La discussion a dégénéré. Ça s’est terminé par un trou dans la clôture, la police à la porte et une mise en demeure cinq jours plus tard.

Une deuxième mise en demeure a suivi la semaine dernière. Il n’y était plus question de la clôture. La mère de famille y est cette fois-ci accusée de dépasser « largement le seuil de tolérance acceptable de nuisance sonore ». On la somme de mettre fin à ces « troubles sonores » jugés « anormaux », comme les « cris de [ses] enfants à l’extérieur excessifs et continus pendant de longues minutes et heures ». On lui demande aussi de garder son chien en laisse pour éviter qu’il ne se retrouve sur le terrain des voisins.

On ne précise pas toutefois si les enfants devraient aussi être tenus en laisse ou porter une muselière.

***

Vous en connaissez, des enfants qui jouent en chuchotant ? Véronique l’admet. Ses enfants, qui ont 6, 8 et 11 ans, ne jouent pas toujours en silence. Comme tous les enfants, comme les miens, comme les vôtres, il leur arrive d’être bruyants. Il est aussi déjà arrivé que son fils, qui est autiste, pousse des crises et pose des gestes inoffensifs qui ont mis en colère ces mêmes voisins. Comme la fois où, en jouant avec l’arrosoir, il a envoyé de l’eau dans leur spa et sur leur table de pique-nique.

« C’est épouvantable, comment il est autiste ! » m’a dit la voisine mécontente, intolérante et fière de l’être.

Le ton acrimonieux, elle m’a expliqué qu’elle considérait que c’était elle, la « victime » dans cette histoire depuis plusieurs années, qu’elle ne tolérait pas qu’on lui « manque de respect » et qu’elle se voyait dans l’obligation de riposter en allumant sa souffleuse à feuilles ou en mettant la musique très forte pour enterrer le bruit des enfants.

« Je n’ai pas à endurer ça, qu’il soit autiste ou n’importe quoi d’autre ! Et puis, les deux petites ne sont pas autistes, mais elles sont agitées ! On n’a pas à endurer ça ! », dit-elle en invoquant la loi sur la paix et le bon ordre du voisinage et en répétant que sa voisine est passible d’une amende pour bruit excessif. « Qu’elle arrête de lâcher lousse ses enfants ! », dit-elle, en précisant qu’elle a fait installer une caméra de surveillance pour enregistrer tout excès et en faire rapport à la police.

Tout ça peut sembler déraisonnable, mais il faut tout de même noter que la dame demeure équitable dans son intolérance. Les enfants de Véronique ne sont pas les uniques cibles de la douce voisine en croisade pour la paix. Elle s’est déjà plainte à la police des pleurs de la fille de 3 ans d’un autre voisin.

***

En est-on vraiment arrivé là ? À considérer le bruit des enfants comme une nuisance, au même titre que celui d’une tondeuse à gazon ? À vouloir dénoncer à la police les petits qui osent s’amuser dehors ?

Selon le règlement municipal de cette petite ville de banlieue, toute personne qui trouble la paix et le bon ordre du voisinage « de manière déraisonnable » est passible d’une amende. Est-ce que le bruit des enfants qui jouent peut être considéré comme quelque chose qui trouble la paix de « manière déraisonnable » ? Techniquement, oui, même si ça semble aberrant. C’est au policier d’en juger. Le règlement ne prévoit malheureusement pas d’amendes pour intolérance ou je-me-moi déraisonnables.

Rappelez-vous cette école d’Outremont qui, il y a deux ans, a reçu une contravention pour « bruit excessif » en plein jour parce qu’il y avait une fête dans la cour et que l’on avait osé mettre de la musique pour faire danser les enfants. Remarquez, ils l’ont échappé belle. En Angleterre, on a déjà vu une école carrément abolir la récréation, cédant aux pressions de voisins qui n’appréciaient pas le bruit des enfants.

Ces histoires peuvent sembler anecdotiques. Mais elles révèlent à mon sens quelque chose de troublant. Elles illustrent le rapport tordu qu’a parfois la société avec des enfants que l’on voudrait silencieux et invisibles en tout temps. Dans certaines villes du Québec, le règlement municipal interdit carrément de jouer dans la rue ! Il suffit alors d’un seul citoyen zélé pour que le droit au jeu des enfants soit bêtement sanctionné.

Il n’y a parfois rien de plus petit que la bêtise des grands.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.