OPINION SOCIÉTÉ

Mais de quoi avons-nous peur ?

La sensibilité des gens à l’effet d’être perçus comme racistes semble plus importante que le tort causé par le racisme systémique

C’est parti ! Les chaumières sont en feu : le gouvernement du Québec a mis sur pied un comité-conseil dans le cadre de sa consultation sur le racisme et la discrimination systémiques !

Le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, souffle sur les braises de l’indignation en affirmant que cette consultation n’est rien de moins que le procès des Québécois, un « procès en racisme qui va être organisé par l’État québécois contre les Québécois ».

Bernard Drainville en rajoute sur Twitter : « Le Québec n’est pas un système raciste. Cessez de vouloir culpabiliser tt 1 [tout un] peuple. » S’il y a quelqu’un qui devrait bien comprendre ce qu’est le racisme systémique, c’est bien l’architecte de la charte des valeurs qui voulait faire du profilage systémique en retirant des emplois à des femmes du seul fait qu’elle portent un foulard.

Puis il y a la peur des mots : racisme systémique. Marie-France Bazzo s’emportera dans un long discours de 3 minutes 30 sec simplement pour dire qu’elle n’aime pas le mot « systémique ». Selon elle, c’est un nouveau mot qui sert à faire de « l’intimidation intellectuelle ».

Ah bon ! Quand un concept ou une situation est érigé en système, par exemple la corruption, on dit qu’elle est systémique, comme l’a si bien démontré la commission Charbonneau. Réclamer sa tenue était donc de l’intimidation intellectuelle ? Vraiment ? D’autres diront que c’est de glisser « sur la pelure de banane » avec un mot « plus lourd de sens » que ne l’est la réalité. Vraiment ? Qu’on devrait changer l’étiquette systémique pour parler de « vivre-ensemble ». Y a-t-il expression plus fourre-tout et dénuée de sens que le « vivre-ensemble » ! D’ailleurs, pourquoi personne n’a-t-il cru bon de proposer des appellations alternatives à la « charte des valeurs » ? Pourquoi pas la « charte du vivre-ensemble » ?

Tant qu’à y être, arrêtons de parler de laïcité, parlons plutôt du vivre-ensemble. Ben non, le terme laïcité existe pour nommer spécifiquement le principe de séparation de l’État et des institutions religieuses.

On veut cacher le terme racisme systémique, tel un ado qui achète une multitude d’items pour cacher la boîte de condoms qui le rend mal à l’aise quand il passe à la caisse.

Alors de quoi ont-ils peur ?

La sensibilité des gens à l’effet d’être perçus comme racistes et de se sentir mal dans leur peau semble plus importante que le tort causé par le racisme systémique à d’autres Québécois, principalement en raison de leur peau. Plus importante que celle des personnes qu’on racise et qui n’arrivent même pas à décrocher un emploi, voire même une entrevue d’embauche ? Plus importante que le profilage racial de la police qui, comme à Val-d’Or, traite différemment les femmes autochtones ?

Leur sensibilité face à la tenue d’une telle commission, les personnes qu’on racise ainsi que les autochtones du Québec, l’échangeraient bien contre la leur, exacerbée quotidiennement par les injustices et les abus liés au racisme systémique.

Nos voisins en Ontario ont tenu, il y a 22 ans, une commission sur le racisme systémique du système judiciaire. Le 29 mars dernier, le ministre anti-racisme (oui, oui il y a même un ministre anti-racisme), Micheal Coteau, introduisait une législation pour l’élimination du racisme systémique en Ontario. Pourtant, pas de tollé en Ontario.

C’est en nommant un chat un chat que l’on combattra les injustices.

Il faudra trouver des outils et des mécanismes pour lutter contre elles, contre les inégalités et les iniquités subies par certains de nos concitoyens afin d’évoluer comme une société mature. Difficile d’être contre le progrès. Devenons donc celui que René Lévesque avait évoqué un certain soir de novembre 1976 : « … quelque chose comme un grand peuple ».

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