Elle filme un enseignant dans un bar, l’école la renvoie

Une élève de 17 ans qui a filmé un enseignant de son école sur la piste de danse d’un bar le mois dernier a-t-elle commis un crime « de lèse-majesté » ? L’école privée de Montréal qui l’a renvoyée après que la vidéo est devenue virale a-t-elle sorti la « cavalerie lourde » ? Les parents de cette adolescente réclament 215 000 $ au Collège Notre-Dame.

Un « excès de compétence », une « injustice flagrante » empreinte « de partialité, arbitraire, abusive et de mauvaise foi » : la poursuite ne mâche pas ses mots à l’égard de la décision du Collège Notre-Dame de renvoyer une élève de 5secondaire.

L’histoire commence en février dernier, dans un bar situé sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal.

Il s’agit, lit-on dans la poursuite, d’une « discothèque fréquentée par plusieurs personnes mineures, puisque ses portiers n’exigent pas systématiquement de pièces d’identité de leurs clients, particulièrement lorsqu’il s’agit de jeunes filles bien vêtues suivant les tendances vestimentaires et la mode ».

Au cours de la soirée, l’adolescente reconnaît un enseignant de son collège qui danse.

« Elle trouve cocasse de croiser un enseignant du Collège dans une discothèque » et, alors qu’elle est « sous l’influence de l’alcool », entreprend de le filmer pendant quelques secondes.

La séquence vidéo ne fait « que montrer l’enseignant qui participe à une activité publique, en l’espèce la danse », « dans un lieu public, en l’espèce la piste de danse d’une discothèque ».

L’homme « apparaît au milieu d’une foule d’individus qui dansent également […] et il n’y effectue ou appert aucun geste inapproprié ni à connotation sexuelle », lit-on dans la poursuite.

L’élève envoie la vidéo à des amis via la messagerie privée de l’application Instagram, « loin de se douter que certains des neuf amis l’ayant reçu[e] la diffuseraient à large échelle et la publieraient sur les médias sociaux, et encore moins que ladite vidéo deviendrait virale auprès des élèves du Collège ».

Une « infraction majeure » au Code de vie

Les choses se corsent quelques jours plus tard. L’élève est rencontrée par la direction, son téléphone est confisqué. Elle est « détenue contre son gré, pendant plusieurs heures, et a subi un interrogatoire inquisitoire, sans aucune justification », selon la poursuite.

Moins d’une semaine après la soirée au bar, ses parents sont convoqués au collège où on leur apprend que leur fille est renvoyée pour ce que le Collège considère comme une infraction majeure au Code de vie de l’institution et une contravention au contrat d’admission conditionnelle auquel avait souscrit l’élève en juin 2022, suivant d’autres manquements au Code de vie.

Les parents tentent alors d’inscrire leur fille dans deux établissements privés de Montréal et dans une école publique d’Outremont, qui la refusent faute de place.

Elle « risque » donc de « devoir compléter ses études secondaires au « public » et de voir ses efforts des quatre dernières années anéantis », lit-on dans la poursuite, qui allègue aussi que la qualité de l’enseignement à son école secondaire de quartier « n’est aucunement comparable à celle du Collège ».

Estimant que le Collège Notre-Dame a voulu faire de leur fille « un exemple auprès de la communauté estudiantine », les parents réclament des dommages de 215 000 $ au nom de leur fille et en leur propre nom.

Ils demandaient également à la Cour de suspendre le renvoi de leur fille. Or, depuis le dépôt de la poursuite, le Collège Notre-Dame a accepté de réintégrer son élève.

« On a réglé l’aspect de l’injonction à l’amiable [dimanche]. L’enfant a été réintégrée et a suivi ses cours depuis lundi, sans admission aucune, sous respect de contester le fond », a expliqué l’avocat des parents, MDaniel Pellerin, à La Presse.

Malgré cette entente, le Tribunal devra quand même trancher le fond du litige et la question des dommages réclamés.

Le Collège Notre-Dame n’a pas voulu commenter l’affaire parce qu’il s’agit d’une élève mineure.

Une sanction « particulièrement démesurée »

Professeur au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, Pierre Trudel a lu la poursuite à la demande de La Presse.

« Ça pose la question de savoir jusqu’où va la capacité de l’école à imposer des mesures disciplinaires pour une activité qui se tient en dehors de l’école, et c’est probablement ce que le tribunal aura à examiner si ça finit par arriver devant le juge. Y a-t-il un lien de connexité suffisant ? »

– Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal

M. Trudel observe que le lien dans ce cas est « un peu ténu ».

La poursuite allègue que le renvoi de l’élève est « sans aucune commune mesure avec les faits reprochés ». Le professeur Pierre Trudel croit aussi que la « sanction est particulièrement démesurée et sévère ».

« Je suis à l’université. En général, ça en prend plus que ça pour mériter une sanction aussi sévère », dit M. Trudel.

Et sur le fond, l’adolescente avait-elle le droit de filmer un homme en train de danser au cœur de la nuit ?

Le professeur renvoie à la fameuse affaire Duclos, qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême du Canada.

« En 1998, la Cour a bien dit qu’on ne peut pas publier l’image d’une personne sans son consentement, sauf s’il y a un motif d’intérêt public pour le faire », explique-t-il. Mais il y a des nuances : il existe plusieurs « degrés d’intérêt public », dit le professeur, et il faut aussi que la personne soit « clairement reconnaissable ».

Faire une vidéo « d’une foule de personnes sur un plancher de danse, sans qu’on ait ciblé un individu, c’est permis, ce n’est pas quelque chose d’illicite », poursuit M. Trudel, qui n’a pas vu la vidéo en question.

Alors que les réseaux sociaux deviennent de plus en plus l’extension des écoles, il s’agit d’un « cas intéressant », conclut le professeur de droit.

– Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse 

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