Refus de prêter serment au roi

Des juristes voient une brèche pour St-Pierre Plamondon

Une voie de passage existe pour permettre au chef du Parti québécois (PQ) de siéger à l’Assemblée nationale même s’il refuse de prêter serment au roi Charles III, comme il l’a répété lundi. Mais celle-ci dépendra de la bonne volonté de l’Assemblée nationale, sans quoi le débat pourrait se transporter dans l’arène judiciaire.

Mardi, le nouvel élu a convoqué les médias à la permanence du parti, à Montréal, pour réitérer son engagement pris en campagne.

« J’ai fait la demande de prêter serment au peuple québécois et non pas au roi d’Angleterre, et je demande à l’Assemblée nationale de ne pas sévir et de me laisser siéger », a-t-il expliqué lors de sa première sortie médiatique depuis la défaite historique de sa formation politique, le 3 octobre dernier.

Questionné pour savoir s’il accepterait de ne pas siéger si sa demande était refusée, le chef du PQ a éludé la question. Car selon la Loi constitutionnelle de 1867, un député élu dans une législature provinciale doit prêter serment au monarque, en la personne du roi Charles III dans ce cas-ci.

« Mon engagement, c’est de mettre fin à cette allégeance à une Couronne étrangère. C’est ce que je vais faire, et je m’attends à ce que l’Assemblée nationale ne sévisse pas. »

– Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

M. St-Pierre Plamondon a ajouté qu’en cas de refus, « rendu là, on verra on est rendus où ».

Il dit avoir l’appui des deux autres élus du parti, les députés Pascal Bérubé et Joël Arseneau, et détenir des avis juridiques démontrant qu’il n’y a pas d’obligation pour l’Assemblée nationale de sévir à l’endroit d’élus qui refuseraient de prêter serment à la Couronne britannique.

La « solution du synonyme »

Il existe bel et bien une solution vers laquelle l’Assemblée nationale et le chef du PQ pourraient se tourner, estime le constitutionnaliste Patrick Taillon, mais elle n’est probablement pas celle espérée par Paul St-Pierre Plamondon.

Patrick Taillon qualifie cette voie de passage de « solution du synonyme ». Essentiellement, le chef péquiste et ses députés s’entendraient avec le secrétaire général de l’Assemblée nationale et avec le lieutenant-gouverneur afin de prononcer un terme remplaçant le nom du souverain.

« Par exemple, [le mot] État remplace Couronne, et on comprend que ça vient remplacer le terme monarchie. Évidemment, si cette solution est bonne pour lui, elle est aussi bonne pour d’autres et alors il n’y aurait plus beaucoup de députés qui prêteraient serment au roi. »

– Patrick Taillon, constitutionnaliste

Or, si l’Assemblée nationale maintient la ligne dure et refuse la demande de Paul St-Pierre Plamondon, ce dernier, et tous ceux qui refuseraient de prêter serment au roi Charles III ne pourraient siéger au Salon bleu et toucher leur salaire de député.

Dans ce cas, Paul St-Pierre Plamondon devrait compter sur l’appui du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) pour faire adopter un projet de loi afin d’abolir unilatéralement le serment des députés, ce qui serait possible légalement, selon Patrick Taillon.

« Une patate chaude »

Toujours est-il qu’il est « très habile » de la part de Paul St-Pierre Plamondon de renvoyer ainsi la balle dans la cour de l’Assemblée nationale pour qui cette question du serment représente une « patate chaude », estime Benoît Pelletier, professeur émérite de l’Université d’Ottawa et sommité en droit constitutionnel.

« Je ne vois personne qui peut trancher. Je vois une assermentation qui va se faire sans se conformer [à la Loi constitutionnelle de 1867] et on va se retrouver dans une sorte de vide juridique. »

– Benoît Pelletier, professeur émérite de l’Université d’Ottawa

Qui plus est, selon M. Pelletier, une éventuelle contestation juridique à l’endroit de Paul St-Pierre Plamondon se solderait par une victoire de sa part dans le contexte politique actuel. « Ce serait très très sérieux qu’on empêche quelqu’un de siéger parce qu’il n’a pas prêté le serment d’allégeance à Charles III, parce qu’on est dans une époque, dans une ère, qui valorise beaucoup la démocratie, beaucoup plus qu’avant », explique-t-il.

Pas le premier

Rappelons que Paul St-Pierre Plamondon n’est pas le premier à s’opposer au serment à la monarchie. En 2018, les députés élus du Parti québécois avaient d’ailleurs prêté serment à la reine en précisant qu’ils le faisaient « d’ici à ce que le Québec soit indépendant ».

En 1970, six des sept premiers péquistes élus à l’Assemblée nationale avaient aussi refusé de prêter serment. Cantonnés aux banquettes des visiteurs, ils avaient fini par céder.

Plus récemment, les 10 députés de Québec solidaire élus en 2018 avaient accepté de prêter serment d’allégeance à la reine Élisabeth II, mais à l’abri des regards.

Mardi, Québec solidaire a indiqué que ses députés prêteront serment au roi en dernier recours et « à contrecœur » la semaine prochaine.

Or, selon Benoît Pelletier, ceux-ci ne sont tout simplement pas allés « au bout » de la démarche. « Il y avait des serments d’allégeance prêtés en cachette, des serments d’allégeance prêtés en grimaçant, je pense à René Lévesque notamment, mais je ne crois pas qu’ils soient allés jusqu’au bout », tranche-t-il.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.