SEULE DEVANT L’AGRESSEUR

Malgré la solidarité de la communauté internationale et un vote d’appui à l’ONU, l’Ukraine demeure isolée, sous les bombes. Et elle compte ses morts.

La Russie persiste et signe face à l’ONU

L’armée russe a continué mercredi de pilonner sans répit plusieurs grandes villes de l’Ukraine, répondant par une nouvelle vague d’attaques meurtrières à une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies. Celle-ci a condamné « dans les termes les plus durs » l’offensive lancée la semaine dernière par le président Vladimir Poutine.

La résolution en question, qui exige aussi le départ « immédiat » et « inconditionnel » des troupes russes, a été appuyée par une très large majorité des États membres, soit 141 sur les 193 que compte l’organisation. Outre la Russie, seuls quatre pays figurant parmi les plus répressifs de la planète, soit la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Érythrée et la Syrie, ont voté contre, témoignant de l’isolement relatif de Moscou sur la scène internationale.

L’ambassadeur de l’Ukraine Serhiy Kyslytsya a dressé avant le vote un parallèle entre les actions du président russe et celles d’Adolf Hitler en relevant que le maître du Kremlin voulait priver son pays du « droit même d’exister ».

Son homologue russe, Vassili Nebenzia, a rétorqué que l’« opération militaire spéciale » en cours visait à « pacifier » l’Ukraine et que la résolution onusienne, non contraignante, prolongerait les combats en encourageant les « radicaux de Kyiv » à s’accrocher au pouvoir.

Moscou, usant de son droit de veto, avait bloqué un texte similaire la semaine dernière au Conseil de sécurité, écartant là encore sans sourciller les multiples condamnations de l’offensive.

« Vous êtes du bon côté de l’histoire »

Le verdict des pays membres des Nations unies a été accueilli avec satisfaction par le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

« Vous êtes du bon côté de l’histoire », a assuré le chef d’État, qui a donné son aval à la tenue jeudi d’une seconde séance de pourparlers avec la Russie où doit notamment être abordée la possibilité d’un cessez-le-feu.

Une première rencontre ayant eu lieu lundi à la frontière de la Biélorussie s’était terminée sans résultat après que le camp russe eut réitéré son objectif de « démilitariser » l’Ukraine et réclamé un changement de gouvernement à Kyiv.

Parallèlement à ces développements, les dirigeants de plusieurs grandes villes ukrainiennes ont sonné l’alarme mercredi sur l’intensification des frappes et le nombre croissant de victimes civiles.

Vadym Bouchenko, maire de Marioupol, a indiqué que les tirs d’artillerie avaient été lancés en continu pendant plus de 10 heures mercredi, rendant impossible toute sortie pour venir en aide aux personnes blessées.

Des bombardements meurtriers

La ville de Kharkiv, dans le Nord-Est, a aussi été frappée durement, mais demeurait sous le contrôle des autorités ukrainiennes. À Kyiv, aussi pilonnée, une forte explosion est survenue près de la gare centrale, bondée de résidants cherchant à fuir vers l’ouest du pays.

Selon l’ONU, les attaques russes ont fait 227 morts et plus de 500 blessés parmi les civils depuis le début du conflit, le bilan réel étant sans doute « considérablement supérieur ».

L’offensive a forcé plusieurs hôpitaux à déplacer leurs patients au sous-sol ou dans des bunkers et risque d’entraîner une crise humanitaire d’envergure, a prévenu mercredi l’Organisation mondiale de la santé, qui s’alarme du fait que des établissements commencent à manquer de matériel de base.

L’évolution de la situation militaire fait craindre à plusieurs analystes que l’armée russe cherche à assiéger les villes qu’elle convoite en multipliant les tirs d’artillerie et de roquettes sans tenir compte de leur impact potentiel sur la population, comme elle l’avait fait notamment en Syrie.

Moscou change de stratégie

Lawrence Freeman, analyste militaire rattaché au King’s College de Londres, a souligné dans une analyse parue mercredi que l’armée russe avait péché par arrogance la semaine dernière en pensant pouvoir prendre des villes importantes « par la vitesse et la surprise » avec une fraction des troupes disponibles.

Elle a depuis changé sa stratégie pour se concentrer sur des frappes minimisant les pertes de soldats, mais risque d’être obligée de lancer de périlleuses offensives en milieu urbain si elle veut véritablement s’imposer.

Un siège prolongé peut constituer une voie pour faire plier la population, mais il risque de prendre trop de temps pour Vladimir Poutine, qui a besoin, juge M. Freeman, de « finir cette guerre dès que possible ».

L’ampleur des sanctions imposées par les pays occidentaux mine l’économie russe et va durement toucher la population du pays, qui risque, selon l’analyste, de multiplier les protestations en prenant la mesure de la chute de son pouvoir d’achat et du coût, humain et matériel, de la guerre.

Le régime russe a déjà fait arrêter des milliers de personnes réclamant la fin des hostilités, y compris des enfants et des personnes âgées, et pourrait être tenté de durcir encore plus son approche pour minimiser les risques de déstabilisation, écrivait mercredi sur Twitter une analyste russe, Tatyana Stanovaya.

Dans les pays occidentaux soutenant Kyiv, les conjectures vont bon train sur l’état d’esprit du chef d’État russe, qui a multiplié les mises en garde à leur égard depuis une semaine, allant jusqu’à brandir la menace nucléaire dimanche.

Les États-Unis, qui voient dans cette sortie le « summum de l’irresponsabilité », ont décidé de reporter des essais de missile balistique prévus cette semaine afin de s’assurer de ne pas alimenter les tensions et risquer un dérapage.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, doit par ailleurs se rendre ce jeudi en Pologne avant de rencontrer les dirigeants des pays baltes et de la Moldavie, qui craignent d’être victimes après l’Ukraine des visées expansionnistes de Vladimir Poutine.

Vos questions sur l’Ukraine

La journaliste Janie Gosselin, la chroniqueuse Laura-Julie Perreault et le spécialiste de la Russie Guillaume Sauvé, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, répondent à vos questions sur la guerre en Ukraine de 12 h 15 à 13 h 15 sur LaPresse.ca.

La population entre peur et espoir

Certains sont sous les bombes, d’autres guettent la menace avec appréhension. Après une autre journée de violence, les civils ukrainiens sont toujours animés par l’espoir que la guerre s’achève. La Presse a recueilli des témoignages.

Quelques heures seulement après s’être enfuie d’Irpine, en banlieue de Kyiv, Olha Shurova a vu l’édifice qu’elle habite depuis 15 ans s’effondrer sous les missiles russes sur un écran de télé.

« Je suis partie juste à temps », dit la jeune femme d’une voix douce et posée.

« J’étais à la fois choquée et soulagée. C’est bizarre de ressentir tout ça en même temps. » Chaque jour depuis près d’une semaine, elle bascule entre l’espoir et la peur.

Elle a quitté son appartement en trombe – un petit sac dans la main, son chat Fox sous le bras – pour se rendre à Kyiv chez des proches. « J’habite près d’un aéroport militaire, donc c’était déjà mieux. »

Accompagnée de son mari et de ses parents, la musicienne et professeure de français s’est retrouvée au milieu d’une capitale méconnaissable.

À leur sortie, des rues vides de civils, mais remplies de militaires. Les rares citoyens sont armés, les bâtiments sont réduits à néant, et le sol est jonché de fils électriques tordus.

« À Kyiv, nous sommes restés dans un sous-sol sans sortir. On entendait des explosions sans arrêt. La porte qui tremble. On a vite compris que c’était trop dangereux. »

— Olha Shurova, résidante d’Irpine

Elle se trouve depuis mercredi matin à Kropyvnytskyï, « dans un endroit presque sécuritaire », décrit-elle en insistant sur le « presque. »

À 320 kilomètres de la capitale ukrainienne, pas une heure ne passe sans qu’une sirène retentisse. Chaque fois qu’ils l’entendent, Olha et ses proches se précipitent avec de l’eau et des couvertures dans l’« abri ». Un sous-sol glacial et poussiéreux aux murs de briques.

Les alarmes stridentes apportent, certes, leur lot de panique : des passants courent dans tous les sens, d’autres se ruent au supermarché et prennent tout ce qu’ils peuvent, décrit Olha.

« Mais sinon, les gens, ici, sont très calmes. Ils n’ont pas vu ce qu’on a vu à Kyiv. »

Une fois dans le refuge souterrain, on ne sait jamais quand on va ressortir, ajoute-t-elle.

Les menus sacs à dos traînés tout au long du périple sont au pas de la porte, toujours prêts.

« On ne peut rien planifier, mais je pense qu’on va quitter cette ville. Ça va devenir de plus en plus risqué. J’ignore où on va aller. »

— Olha Shurova

Pas question de fuir sa patrie malgré l’instabilité et le danger, tranche l’artiste de 33 ans dans un français impeccable. Peut-être enverra-t-elle ses parents en Pologne, poursuit-elle, évasive. Mais son mari et elle ne partiront pas. « Nous sommes plus utiles ici. Par exemple, je traduis des documents en français pour les médias locaux. »

Il y a la mobilisation, mais aussi la certitude de jours meilleurs. « Nous allons gagner très vite, il n’y a pas de doute. Nous, les Ukrainiens, sommes tous hyper motivés, unis et bien organisés. Et nous sommes sur notre terre. »

Kharkhiv sous pression

À la tombée de la nuit, mercredi, Andrii Rudenko attendait toujours son train à Kharviv dans l’espoir de quitter la ville. « Je ne voulais pas fuir, mais ma copine m’a dit qu’elle ne partirait pas sans moi. »

Ils se rendront à Lviv, près de la frontière polonaise. « Si tout va bien », ajoute le jeune architecte.

Les bombes ont touché la majeure partie de la deuxième ville du pays située à 50 km de la frontière russe. Pratiquement aucun secteur n’a été épargné, frissonne Andrii.

La ville est vide, laisse-t-il tomber. L’accès aux vivres et à l’eau est limité. Quand l’écho des coups de feu l’a fait sursauter plus tôt en matinée, il a pris la décision de fuir.

« Je ne croyais jamais quitter ma ville, mais je dois me rendre à l’évidence : c’est dangereux. Je suis trop en colère pour être triste ou avoir peur. »

— Andrii Rudenko, résidant de Kharkiv

« Il y a des parties de la ville qui sont juste effacées. Ça ne sera plus jamais pareil pour Kharkiv. »

Kharkiv, ville de 1,4 million d’habitants proche de la frontière avec la Russie, a été la cible de bombardements, mardi, qui ont fait au moins 10 morts et plus de 20 blessés, selon les autorités locales.

Calme relatif à Kyiv

Universités, stations de télévision, épiceries : à Kyiv, de nombreux bâtiments ont été ravagés par les bombes ces derniers jours, soupire Oles Sharyi, photographe originaire de la capitale.

Il n’a pas quitté la salle de bains de son appartement depuis le début de l’offensive russe. « Je dors dans la baignoire. J’ai encore de la nourriture et de l’eau pour les quatre prochains jours. Après, je vais devoir sortir… »

L’immeuble qui l’abrite date de l’ère soviétique. Les toilettes se trouvent au fin fond du petit appartement.

« Je suis protégé par deux murs très solides. Je ne suis pas totalement en sécurité, mais je pense survivre. »

— Oles Sharyi, résidant de Kyiv

Il préfère ça à un sous-sol inhospitalier sans ventilation.

La peur a laissé place à l’adrénaline. Puis jour après jour, il s’est habitué aux sirènes. « C’est plus calme aujourd’hui. Seulement deux explosions. Les premiers jours, c’était une dizaine. »

Pourquoi rester ? « Je ne peux pas l’expliquer, mais je sais qu’on va gagner. »

Se déplacer n’est pas si simple, ajoute-t-il. Plus les jours avancent, plus les militaires russes compliqueront la tâche de ceux qui veulent fuir. « Je ne suis pas un expert, mais c’est un conflit imprévisible. Ils peuvent bombarder les trains et les ponts. Je pense que dans ma baignoire, je ne suis pas plus en danger que ceux qui essayent de partir. »

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