Si on avait vraiment appris de nos erreurs… boréales

Ça va bientôt faire 25 ans que le documentaire L’erreur boréale, de Richard Desjardins, a secoué le Québec en nous montrant les ravages de la déforestation.

Un récent dossier de notre journaliste Jean-Thomas Léveillé est venu nous rappeler à quel point la pression est encore forte pour que nos forêts soient essentiellement considérées comme les cours à bois de l’industrie forestière1.

Il a révélé que l’Alliance forêt boréale, une organisation composée d’élus municipaux et principalement financée par Québec, « entretient des liens étroits avec l’industrie du bois et émet des positions qui contredisent le consensus scientifique ».

Les positions de cette organisation chargée de défendre les communautés forestières sont loin de faire l’unanimité. Même au sein de ces communautés.

C’est que son discours reprend celui de l’industrie forestière. Il fait abstraction des enjeux qui touchent aux autres fonctions de la forêt et, par conséquent, à sa protection.

On fait l’impasse sur son importance pour la biodiversité au Québec, par exemple (le dossier des caribous qu’on refuse de protéger en est une illustration flagrante et navrante).

Cette nouvelle controverse démontre qu’il est plus que temps que le Québec se dote d’un nouveau chien de garde – indépendant – quant au sort de la forêt, et tout particulièrement aux enjeux liés à sa gestion.

Si on avait vraiment appris de nos erreurs quant à l’exploitation de nos forêts, on s’empresserait de créer un Observatoire national de la forêt publique.

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L’idée de créer un Observatoire national de la forêt publique a été lancée par le Centre d’étude de la forêt – qui regroupe 75 chercheurs répartis au sein de 11 universités québécoises – il y a deux ans.

Elle n’a pas pris une ride.

Avec un tel observatoire, on bénéficierait d’un regard indépendant – et impartial – sur la gestion de nos forêts, ce qui fait défaut actuellement.

Le principal parrain de cette idée est le professeur Pierre Drapeau, cotitulaire de la Chaire UQAT-UQAM en aménagement forestier durable. Un éventuel observatoire devrait, selon lui, remplir plusieurs fonctions essentielles :

  • servir de centre d’analyse et de diffusion des connaissances scientifiques sur nos forêts et leur gestion ;
  • produire des synthèses publiques sur l’état de la forêt en lien avec les stratégies et les pratiques en matière de gestion durable au Québec, ainsi que des avis scientifiques sur l’aménagement durable du territoire forestier ;
  • animer les débats et le dialogue quant au sort de notre forêt publique, entre autres dans l’espoir atténuer la polarisation.

Ce serait un peu l’équivalent d’un vérificateur général pour la forêt.

D’ailleurs, il serait crucial que Québec choisisse de remettre entre les mains de l’observatoire la tâche de produire le bilan de l’aménagement durable des forêts.

Cet exercice permet d’identifier les objectifs en matière de gestion des forêts et d’évaluer s’ils sont atteints ou pas. Or, c’est actuellement au ministère des Ressources naturelles et des Forêts de produire ce bilan.

Ça signifie qu’il est juge et partie.

Il est temps que ça cesse.

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La situation de nos forêts s’est améliorée depuis la diffusion de L’erreur boréale en 1999.

C’est incontestable.

Dans la foulée, il y a eu une commission d’étude scientifique et technique sur la gestion des forêts publiques. Elle a entre autres mené à la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier et à la création d’un poste de forestier en chef – celui-ci calcule la quantité de bois qu’on peut récolter dans nos forêts publiques chaque année.

Notons, en revanche, que le forestier en chef a un statut de sous-ministre. Certains estiment, par conséquent, qu’il est en situation de conflit d’intérêts. Et que parfois, son jupon dépasse un peu trop…

C’est l’une des – multiples – raisons pour lesquelles la confiance n’est pas à son meilleur à l’égard de Québec quant au sort de nos forêts publiques.

D’ailleurs, lorsqu’on interroge les meilleurs experts de la forêt au Québec, il est évident qu’ils restent sur leur faim.

Parce que le changement de culture souhaité, à Québec, ne s’est pas encore produit. C’est-à-dire que l’idée qu’on pourrait enfin cesser de voir la forêt uniquement comme une réserve de bois pour l’industrie ne s’est pas encore installée.

Doter le Québec d’un Observatoire national de la forêt publique serait assurément un pas très important dans cette direction.

1. Consultez l’enquête de La Presse : « Alliance forêt boréale : des maires au service de l’entreprise privée ? »

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