santé

cauchemar au cabinet

Le Dr Allan B. Climan a récemment été radié deux ans pour avoir tenu des propos à caractère sexuel en examinant une patiente enceinte. Cette histoire lève le voile sur un phénomène peu connu :  les violences obstétricales et gynécologiques. La plaignante dans ce dossier a accepté de se confier à La Presse.

« comme si je venais de vivre un viol »

« Dès qu’il a quitté la salle, j’ai éclaté en pleurs. J’étais vraiment pas bien. Mon mari m’a serrée dans ses bras. J’ai dit : “Je veux juste m’en aller, je veux juste m’en aller.” Je ne pouvais pas croire que ça venait de se passer comme ça. Pour moi, c’était inimaginable. »

C’est dans cet état que le Dr Allan B. Climan a laissé sa patiente*, après une visite de contrôle pour sa deuxième grossesse en 2015. Celle-ci a immédiatement porté plainte auprès du Collège des médecins du Québec. Reconnu coupable de paroles déplacées ou à caractère sexuel, le DCliman a été radié deux ans, en plus d’avoir à payer une amende de 2500 $. Il en appelle de la décision et n’a pas souhaité faire de commentaires.

« Mon premier accouchement a été traumatique, a raconté la plaignante. Je ne suis pas encore guérie. » L’émotion est palpable lorsqu’elle évoque ce premier accouchement par césarienne en 2011. Elle souhaitait que sa deuxième grossesse se passe autrement. « Je voulais essayer un AVAC [accouchement vaginal après césarienne]. » Elle a trouvé le Dr Climan, qui accepte de pratiquer des AVAC, après avoir essuyé un refus auprès de 15 médecins.

Lors de leur première rencontre, les commentaires déplacés que le médecin fait à la plaignante et à son conjoint – sur son « joli petit corps », sur la sexualité qui ne sera plus pareille pour le mari – n’ont pas suffi à les faire fuir. « Mon mari et moi, on s’est regardés et on s’est dit : “Est-ce qu’on continue avec ce médecin-là ?” » La recherche d’un médecin pratiquant des AVAC avait été tellement longue qu’ils ont décidé de rester.

L’examen physique a tourné au cauchemar. « Il a inséré des doigts dans mon vagin sans m’avertir. Je n’étais pas prête. Il a dit : “Ben là ! Qu’est-ce que vous pensez que j’allais faire ?” » La patiente lui a répondu qu’elle était prête à collaborer à l’examen, mais qu’elle aimerait être prévenue avant. Le médecin a de nouveau inséré ses doigts sans l’avertir. « Il a fait une vérification intérieure, très brusque, se remémore-t-elle. J’étais tendue, mal à l’aise, pas bien. »

Le médecin lui a dit que son vagin contracté était peut-être agréable pour son mari pendant l’acte sexuel, mais qu’il l’empêchait de faire son examen. Il lui a dit de se détendre. Elle a répondu : « Non, arrêtez, vous me faites mal. » Il a donc enlevé sa main et lancé : « Vous voulez avoir un accouchement vaginal et vous n’êtes même pas capable de passer un examen avec mes doigts. »

La plaignante, les pieds dans les étriers, nue et vulnérable sous un drap médical, avait la chair de poule. « Je me sens comme si je venais de vivre un viol un petit peu. »

Il lui faudra au moins un an pour comprendre qu’elle a vécu des violences obstétricales et gynécologiques.

Consentement éclairé

Ce type de violences se déroule dans une salle d’accouchement ou entre les étriers d’un cabinet gynécologique. Martin Winckler, médecin français qui a cessé de pratiquer avant de s’installer à Montréal, auteur des Brutes en blanc, a recueilli de nombreux témoignages.

Pour lui, ces violences commencent dès qu’on émet des jugements, qu’on use d’intimidation, qu’on impose des examens gynécologiques qui ne sont pas nécessaires, qu’on pratique des gestes douloureux sans prévenir et sans s’arrêter quand ça fait mal.

L’absence de consentement éclairé est souvent au cœur des violences obstétricales et gynécologiques, selon Lorraine Fontaine, coordonnatrice au Regroupement Naissance-Renaissance (RNR), un organisme communautaire féministe. Les médecins imposent des gestes sans les expliquer ni demander l’accord des patientes.

Comme pour les violences conjugales, Mme Fontaine constate une gradation dans la gravité des actes. « Il y a les mots : “ton utérus est paresseux, ton col ne fonctionne pas, t’as pas de vraies contractions”. Ça, c’est le premier niveau, dit-elle. Et là, ça monte avec de multiples touchers vaginaux, avec “c’est moi qui sais mieux”, et on impose, on menace ou on use de coercition. »

Aujourd’hui, le petit garçon que la plaignante a mis au monde par AVAC a presque 4 ans. « C’est un enfant qui fonce dans la vie, qui est solide. Il est certainement la personne la plus déterminée que j’ai jamais vue », dit-elle.

* La plaignante souhaitait témoigner à visage découvert, mais l’ordonnance de non-publication l’en a empêchée.

Pas facile de porter plainte

La patiente du Dr Climan avait son mari comme témoin lors des faits. « C’est ça qui a permis à mon cas de passer la sélection pour qu’on poursuive, reconnaît-elle. C’est plate à dire, mais si on est seule, on ne nous croit pas. » Rares sont celles qui se rendent au bout du processus de plainte. D’abord parce que c’est long. Il aura fallu près de quatre ans avant que la plainte aboutisse dans le cas du Dr Climan. Le fait que les violences viennent d’une personne en autorité les rend très difficiles à dénoncer pour les patientes, mais aussi pour les professionnels de la santé, souligne le médecin Martin Winckler. Et c’est encore plus difficile pour les nouveaux arrivants. « Une femme qui ne connaît pas le système de santé, qui n’a pas ses papiers, ne porte pas plainte », indique Ariane Métellus, consultante périnatale, membre du conseil d’administration du Regroupement Naissance-Renaissance. Pour la patiente du Dr Climan, le processus, bien que long et difficile, a été salvateur. « Je pense qu’il y a trop de personnes qui portent ça en silence », conclut-elle.

Ce qu’en pense la  profession

Les plaintes pour violences obstétricales et gynécologiques sont très rares, selon le Collège des médecins du Québec (CMQ). « Vraiment, ce n’est pas du tout quelque chose qui nous est signalé nulle part ni pour lequel on fait beaucoup d’enquêtes », indique Yves Robert, secrétaire du CMQ.

Pour lui, il s’agit avant tout d’un manque de communication. « Qu’il puisse y avoir une plainte, des problèmes de communication ou de compréhension d’une intervention qui peut paraître intrusive de la part d’une femme, c’est une chose, dit-il. Mais c’est probablement lié davantage à la communication et à l’explication de l’intervention qu’à un désir de violence. »

Selon Yves Robert, il existe une forme de « consentement implicite » lorsque la patiente se rend chez son médecin : 

« On s’attendrait normalement à avoir un examen physique quelconque quand on va voir un médecin parce que ça fait partie de l’évaluation. Maintenant, est-ce qu’on doit obtenir un consentement pour chaque geste que l’on pose ? »

— Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins du Québec

Pour Violaine Marcoux, présidente de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ), la réponse est évidente. « On ne peut pas faire un geste sans le consentement de la patiente. » Face aux agissements du Dr Climan, l’AOGQ se montre intransigeante. « Ce sont des propos inappropriés, un comportement inacceptable, a déclaré Violaine Marcoux. Ce n’est absolument pas une pratique qu’on peut tolérer. »

Les médecins sont normalement sensibilisés sur les violences faites aux femmes, poursuit-elle. « Les universités donnent des ateliers de simulation et de communication. Il existe de nombreuses mesures en médecine, en résidence et en formation continue. » Des mesures respectées par la plupart des praticiens, selon elle.

« La grande majorité des médecins vont respecter énormément leurs patientes, ils vont demander la permission pour faire les choses, dit-elle. Il faut éviter de généraliser et de mettre tout le monde dans le même panier. »

StopVOG : appel aux témoignages 

À l’occasion de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes, la Collective du 28 mai (qui allie plusieurs groupes féministes) a lancé un appel aux témoignages. L’objectif : « Montrer que ça existe et interpeller les ministres de la Santé et de la Justice, explique Nathalie Ferreira, du RNR. Ultimement, on aimerait qu’il y ait une enquête nationale sur les violences obstétricales et gynécologiques au Québec, comme en France », dit-elle. En 2014, le mot-clic #payetonuterus a regroupé plus de 7000 témoignages en France sur Twitter et a mené à une enquête nationale sur le phénomène. Toute personne ayant été victime ou témoin de tels comportements peut témoigner sur la plateforme en ligne stopvog.org et choisir si son histoire peut paraître dans des avis ou des mémoires rédigés par l’association, précise Lorraine Fontaine, coordonnatrice du RNR. Les noms des médecins et hôpitaux ne seront pas divulgués. En deux semaines, 90 témoignages ont été recueillis. Certains peuvent être consultés sur la page Facebook « STOP violences obstétricales et gynécologiques » ou sur le site StopVOG.

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