Réflexion

Voir Montréal de Vancouver

Il est beau, le centre-ville de Vancouver. J’en reviens, une seconde visite depuis des années. Les gratte-ciels y sont diversifiés, élancés. Il y règne une cohérence d’ensemble bien qu’il y cohabite plusieurs types et courants et que plusieurs présentent des éléments « signatures ». Car c’est nécessaire de se distinguer, en immobilier ; on doit vendre.

La silhouette de Vancouver s’est transformée en relativement peu de temps, et légendaire est devenue son inabordabilité. Qu’importe ; les promoteurs foisonnent, les projets à venir sont nombreux et étourdissants. Il y a une ambition palpable, un vœu de se démarquer (tout en restant muet sur le drame social révoltant qui se déroule dans le Downtown Eastside). Près de False Creek et dans le West End ont commencé à poindre de clinquants projets de « starchitectes ». On veut épater la galerie. En immobilier, on veut vendre.

Ces projets sont interchangeables d’une métropole à l’autre. À preuve, Calgary aura bientôt droit à la même tour que Vancouver, à peu de chose près. Toutes deux de la prestigieuse firme scandinave BIG. Les centres-villes des métropoles nord-américaines (voire du monde) sont presque tous affligés d’un même virus, celui de voir gros et haut. Et pour finir, ce désir contagieux d’être vu pour la quantité, l’extravagance et la grandeur des gratte-ciels a l’effet inverse : on finit par avoir la même chose partout, sauf de rares exceptions. Métropolis devient Monopolis.

Qu’est-ce qui démarque le centre-ville de Vancouver ? Pas sa silhouette de gratte-ciels seule. C’est plutôt le fait qu’il est entouré de berges et de plages sublimes et qu’il se juxtapose à un fond montagneux acéré absolument magnifique.

C’est qu’il soit si agréable de s’y promener, d’y profiter du grand air. Et les Vancouverois, du moins les jeunes professionnels croisés lors du séjour, reconnaissent d’emblée leur chance d’être si bien entourés, proches de la nature, et de bénéficier de tels paysages à couper le souffle. En revanche, les yeux s’illuminent lorsque est évoqué Montréal.

Ah ! La ville de la culture et de l’art, soupire-t-on, celle où il y a tellement de restaurants (ceux de Vancouver sont aussi très bons, doit-on souligner), qui explose de vie et de fun, la ville qui est abordable (relativement, hein, on se rappelle). On découvre vite que c’est notamment en voyageant qu’on apprend à être amoureux de Montréal. Et quand on voit les réactions quand on mentionne notre métropole. Je reconnais aussi qu’il s’agit d’un privilège d’avoir eu la chance de le vivre.

Il reste que tout le monde a de la famille ou des amis qui travaillent ou étudient ici ; un homme en Indonésie s’est mis à me dire tous les mots en français qu’il connaissait, et m’a parlé de l’Expo 67. Une femme en Italie m’a parlé de nos cathédrales. Nos universités brillent, tout comme notre automne et notre neige.

Une course inutile

Ailleurs, on connaît Montréal, et ce n’est jamais pour ses gratte-ciels. Même si nous en avons, dont certains sont même très beaux ! On parle de culture, d’art, de musique, des quartiers, des parcs, des commerces, des marchés, du mont Royal, des gens. Et si on parle du centre-ville, c’est pour son énergie festive, ses lieux historiques ; pour se remémorer la vue magnifique qu’on a du belvédère de notre jolie petite montagne. C’est pour vanter cette toile de fond verdoyante.

L’image de la ville de Montréal ne gagnera jamais à miser sur cette folle course pour la hauteur et la grandeur de ses tours, une ambition qui se résume à être « impressionnant de loin », à concevoir une ville comme une carte postale, et non à un écosystème de proximité.

C’est une course qui n’apporte à peu près rien d’utile, si ce n’est une collection de bibelots coûteux et peu durables qui seront vite perdus dans la masse des dizaines de bibelots spectaculaires qui émergent chaque année sur la planète. C’est une course qui n’améliore pas non plus l’abordabilité, voire qui y nuit. Elle n’amène ironiquement que bien peu de bénéfices réels sur le plan de la densité, une notion complexe et mal comprise, et trop souvent résumée à tort par un monde de l’immobilier mercantile comme une série de chiffres à atteindre, où la grande hauteur serait la seule solution pour lutter par exemple contre l’étalement urbain, alors qu’il en est tout autrement. Loin de moi l’idée que les gratte-ciels sont nécessairement mal ; c’est surtout qu’ils ne sont pas tant nécessaires. L’important n’est pas que la quantité, quand on parle de lieux où on vit : c’est la recherche d’une qualité spatiale et d’une perception agréable, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Cette course ne peut que ternir et affadir à long terme nos acquis, ceux d’une métropole à la fois dense et à échelle plus humaine, qui mise sur ses quartiers et sur l’énergie montréalaise, qui attire justement pour ces qualités-là.

J’ai une certaine méfiance envers ces politiciens et promoteurs qui pensent qu’il nous faut absolument de plus hauts gratte-ciels, comme si c’était un avantage ou un besoin, comme si c’était ce qui allait nous mettre sur la map : on y est déjà, pour des raisons fragiles, locales, culturelles uniques qu’il faut protéger et qui constituent des bases solides pour notre avenir en tant que milieu de vie florissant, sécuritaire et durable. Et à Vancouver, des jeunes nous envient.

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