Nommer le racisme et apporter des correctifs

Comme tout problème social, le racisme, loin d’être statique, mute et se transforme.

Ainsi, la distance est abyssale entre ses expressions classiques qui se réclamaient de la science et ses formes contemporaines, qui renvoient davantage à l’idée de la « différenciation » (Wieviorka, 1998 ; Balibar, 1988). Le sujet est sensible et complexe, et c’est ce qui explique tant de réticence et de résistance à l’aborder.

Les résistances se retrouvent et se manifestent à des degrés divers dans beaucoup de milieux, d’institutions et au sein de la population. Parler de racisme et de discrimination fondée sur la « race » n’est certes pas facile, notamment lorsqu’on se dit un État de droit, de liberté et d’égalité. Ce sont les fondements mêmes de notre société qui reposent sur un ensemble de valeurs d’ouverture et d’inclusion alors que le racisme est un déni de tous ces principes.

Parler de racisme implique que l’on pose la question des rapports de pouvoir inégalitaires et des privilèges dont jouissent certains, volontairement ou involontairement, au détriment des autres.

Parler de racisme implique également que l’on réfère à la question des inégalités sociales et « raciales » et à leur reproduction dans nos sociétés. Parler de racisme conduit inexorablement à la question coloniale et à ses effets contemporains. Collectivement, nous n’avons jamais eu autant de droits, et pourtant, les inégalités sont encore ostensibles et les manifestations de racisme ne tarissent pas. Ce constat impose que les institutions portent une attention renouvelée dans les politiques publiques en tenant compte qu’elles sont également traversées par des rapports sociaux qui évoluent.

postures institutionnelles évolutives

Récemment, le 19 juin, une résolution condamnant le racisme systémique et les violences policières a été unanimement adoptée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à l’issue d’un débat historique. L’ONU a ainsi statué qu’en filigrane de la violence raciale, du racisme systémique et du profilage racial d’aujourd’hui se cache l’incapacité de reconnaître et de confronter les séquelles de la traite négrière et du colonialisme.

L’Office de consultation publique de Montréal, pour sa part, a produit le 3 juin un rapport sur le racisme et la discrimination systémiques dans les compétences de la Ville et a conclu que « la non-reconnaissance formelle du caractère systémique du racisme et de la discrimination dont sont victimes les groupes racisés et les personnes autochtones empêche la Ville de se doter des outils nécessaires pour s’attaquer véritablement au problème ». La mairesse de Montréal a reconnu formellement le 15 juin dernier le caractère systémique du racisme et s’est engagée à le combattre.

De son côté, l’Ontario a adopté en 2017 une loi ainsi qu’un plan stratégique contre le racisme qui spécifient clairement le caractère systémique du racisme et insistent sur le lourd fardeau socioéconomique de ses effets. Une posture qui vise à s’attaquer aux racines profondes de ce mal social.

Problème social et droits de la personne

Toute action gouvernementale devrait mettre l’emphase sur les manifestations institutionnelles, structurelles et systémiques du racisme. Autrement, nous assisterons au maintien du statu quo en matière de lutte contre le racisme en préconisant une approche soft qui misera sur l’expression individuelle du racisme et qui n’engendrera pas les effets probants et substantiels escomptés.

Les membres des communautés noires, des peuples autochtones et des minorités racisées continuent d’être sérieusement désavantagés dans la société.

Pensons en outre à leur sous-représentation chronique dans l’administration publique ou encore aux taux de chômage plus élevés, aux inégalités de revenus, etc. Ces minorités sont moins susceptibles d’avoir accès à des emplois gratifiants dans les postes stratégiques de direction, comme le souligne un rapport de Statistique Canada publié le 13 août.

Les difficultés liées au fait d’être noirs, autochtones ou racisés et d’être confrontés de manière récurrente à la discrimination et au racisme structurel, institutionnel et systémique en milieu de travail et dans d’autres sphères d’activité tels que le système de justice ou de la sécurité publique, l’éducation, le système de la protection de la jeunesse, du logement, de la santé, etc., créent un profond malaise démocratique et une injustice sociale qu’il faut nommer afin d’apporter des correctifs sur une base pérenne et systémique.

Le racisme n’est pas seulement un problème social, il est également une question intrinsèque aux droits de la personne. Rappelons que la quête de l’égalité et la modernisation de la société québécoise ont constitué le fondement de la Révolution tranquille, et c’est sous cette impulsion que la société québécoise a assisté à un extraordinaire mouvement d’émancipation des femmes et de décolonisation dans plusieurs pays du Sud. C’est d’ailleurs cette histoire de transformation et de réformes sociales qui a profondément changé le Québec dans sa façon de concevoir le monde et ses liens sociaux.

Cette histoire commune nous permet de croire en la possibilité d’un changement qui contribuera à l’émergence d’une citoyenneté réelle et au plein exercice des droits reconnus dans la Charte des droits et libertés de la personne pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens du Québec.

Nous prenons aujourd’hui la parole pour appeler à des changements d’ordre systémique, structurel et institutionnel. Le premier ministre du Québec a créé un groupe de travail en juin dans l’objectif de produire rapidement un train de mesures visant à s’assurer de l’égalité de fait entre les individus. La conjoncture est favorable pour s’attaquer à la problématique du racisme systémique et à ses causes profondes ainsi qu’à ses multiples manifestations. Ne ratons pas ce rendez-vous collectif et engageons-nous dans une démarche inclusive, transparente et pragmatique pour l’égalité des droits ; en d’autres termes, pour un nouveau contrat social.

Nous insistons sur la nécessité de trouver des solutions systémiques à un problème fondamentalement structurel et institutionnel, car nier ou édulcorer ces attributs du racisme résulterait à un statu quo intenable qui ne conduirait à aucun résultat significatif et tangible pour venir à bout d’un problème social qui brime des vies, détruit des rêves et ronge le tissu social. Et c’est toute la société qui en paie le prix.

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