LUTTE CONTRE LE CANCER

UN EXAMEN À 2500 $ QUI SÈME LE DOUTE

Le cancer tue. Et fait peur. Une entreprise canadienne propose maintenant aux gens en pleine santé de passer – moyennant 2500 $ – un examen complet pour dépister des cancers et jusqu’à 500 autres pathologies. Une bonne idée ? La Presse explore les nouvelles avancées en matière de lutte contre la maladie, des plus prometteuses aux plus controversées. UN DOSSIER D’ALICE GIRARD-BOSSÉ

Vanté par des influenceurs, critiqué par le corps médical

Paieriez-vous 2500 $ pour savoir si vous avez le cancer ? C’est ce qu’offrent désormais des cliniques privées au Canada et aux États-Unis grâce à un « examen du corps entier ». L’Association canadienne des radiologistes prévient pourtant que ce service – vanté par de nombreux influenceurs – n’offre aucun avantage avéré pour la santé.

« Des informations susceptibles de sauver des vies et une grande tranquillité d’esprit. » C’est la promesse de l’entreprise canadienne Prenuvo qui réalise une imagerie par résonance magnétique (IRM) du corps entier contre 2499 $. L’entreprise prétend détecter des centaines de cancers et de maladies.

Pratiquée dans près d’une dizaine de sites aux États-Unis, cette approche médicale gagne aussi le Canada. « De nombreux Canadiens ont exprimé le souhait d’avoir davantage de cliniques à leur disposition », a déclaré l’entreprise Prenuvo. Un premier centre est ouvert à Vancouver et un deuxième centre suivra bientôt à Toronto, a appris La Presse. Une clinique à Montréal n’est pas envisagée par l’entreprise à court terme.

De nombreux influenceurs ont fait l’éloge de ce nouveau service sur les réseaux sociaux. « J’ai récemment passé ce scanneur Prenuvo et je me devais de vous parler de cette machine qui sauve des vies », a déclaré en août sur Instagram Kim Kardashian, posant devant la machine d’IRM vêtue d’un uniforme médical.

En mai, la présentatrice de télévision américaine Maria Menounos a révélé que l’examen de Prenuvo lui avait permis de détecter un cancer du pancréas. « Sachez que je m’efforce de faire en sorte que ces scanneurs soient pris en charge par l’assurance pour tout le monde », avait-elle écrit sur Instagram.

Prenuvo soutient qu’elle ne rémunère pas les influenceurs, mais offre un scanner gratuit en échange d’une évaluation impartiale.

D’autres entreprises offrent un service similaire. C’est le cas d’Ezra, qui propose également des IRM du corps entier dans ses 20 succursales, notamment à New York, San Francisco, Las Vegas, Miami et Los Angeles. Une dizaine de nouvelles succursales sont prévues aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les prochains mois.

Qu’est-ce que l’IRM ?

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est une technique d’imagerie médicale non invasive qui utilise des champs magnétiques et des ondes radioélectriques pour produire des images des organes et des tissus à l’intérieur du corps humain.

« C’est non pertinent »

Des radiologistes expriment toutefois leurs réserves devant ce nouveau service qui suscite l’engouement. « Cet examen n’est pas quelque chose de nécessaire de quelque façon. Il n’y a pas d’utilité statistique réelle. C’est non pertinent », affirme le DGrégoire Bernèche, vice-président de l’Association des radiologistes du Québec.

« Il n’y a pas [de preuves] réelles qui démontrent l’impact sur la santé. »

— Le DGilles Soulez, radiologiste du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et vice-président de l’Association des radiologistes du Québec

Le Collège américain de radiologie (ACR) a pour sa part déclaré en avril dernier qu’il n’existait aucune preuve que l’IRM du corps entier soit « rentable ou efficace pour prolonger la vie ».

Prenuvo reconnaît qu’il est nécessaire « de mener des études à long terme et à grande échelle afin de prouver [ses] pratiques de référence en matière de santé proactive. »

Santé Canada est catégorique : aucune homologation n’a été délivrée pour des IRM conçues spécifiquement pour produire des images du corps entier. Cependant, en pratique, l’organisme ne réglemente pas la prestation des services et la manière dont les instruments médicaux autorisés sont utilisés, a déclaré à La Presse Nicholas Janveau, des relations avec les médias.

Des trouvailles bénignes

Un patient sur vingt a été informé d’une découverte susceptible de lui sauver la vie, soutient Prenuvo. « Cela englobe un éventail de pathologies qui peuvent présenter un risque important pour la santé si elles ne sont pas détectées », a indiqué l’entreprise à La Presse.

Elle se vante d’ailleurs de pouvoir dépister des cancers et jusqu’à 500 autres pathologies. « Sur ces pathologies-là, il y en a les trois quarts que vous ne devriez pas voir, qui ne vont jamais vous tuer et qui sont bénignes. La seule chose que ça va faire, c’est de vous causer de l’anxiété », soutient le DBernèche.

Prenuvo dit être en mesure de détecter certaines maladies graves, mais elles n’ont tout simplement pas besoin d’être dépistées chez quelqu’un en santé, soutient le DBernèche.

« Si vous avez un abcès cérébral, vous êtes à l’article de la mort. Ça fait longtemps que le réseau public vous a pris en charge. »

— Le DGrégoire Bernèche, vice-président de l’Association des radiologistes du Québec

Chez de nombreux patients, on découvrira ce qu’on appelle des fortuitomes – ou incidentalomes –, soit des anomalies découvertes accidentellement qui sont généralement bénignes. « Il peut s’agir par exemple d’une petite tumeur bénigne très fréquente au cerveau appelée méningiome », dit le DBernèche. Ces découvertes nécessiteront toutefois des examens supplémentaires qui peuvent susciter de l’anxiété chez le patient, prévient le spécialiste.

Qu’est-ce qu’un fortuitome ?

Un fortuitome, également connu sous le nom d’incidentalome, est une anomalie découverte inopinément lors d’un examen médical ou d’imagerie réalisée pour une tout autre raison. Il peut s’agir de tumeurs, de lésions ou d’autres anomalies non recherchées au départ.

Si un « fortuitome » est détecté lors de l’examen de Prenuvo, les investigations visant à s’assurer qu’il est bénin se dérouleront probablement dans le réseau public, indique le DBernèche. Il estime que de 20 à 25 % des patients vont obtenir ce genre de trouvailles accidentelles qui vont nécessiter des investigations supplémentaires.

Encombrer le réseau

Ces trouvailles risquent d’encombrer le réseau de la santé qui est déjà bondé. « L’état des listes d’attente en radiologie est très préoccupant », dit le DSoulez.

Certains patients, qui ont par exemple une douleur abdominale non spécifiée, peuvent attendre jusqu’à trois mois pour obtenir une IRM au Québec. D’autres patients, qui ont besoin d’une prothèse de hanche ou de genou, peuvent attendre jusqu’à un an.

« Imaginons maintenant que beaucoup de personnes font ces dépistages du corps entier. On va trouver plein d’incidentalomes qui vont nécessiter une investigation dans le système de santé public, et ça peut prendre la place d’autres personnes qui ont des symptômes. »

— Le Dr Gilles Soulez, radiologiste du CHUM et vice-président de l’Association des radiologistes du Québec

Prenuvo estime de son côté que la détection précoce des problèmes de santé potentiels est la clé pour réduire le besoin de procédures invasives et coûteuses à long terme. « Cela permettra de réduire la demande écrasante créée par la nature réactive du système de santé canadien », a déclaré l’entreprise.

Un test moins performant

Il est possible de réaliser une IRM du corps en entier en une heure et demie, mais la qualité des images en sera affectée, avertissent par ailleurs les spécialistes. « Si c’était vraiment des IRM complètes de chaque organe, on en aurait probablement pour quatre heures dans la machine », soutient le DBernèche.

L’IRM proposée par Prenuvo peut repérer des pathologies qui ne nécessitent pas une grande qualité d’images, ajoute le spécialiste. « On peut faire une IRM de tout le corps en une heure et demie, mais ça n’aura pas la même précision qu’une IRM de la tête qui va prendre une heure. »

« Les gens peuvent faire ce qu’ils veulent de leur argent, mais du point de vue d’un médecin spécialiste, ce n’est pas quelque chose qu’on trouve particulièrement reluisant », résume le DBernèche. Chose certaine : « S’il y avait un bénéfice, on le ferait déjà depuis longtemps au Québec. »

Dépister plus, toujours une bonne idée ?

Depuis 1999, la Corée du Sud offre des dépistages gratuits de cinq types de cancer, soit les cancers de l’estomac, du foie, colorectal, du sein et du col de l’utérus. Pour quelques dizaines de dollars supplémentaires, les patients peuvent également obtenir un dépistage du cancer de la thyroïde. Conséquence : les diagnostics de cancer de la thyroïde en Corée du Sud ont été multipliés par 15 entre 1993 et 2011. La Corée du Sud est même devenue le pays avec la plus forte incidence de cancer de la thyroïde au monde. Pourtant, malgré l’explosion du nombre de cas, la mortalité liée au cancer de la thyroïde est restée stable. De nombreux spécialistes ont depuis remis en question le bien-fondé de cette politique de dépistage gratuit du cancer.

Sources : Université féminine Dongduk, Université de Corée en Corée du Sud et Institut du cancer Dana-Farber, aux États-Unis

Des innovations québécoises

Les scientifiques du monde entier travaillent à mettre au point de nouveaux traitements contre le cancer, des diagnostics plus précis et des examens moins invasifs. Voici quatre initiatives prometteuses qui ont vu le jour ici, au Québec.

Un vaccin contre le cancer

La science-fiction pourrait un jour devenir réalité : une équipe de l’Université de Montréal travaille à mettre au point un vaccin pour traiter le cancer. L’objectif est de programmer le système immunitaire, afin qu’il cible les protéines sur les cellules cancéreuses. En 2018, l’équipe du DClaude Perreault, professeur à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie de l’Université de Montréal, a découvert que certains antigènes, soit des protéines fabriquées par le système immunitaire, se retrouvent sur la majorité des tumeurs cancéreuses. Les chercheurs ont donc développé un vaccin à ARN, qui force le système immunitaire à détecter ces antigènes et à attaquer les tumeurs cancéreuses. « Pour le moment, on a testé notre vaccin ARN chez la souris. Les résultats sont super bons. Les tumeurs disparaissent », dit le DPerreault. Il est très optimiste pour la suite, mais demeure prudent. « Ce qui me préoccupe, c’est que les souris que l’on utilise sont toutes génétiquement identiques les unes aux autres. Chez les humains, ça va être différent, car on est tous différents », dit-il. L’équipe cherche un partenaire pour lancer les études cliniques pour tester le vaccin chez les personnes atteintes d’un cancer et qui ont épuisé toutes les autres options de traitement.

Une application pour détecter les enfants à risque de cancer

Une équipe de l’Hôpital de Montréal pour enfants a développé une application qui permet aux médecins d’identifier les enfants à plus haut risque de syndromes de prédisposition au cancer (SPC), une maladie génétique qui prédispose l’enfant à développer un cancer. « Lorsqu’on sait que c’est lié à l’hérédité, ça peut avoir un impact direct sur la façon dont on va traiter le cancer, ça nous informe que l’enfant peut être à risque d’autres cancers et ça peut nous permettre de dépister d’autres membres de la famille qui pourraient avoir le même syndrome génétique », explique l’hématologue-oncologue pédiatrique qui a conceptualisé l’application, la Dre Catherine Goudie. Environ un enfant atteint d’un cancer sur dix présente un SPC. L’application MIPOGG, offerte gratuitement, a été déployée dans les hôpitaux pédiatriques du Québec à partir de 2019. L’application est offerte en français et en anglais et est aujourd’hui utilisée dans plus de 80 pays. « Ça demeure à ce jour une application unique au monde », souligne la Dre Goudie.

Cibler les mauvaises cellules

« Avec la chimiothérapie standard, on tue toutes les cellules, autant les bonnes que les mauvaises. Maintenant, on tente de faire de la chimiothérapie ciblée », dit le DJamil Asselah, oncologue et chercheur au sein du programme de recherche sur le cancer à l’Institut de recherche du CUSM. Cette thérapie surnommée ADC, ou immunoconjugué, consiste à attacher une molécule de chimiothérapie à un anticorps qui cible les cellules des tumeurs, permettant ainsi à la chimiothérapie d’entrer dans la cellule et de la détruire. Une étude internationale utilisant cette technique et réservée aux personnes atteintes d’un cancer du sein triple négatif a vu le jour en novembre. « Le Québec est le premier centre au monde à recruter des patients pour l’étude et ça va très bien », dit-il. Jusqu’à présent, sept patients ont reçu le traitement de chimiothérapie classique et sept ont reçu le traitement expérimental. « On voit vraiment la différence », se réjouit le DAsselah. L’objectif de l’étude est de recruter 1700 patients dans le monde.

Détecter des traces de tumeurs avec une prise de sang

À l’aide d’une simple prise de sang, la Dre Julia Burnier de l’Institut de recherche du CUSM souhaite détecter les traces que les tumeurs laissent dans le sang. L’objectif de cette technique appelée « biopsie liquide » est de suivre l’évolution des tumeurs en continu. « C’est une façon de suivre les patients qui ont déjà un diagnostic de cancer, afin de détecter des changements dans leur cancer », explique la Dre Burnier. À l’heure actuelle, les médecins doivent généralement réaliser les biopsies à l’aide d’interventions chirurgicales. « Ce n’est pas facile, surtout si on pense aux patients plus âgés ou ayant un système immunitaire affaibli », dit la Dre Burnier. La prise de sang est une technique plus simple et moins invasive pour arriver au même résultat, indique-t-elle. « Dans le futur, on pense qu’on pourrait même l’utiliser pour faire un diagnostic de cancer. » Dans son laboratoire, la Dre Burnier tente de mettre en place des biopsies liquides pour les cancers du sein, de la tête et du cou, du colon et du poumon et souhaite qu’elles soient utilisées à court terme dans les hôpitaux.

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