Coucher avec ses étudiantes

Bien sûr que ça existe, des histoires d’amour à l’université entre un prof et une étudiante qui se poursuivent au-delà d’une session. En tout cas, ça existe pas mal dans les romans, c’est même un cliché chez certains auteurs, et qui sait si cela n’a pas contribué à l’image romanesque d’une telle relation. Une écrivaine comme Marie-Sissi Labrèche a contribué à la défaire avec son roman La brèche en 2002, qui m’avait convaincue de ne jamais coucher avec un prof.

J’ai évité cela quand j’étudiais en littérature à l’UQAM parce que mon prof préféré, celui avec qui j’allais prendre un verre après les cours, était homosexuel. Ensemble, nous n’avons fait que ça, parler de littérature (et de Marguerite Duras) pendant des heures. Il a été pour moi un mentor, dans le plus beau sens du terme. S’il avait été hétéro, il n’est pas sûr que j’aurais résisté à ses avances, tellement il avait d’ascendant sur moi et tellement je voulais lui plaire, pendant cette courte période de mon existence, si fondamentale.

Mais dans les années 1990, le cliché était solidement ancré dans la vraie vie. Il était accepté. En 2022, il est éculé, il me semble. Dans ce temps-là, on finissait par connaître les noms des profs qui voyaient l’université comme un sérail de chair fraîche renouvelable chaque année, dans un département où les étudiantes (mais pas les professeures) étaient majoritaires. Un de mes ex qui étudiait en biologie envisageait presque de changer de programme pour se trouver une blonde, tellement la talle de jolies filles intellos était grande. Je me demande parfois si, plus que par amour de la littérature, ce vivier n’a pas décidé de certaines vocations chez des gars qui sont devenus professeurs de lettres.

Quand j’ai lu mercredi les actes reprochés au professeur Samuel Archibald, j’étais déçue, mais pas surprise. Son nom circulait depuis quelque temps dans une liste de dénonciations, sans que l’on connaisse les détails.

J’avais beaucoup aimé son recueil Arvida, paru en 2011, qui a créé son rayonnement médiatique, j’aimais aussi la façon dont il mélangeait la culture pop et la littérature, et nous avions en commun une obsession pour les films d’horreur – j’ai souvent échangé avec lui à ce sujet. Mais s’il a franchi la ligne avec ses étudiantes, je n’ai pas de compassion. Pas après #metoo, et la réflexion qui s’est développée sur les rapports de pouvoir à l’université. Un prof ne peut pas ne pas savoir dans quoi il s’embarque aujourd’hui s’il séduit ou harcèle une étudiante dont il dirige le mémoire ou la thèse. Man, c’est ton ostie de problème.

La séduction fait partie de l’enseignement. On se lance dans des années d’études bien souvent parce qu’on est passionné par quelque chose, et avide d’apprendre, de recevoir un savoir. Le professeur et écrivain Yvon Rivard a publié un essai sur ce sujet en 2012 chez Boréal, Aimer, enseigner, où il rappelle que l’enseignement est « un métier de partage et d’éveil du désir ». Je le crois aussi. « Plus le professeur éveille ce désir, plus il s’expose à être pris et à se prendre pour Dieu », écrit-il.

Quand on aime un prof qui nous offre ce savoir, ainsi qu’un regard sur notre éveil souvent plein de complexes et d’espoir, on peut l’aimer très fort, et je dirais que dans ce rapport de séduction, si les étudiantes sont en danger lorsque sévit un prédateur, les profs aussi font face à un danger : celui de la tentation.

Car tous les étudiants veulent séduire leurs profs, et ce n’est pas de nature sexuelle. Nous rêvons secrètement qu’il puisse voir en nous l’intelligence, le talent, voire le génie. Ce qui lui donne un pouvoir démesuré sur la vision que nous avons de nous-mêmes, alors que toute la classe est suspendue à ses lèvres, qu’il décide de la note finale des travaux, et parfois même d’une bourse ou d’un poste.

On entend souvent cet argument qu’à l’université, les étudiantes sont majeures et vaccinées. C’est vrai, mais elles sont encore jeunes et dans un rapport de pouvoir très déséquilibré. Quand un professeur jette son dévolu sur l’une d’elles, celle-ci est bien souvent dans l’illusion d’être « élue » parmi toutes les autres, qu’un coup de foudre intellectuel a eu lieu. Mais c’est rarement à l’intellect que ces profs-là s’intéressent et c’est précisément cela qu’ils détruisent chez leurs étudiantes quand ils couchent avec elles. Car que vaut alors leur évaluation d’un travail acharné et sincère sur leur mémoire ou leur thèse, non seulement aux yeux des autres, mais à leurs propres yeux ? Pendant combien de temps une étudiante peut-elle traîner ce doute dans sa carrière et dans sa vie, pour avoir cru être aimée par celui-là même dont la vocation et la responsabilité sont de l’amener au bout d’elle-même et non dans son lit ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.