Mon clin d’œil

Il n’a jamais fait aussi chaud au Royaume-Uni, God chauffe the Queen !

Témoignage

Mourir dans un cubicule

A-12. Cette lettre et ce chiffre désignent l’emplacement du cubicule d’isolement de la salle des urgences où a été admis mon père, le 12 juillet dernier. Il avait la COVID-19. Il est donc normal qu’on l’ait isolé.

Il a développé des complications pulmonaires. Le médecin nous indique alors qu’il va demeurer à l’hôpital afin que soit suivi son état qui, selon lui, pourrait basculer d’un côté comme de l’autre. Ma fille et moi, nous nous attendions au pire, mais nous gardions tout de même une lueur d’espoir pour lui.

Durant la matinée du 14 juillet, ma fille s’est rendue à son chevet. Je l’ai rejointe sur l’heure du midi. Mon père était conscient, mais avait de grandes difficultés à respirer. Ma fille a actionné la cloche d’appel. Au bout de 15 minutes, voyant que personne ne se pointait, elle a décidé d’annuler l’appel. Ce furent les plus difficiles et les plus belles minutes de nos vies.

Nous lui tenions chacun une main tout en tentant de respirer à sa place. Tout à coup, ses yeux se sont tournés vers le ciel et il a poussé son dernier souffle. Ses mains ont relâché notre étreinte.

Malgré notre grande peine, nous étions heureux d’être avec lui jusqu’à la fin. Ce qui ne fut pas le cas lorsque ma mère, elle aussi atteinte de la COVID-19, hébergée dans un CHSLD, se voyait interdire la présence de ses proches. C’était la consigne de l’époque.

Quarante-cinq minutes plus tard, j’ai interpellé un membre du personnel pour lui annoncer le décès de mon papa. Elle m’a offert ses condoléances. Deux heures et demie plus tard, après lui avoir fait nos adieux, nous avons décidé de partir. Eh bien, croyez-le ou non, aucun membre du personnel, pas même le médecin, n’ont daigné entrer dans le cubicule afin de vérifier nos dires, à savoir si le monsieur du A-12 était bel et bien décédé !

J’ai choisi de ne pas nommer l’hôpital, mais ce genre de situation pourrait se produire dans n’importe quel centre hospitalier du Québec, des endroits où le personnel est débordé depuis bien avant la pandémie. De plus, le patient du A-12 était vieux. Mourir à 98 ans devient normal. Je dirais même que c’est banal dans un hôpital où, faute de personnel, l’on pratique ni plus ni moins que de la médecine de brousse.

Cela dit, je ne souhaite à personne d’être le A-12. En écrivant ce texte, je me dis peut-être que les décideurs seront sensibles à la détresse qui se vit dans notre réseau de la santé. Réseau qui ne fait plus l’envie des autres. Détresses vécues au quotidien par le personnel, par les patients et par leurs proches.

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