Cancer

Une prière urbi et orbi pour les patients

Le pape offre périodiquement une prière urbi et orbi à la ville et au monde. Vœux de paix, santé, spiritualité s’adressant à tous. Un appel à des actions pour aider notre condition d’humains sensibles et mortels.

La religion continue à moduler l’histoire, mais là n’est pas notre propos. Cette prière papale trouve référence dans une initiative scientifique et sociale. La Harvard Business Review1 faisait récemment référence au projet Orbis. Cette initiative publique, axée sur l’excellence des soins oncologiques, vise à niveler entre les juridictions les différences d’accès aux diagnostics et traitements novateurs du cancer.

Les estimations présentées dans cet article sont accablantes : les retards dans la caractérisation génique des tumeurs et l’approbation de nouvelles thérapies anticancéreuses coûtent des centaines de milliers d’années de vies.

Notamment, l’immunothérapie pour le cancer du poumon réduit le risque de décès de 38 %. Une année de retard dans l’introduction de cette avenue s’est soldée par le décès d’environ un tiers des patients atteints de cancer du poumon puisque la survie médiane sans immunothérapie est de 12 à 18 mois.

Le Québec et le Canada font partie du triste contingent de pays qui occasionnent et subissent ces réductions de l’expérience humaine. Tant en raison du processus bureaucratique pour l’approbation de mesures diagnostiques et thérapeutiques (Santé Canada) qu’en raison de la lenteur des décisions de les rembourser et financer (autorités provinciales), des citoyens sont obligés d’attendre. Attente pour analyser des gènes visant à identifier des caractéristiques tumorales rendant potentiellement susceptible à un traitement ciblé. Attente pour que des thérapies nouvelles prouvées efficaces et disponibles dans d’autres pays deviennent disponibles en sol québécois et canadien.

Qu’est-ce qui nous distingue tant pour expliquer ces retards ? Des données exigées par les autorités réglementaires plus complètes et extensives pour s’assurer de la sécurité des patients avant d’approuver une nouvelle thérapie ? Pas du tout. Le dossier d’homologation est généralement extrêmement similaire à celui qui mène plus rapidement à une utilisation clinique ailleurs, et aux États-Unis en particulier.

Ainsi, pourquoi une attente d’un à deux ans de plus ? Aucune raison, sinon l’inertie d’une machine qui se complaît dans son pouvoir de décider du sort d’une population vulnérable.

Alors qu’en condition de COVID-19, sous pression politique, cette même machine a procédé en des temps records à l’homologation des nouveaux vaccins et thérapies antivirales.

Pourtant, chaque année de retard de thérapies ou options diagnostiques a proportionnellement le même impact en années de vie que la COVID-19. Mais cette variation en lien avec le cancer est peu mesurable. Pour la COVID-19, on tente de juguler la perte d’années de vie. Pour le cancer, on veut accroître la survie de personnes atteintes. Qui plus est, l’absence de données adéquates, de registre, rend impossible de formellement mesurer l’impact de mesures de santé, comme l’accès à un diagnostic complet en temps opportun ou à un nouveau traitement.

Et si on se réfère aux données de la Société canadienne du cancer2, la prévalence du cancer exige la mise en place d’un plan concerté et générateur d’espoir, voire d’empathie, au-delà de l’empressement à valoriser l’aide médicale à mourir.

Par ailleurs, l’amélioration des soins et de la survie ne se traduit pas que par de nouvelles thérapies, mais aussi par l’identification des individus qui nécessitent un traitement plutôt qu’un autre. Une étude canadienne publiée dans le Journal of the National Comprehensive Cancer Network3 a récemment démontré une amélioration significative de la survie pour les femmes atteintes d’un cancer du sein depuis 30 ans, tant par l’émergence de thérapies ciblées que par l’exclusion de thérapies non requises analysant une analyse moléculaire de la tumeur.

L’application de données scientifiques se traduit donc par une amélioration de la survie, mais aussi de la qualité de vie.

En jargon médical, on parle de morbidité des traitements. Elle est généralement moindre avec les thérapies plus adaptées, ciblées. D’où la nécessité encore plus pressante de modifier les modèles de soins pour intégrer les approches novatrices.

Par ailleurs, les mesures les plus performantes sont celles qui permettent d’éviter, de prévenir le cancer ou de le détecter précocement. À cet égard, il y a aussi lieu de revoir les processus en place au Canada et au Québec plus spécifiquement, où le dépistage systématique n’est établi que pour le cancer du sein, oubliant des programmes pour les cancers du côlon ou du poumon pour ne nommer que ceux-là.

Reste l’aspect économique. Est-ce que la proposition d’adopter rapidement les mesures diagnostiques et thérapeutiques s’oppose à la capacité de payer ? Cela nécessite l’initiation d’un débat social. Des modélisations à long terme devront être projetées déterminant la valeur d’années de vie gagnées chez les personnes atteintes du cancer et les coûts additionnels liés à l’amélioration des soins. Estimation difficile à établir, mais l’augmentation nette du nombre de cas attendue dans les prochaines décennies oblige à s’astreindre à un tel exercice.

De fait, les propos politiques causent trop souvent une inertie, une altération cognitive qui s’acharne à comparer au passé plutôt qu’à planifier l’avenir.

Il en est ainsi en oncologie alors qu’on n’a pas prévu avec précaution l’augmentation de l’incidence et la quantité de soins nécessaires pour y faire face.

Au Canada, et au Québec en particulier, souhaitons en oncologie une vision Orbis, visant à offrir ici ce qui s’offre de mieux ailleurs. On a beaucoup commenté l’accessibilité globale aux vaccins pour la COVID-19. Nous croyons qu’il en est de même pour les soins oncologiques, nécessitant une globalisation des connaissances, de leur diffusion et de leur application.

Urbi et orbi. À la ville et au monde. À la mesure et à temps pour chaque patient qui souffre ou souffrira du cancer ou de ses conséquences.

1. Daly et al., Harvard Business Review, October 2022

2. Consultez le récent rapport de la Société canadienne du cancer

3. Kirkham et al., Journal of the National Comprehensive Cancer Network, Sept. 2022

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