Racisme systémique

Ce mot que Monsieur Legault ne veut pas prononcer

Monsieur Legault, la mort tragique de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette est un des moments les plus sombres de la relation entre le Québec et les nations autochtones.

Le déni et l’inaction ne sont plus possibles. Faut-il rappeler que, quand les colonisateurs français sont arrivés ici, en Amérique, les Premières Nations qui y vivaient leur ont tendu la main ? Et que les traités qu’ils ont accepté de signer avec la France étaient des ententes de coopération et d’assistance mutuelle ?

Le renversement du rapport démographique et la perte de statut d’alliés militaires et économiques des peuples autochtones au début du XIXe siècle ont toutefois contribué à détériorer les relations. En 1857, bien avant l’adoption par le Parlement fédéral de l’Acte des sauvages (ancien nom de la Loi sur les Indiens), la Province du Canada-Uni dont faisait partie le Bas-Canada a adopté l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette province. Cette loi, comme d’autres qui la suivront aux XIXe et au XXe siècles, allait distordre notre compréhension des peuples autochtones et contribuer à institutionnaliser insidieusement « l’Indien » comme « sous-personne ».

Quand un groupe de citoyens est marginalisé à répétition et depuis des décennies par les institutions publiques en raison de sa race, comme le démontre le rapport de la commission Viens, il s’agit bel et bien de racisme « systémique ».

Les insultes de l’infirmière et de la préposée de l’hôpital de Joliette adressées à Mme Echaquan sont du racisme explicite, direct, putride. Un racisme qui ne cache pas son nom. Le racisme systémique, quant à lui, s’exprime lorsque, dans une institution publique, les conditions permettent que soient tolérées des actions comme celles-là. Des actions qui, s’il s’était agi de notre mère, nous arracheraient des larmes de rage.

Il s’agit donc bel et bien de racisme systémique. Si les employées sont à blâmer pour leurs paroles, leurs supérieurs ont une responsabilité encore plus grande, car ils ont accepté qu’une telle culture soit tolérée dans leur établissement. Rappelons que Mme Echaquan était à l’hôpital, une institution dont la vocation est de soigner et de guérir. Non seulement lui a-t-on refusé le droit de vivre dans la dignité, mais on a salement désacralisé les dernières heures de sa vie.

M. Legault, nous ne voulons plus vivre dans un Québec qui n’ose pas affronter ses démons. Qui espérez-vous épargner en refusant de reconnaître le caractère systémique et documenté du racisme à l’encontre des Autochtones ? Qui croyez-vous blesser en faisant un tel aveu ? En passant, mettriez-vous en doute que les Canadiens français faisaient l’objet de racisme systémique avant les années 70 ? Selon un sondage mené en juillet 2020, la très grande majorité des Québécois considèrent que les Autochtones font l’objet de racisme et que les Premières Nations ne sont pas traitées sur un pied d’égalité avec les Québécois non autochtones dans les structures gouvernementales.

Nous vous demandons de reconnaître, en tant que premier ministre, que le racisme qui gangrène nos institutions doit être éradiqué. Cela ne veut pas dire que tous les Québécois et tous les fonctionnaires du Québec sont des racistes. Vous êtes trop intelligent pour ne pas le savoir. Cela veut dire qu’il existe une culture institutionnelle qui autorise de traiter les Autochtones comme des personnes de seconde zone. Une culture du « cela va de soi, c’est juste une Indienne, après tout ».

La mort inacceptable de Joyce Echaquan vous donne une occasion de changer l’histoire et de montrer que les Québécois sont prêts à refonder leurs relations avec les Premières Nations. Nous en sortirons tous gagnants, car les cultures et les visions autochtones nous enrichissent collectivement.

Nous parlons souvent des deux solitudes canadiennes, mais il existe une troisième solitude sur le territoire du Québec : celle des Autochtones. Et c’est la plus terrible, car ils la vivent dans le mépris.

Montrez-nous qu’au Québec, les peuples autochtones ne se réduisent pas à n’être que des opposants ou des alliés du développement économique. Montrez-nous que leur humanité, faite comme la nôtre de forces et de faiblesses, dépasse leur simple utilité pour l’économie québécoise. Montrez-nous qu’ils comptent comme êtres humains à part entière.

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