Prévention de la fraude

Les dirigeants sont-ils trop naïfs ?

Ils créent des employés fantômes pour récupérer leur rémunération, empochent l’argent des clients qui paient comptant, se font passer pour le président et demandent à un employé de réaliser une transaction… Les fraudes financières sont fréquentes en entreprise. Or, 80 % des patrons québécois évaluent ce risque comme très faible ou modéré, d’après un récent sondage réalisé pour le cabinet de comptabilité et de services-conseils MNP.

« C’est de la naïveté : les dirigeants pensent qu’il n’y aura jamais de fraude dans leur entreprise », affirme Julien Le Maux, professeur au département de sciences comptables de HEC Montréal.

Pourtant, d’après l’Association of Certified Fraud Examiners, la fraude représente en moyenne 5 % des revenus d’une entreprise.

Les risques de fraude ont d’ailleurs été accrus avec la pandémie, alors que les dirigeants en avaient plein les bras avec les mesures sanitaires à mettre en place. « Des mises à pied ont aussi pu affecter le contrôle des fraudes, alors que pendant les périodes de changement, les fraudeurs sont particulièrement alertes parce qu’ils savent que les gens sont moins bien organisés », remarque Corey Anne Bloom, associée et chef d’équipe pour la région de l’est du Canada au Service d’enquêtes et de juricomptabilité chez MNP.

Contrôler et former

Pour dissuader les fraudeurs, il faut mettre en place des contrôles. « Plusieurs dirigeants de PME ont peur que les contrôles nuisent à l’atmosphère familiale de l’entreprise, mais ils doivent savoir que les contrôles sont aussi une façon de protéger leurs employés, affirme Mme Bloom. Il est possible par exemple qu’un fraudeur essaie de faire accuser d’autres employés à sa place, et un système de contrôle peut le déceler. »

Une PME peut tout de même s’en tenir à un processus simple. Par exemple, un petit groupe peut réaliser des contrôles une fois ou deux par année.

« Pourquoi ne pas déterminer au hasard quels seront les départements à passer sous la loupe ? On peut aussi cibler certaines fonctions clés à contrôler plus régulièrement. Ainsi, chacun sait qu’il risque d’être contrôlé. Et c’est important que ce ne soit pas routinier, parce que connaître la routine aide à frauder. »

– Julien Le Maux, professeur au département de sciences comptables de HEC Montréal

Il faut aussi former ses employés. « C’est peu dispendieux et c’est important pour qu’ils soient au courant des types de fraudes fréquentes et de leurs récentes évolutions, parce que les fraudeurs raffinent toujours leurs techniques pour continuer à frauder », affirme Simon Gaudreau, directeur en juricomptabilité chez MNP.

Il faut aussi, comme employeur, avoir un code de conduite. « Lorsqu’on explique clairement les comportements inacceptables dans l’entreprise, on peut les réduire, indique Mme Bloom. Il faut aussi énumérer les mesures en place pour dissuader la fraude et poser les gestes en conséquence. »

Quel est le profil du fraudeur ?

Si mettre le doigt sur les fraudes dans une entreprise peut être compliqué, il semble que ce soit plus facile de deviner qui fraude. Les premières personnes à suspecter sont celles qui ont la pleine confiance du dirigeant, d’après Julien Le Maux. « Comme on leur a accordé toute cette confiance, on ne les a pas surveillées », souligne-t-il.

Puis, il nomme trois éléments à observer. D’abord, il y a la pression financière. « Souvent, la personne a des dettes », affirme-t-il.

Ensuite, il y a la tendance à rationaliser. « Par exemple, la personne dira qu’elle n’a pas vraiment fraudé parce que le produit est vendu trop cher, indique M. Le Maux. Ou que comme sa demande d’augmentation de salaire a été refusée, elle se sert elle-même, parce qu’elle le mérite. »

Enfin, il faut sentir l’occasion de frauder. « Les employés doivent avoir peur de se faire prendre : c’est ce qui les dissuade le plus », ajoute le professeur.

Que surveiller d’autre ? « L’employé qui ne veut jamais prendre de vacances, affirme M. Le Maux. La personne qui prendra sa place pendant son absence pourrait découvrir ses manœuvres. »

Il faut aussi jeter un coup d’œil aux voitures des employés et vérifier si leur valeur est cohérente avec leur salaire, ajoute-t-il. « Bien sûr, cela peut s’expliquer par un héritage ou le salaire du conjoint, mais ça donne une bonne idée quand même. »

À ne pas négliger non plus : l’analyse des antécédents judiciaires. « Même pour une PME, indique Mme Bloom, c’est important. »

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