Peut-on espérer la fin des paradis fiscaux en 2023 ?

Après plus d’un siècle de paradis fiscaux sur la planète, peut-on réellement espérer en voir la fin en 2023 ? La question est plus importante que jamais alors que les citoyens, fatigués par la pandémie, doivent maintenant faire face à une crise environnementale qui s’accélère, à une vague inflationniste et à une possible récession qui coupent littéralement les jambes à plusieurs d’entre eux.

Dans Les investissements directs étrangers sous la loupe, publié par le gouvernement canadien, on peut lire : « Fait intéressant, un certain nombre d’économies des Caraïbes figurent parmi les 10 principales destinations de l’investissement direct des Canadiens à l’étranger : les Bermudes, les îles Caïmans et la Barbade. » Non, ce n’est pas qu’un fait intéressant, c’est aussi un fait choquant et décourageant. Ces trois pays figurent parmi les pires paradis fiscaux au monde et les Canadiens demandent qu’on règle ce problème depuis des années.

Si l’on ajoute le Luxembourg à la liste, les investissements des Canadiens dans ces pays totalisaient 250 milliards de dollars en 2021. Vingt ans plus tôt, quand je commençais la rédaction de Ces riches qui ne paient pas d’impôt et que je me scandalisais publiquement face à la question des paradis fiscaux, ce chiffre était de 50 milliards.

Or, malgré la puissance de ce phénomène qui prend de l’ampleur depuis 100 ans, il est permis d’espérer que 2023 pourrait marquer la fin des paradis fiscaux, du moins en bonne partie.

Cet espoir vient du fait qu’il est prévu que les multinationales seront soumises à un impôt minimum mondial au taux de 15 % dès 2023.

Depuis la fin du secret bancaire, rappelons qu’il est devenu pratiquement impossible pour les citoyens de faire de l’évasion fiscale grâce aux paradis fiscaux sans se faire repérer par les autorités fiscales. Or, pour viser les multinationales, il manquait une pièce maîtresse et c’est l’impôt minimum mondial (IMM) en empêchant les multinationales, qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros, d’abaisser leur taux d’imposition effectif en deçà de 15 %, notamment par le recours aux paradis fiscaux.

L’IMM a été adopté en octobre 2021 par près de 140 pays et administrations, représentant 90 % du PIB mondial total. Or, l’histoire abonde en décisions et accords que les pays finissent par ne jamais respecter. L’Accord de Paris en est probablement le plus récent exemple connu. Alors, où en est-on avec la mise en place de l’IMM ?

De nombreux pays, comme le Canada, Singapour et Jersey, ont lancé des consultations sur la manière d’implanter la mesure.

Difficile unanimité

Du côté de l’Union européenne (UE), les États membres ont eu beaucoup de mal à obtenir l’unanimité nécessaire sur cette directive. Durant la dernière année, la Pologne et l’Estonie s’opposaient à la mesure ; puis la Hongrie, qui avait pourtant déjà donné son accord en 2021, bloquait l’entente depuis juin 2022 en invoquant l’impact économique de la guerre en Ukraine. Or, après des mois d’intenses négociations, les États membres de l’UE sont parvenus cette semaine à un accord sur l’introduction de l’IMM dans le droit fiscal d’ici la fin 2023, pour une entrée en vigueur dès 2024.

Du côté des États-Unis, un impôt minimum de 15 % a effectivement été adopté à l’été, mais il s’agit d’un impôt distinct et non conforme avec l’IMM. Si les deux impôts sont en apparence similaires, en réalité il y a des différences importantes. Par exemple, cet impôt minimum américain s’applique au revenu global de la multinationale, contrairement au revenu calculé par pays d’opération tel que le préconise l’OCDE, ce qui fait craindre que cela n’empêchera pas l’utilisation abusive des paradis fiscaux.

Il est difficile d’imaginer l’IMM en pratique sans que les États-Unis soient de la partie. Son implantation mondiale sera donc peut-être reportée de quelques mois pour permettre la mise en place d’une mesure coordonnée avec les États-Unis et pour donner le temps à chacun des pays de l’inclure à sa fiscalité.

Mais les difficultés économiques et possiblement sociales des prochains mois pourraient aussi réduire le niveau de tolérance des citoyens face aux paradis fiscaux et placer les décideurs politiques face à la nécessité d’agir rapidement.

Bien que l’IMM soit la plus importante mesure jamais instaurée au niveau international dans la lutte contre les paradis fiscaux, elle n’y mettra pas un point final, notamment parce qu’elle comporte une clause spéciale nommée « exclusion de substance » qui permet aux entreprises de payer un taux d’imposition inférieur à 15 % dans les pays où elles ont de nombreux employés ou des actifs corporels. De plus, elle ne vise pas les plus petites multinationales. Également, un tiers des pays, représentant plus 2 milliards de personnes, n’ont toujours pas accepté de se joindre à l’initiative.

Le 20 avril 1961, le président John F. Kennedy recommandait au Congrès américain l’élimination du « projet de paradis fiscal » partout sur la planète. Plus de 60 ans plus tard, espérons que nous entrons dans nos années chanceuses et réussirons enfin à endiguer ce fléau.

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