Répliques

Réforme de la loi 101

Les éditoriaux publiés samedi sur la réforme de la loi 101 ont suscité de nombreux commentaires. Voici deux textes en réaction aux éditoriaux de Stéphanie Grammond et de Vincent Brousseau-Pouliot.

L’éducation plutôt que la coercition

En réponse à l’éditorial de Stéphanie Grammond, « La réforme de la loi 101 et le test de la réalité », publié le 9 octobre

La réalité va en effet rattraper le gouvernement qui a misé davantage sur la coercition plutôt que sur l’éducation.

Le mécanisme d’assimilation des francophones et des allophones n’est pas démonté avec le projet de loi 96. L’accès aux cégeps anglophones et aux études supérieures en anglais demeure facile. C’est le grand coupable du déclin du français au Québec1, de même que le peu d’importance que le gouvernement accorde à l’enseignement du français dans nos écoles francophones. Des professeurs qui ne maîtrisent pas leur propre langue, des élèves et des étudiants qui s’expriment avec difficulté en français et qui trouvent plus facile d’adopter l’anglais au quotidien, voilà le grand problème auquel il est urgent de trouver des solutions. Le gouvernement a choisi de ne pas s’attaquer directement à ce qui mine directement la vitalité du français et en ce sens, le projet de loi 96 est un accommodement déraisonnable.

Ce projet de loi a plutôt choisi de réserver ses mesures les plus fortes aux entreprises, comme pour faire diversion. Cela ne sera pas sans conséquences pour l’économie du Québec.

Les entreprises craignent les escouades anti-bilinguisme de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui a l’obligation à l’article 167 de mettre sur pied un programme d’inspection pour vérifier qu’elles se conforment aux trois critères de l’article 46.1 censés restreindre au maximum l’utilisation de l’anglais au travail. Des fonctionnaires non qualifiés pourront ainsi dicter, au besoin par des ordonnances de l’OQLF, l’organisation du travail dans les entreprises. Franchement, on se demande en quoi, logiquement, le fait d’exiger inutilement le bilinguisme ferait en sorte de nous faire parler moins le français alors qu’il n’y a personne à qui parler anglais. Dans le contexte de l’actuelle rareté de la main-d’œuvre, on voit mal un employeur refuser un candidat pour la seule raison que celui-ci ne parle pas l’anglais.

On se demande aussi pourquoi le gouvernement coupe de moitié les délais de production de l’analyse linguistique imposée aux entreprises devant généraliser l’utilisation du français, alors que l’OQLF met dans de nombreux cas plus de deux ans à prendre une décision sur la nécessité d’un programme2. On ne comprend pas non plus pourquoi le gouvernement donne tant d’importance au comité de francisation, un mécanisme lourd qui n’a jamais bien fonctionné et qu’on a rendu encore moins attirant en obligeant légalement ses représentants à collaborer avec l’OQLF, sous peine des sanctions pénales prévues à la Charte. Comme si l’avenir du français en dépendait.

L’OQLF n’avait pas besoin qu’on augmente autant ses pouvoirs, car la très grande majorité des plaintes de non-conformité se règle par la négociation et les récalcitrants, peu nombreux, se font prestement imposer des amendes. Le rapport annuel de l’OQLF est chaque année très éloquent à ce sujet. L’organisme ne s’est jamais gêné à enfreindre les lois, incluant la sienne, afin d’arriver à ses fins3, car il y a ce que dit la Charte et ce qu’en dit l’Office, à charge pour celui qui n’est pas d’accord de contester l’interprétation devant les tribunaux, ce qui n’est pas à la portée ou au goût de la plupart des entreprises qui ont mieux à faire que de se disputer avec le gouvernement. Ce cadeau empoisonné du ministre à l’OQLF fait de l’organisme une super police de la langue quoi qu’il en dise, qui ne manquera pas d’être caricaturée par les médias anglophones.

C’est dommage, car l’OQLF a mieux à faire que d’aller à la chasse au bilinguisme. Le gouvernement a encore le temps de réorienter son navire avant le naufrage qui s’annonce. Comme le dit si bien le président de la Chambre de commerce du Grand Montréal, les entreprises ne vont pas se laisser mettre en faillite.

La francisation est la tâche de l’OQLF, c’est une affaire d’éducation, pas une affaire de coercition. On ne peut pas obliger les gens à parler une langue, mais on peut certainement les encourager et les aider à le faire. La vitalité du français au Québec dépendra de l’importance que les citoyens qui le parlent et les gouvernements qui l’enseignent vont lui accorder. La langue est l’instrument premier d’une nation. Sa survie, et donc la nôtre, dépend de ce que chacun de nous en fera.

1 Pourquoi la loi 1001 est un échec, Frédéric Lacroix, Boréal, 2020.

2 GPConceptal, une firme spécialisée en conformité à la Charte de la langue française, a une douzaine de cas où l’OQLF fait traîner les décisions sur le programme de francisation depuis 24 mois et plus.

3 L’OQLF exige des entreprises : qu’elles traduisent la documentation de produits qui ne leur appartient pas (Droit sur le droit d’auteur), qu’elles fournissent les noms des personnes qui ne parlent pas le français (Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé), qu’elles dénombrent les utilisateurs et restreignent au minimum l’utilisation de logiciels en anglais (malgré les énoncés d’un jugement déclaratoire de la Cour supérieure -500-05-43 380-987) et il prétend que l’article 142 de la CLF lui permet de créer des exceptions, alors que c’est le rôle de l’article 144 que l’Office répugne à utiliser et dont le gouvernement a négligé de rénover les règlements dans l’actuel projet de loi 96 par ailleurs très ambitieux.

Utilisation de la disposition de dérogation

Rétablissons les faits

En réponse à l’éditorial de Vincent Brousseau-Pouliot, « Oui à la protection du français, non à la disposition de dérogation », publié le 9 octobre

Dans un texte paru le 9 octobre dernier, Vincent Brousseau-Pouliot commente l’usage de la disposition de souveraineté parlementaire (aussi appelée clause dérogatoire) dans le projet de loi 96 visant à renforcer la loi 101, et ce, en évoquant certains de mes résultats de recherche. Il s’oppose à cet usage parce qu’il ne serait pas utile sur le plan juridique, le projet de loi 96 étant conforme aux chartes des droits, qu’il ne faudrait jamais utiliser cette disposition de manière préventive et qu’elle n’aurait véritablement été utilisée qu’à trois reprises.

Ce projet de loi a beau paraître conforme aux interprétations actuelles de ces chartes, rien ne garantit qu’il sera conforme à leurs futures interprétations. Rappelons-nous qu’au printemps dernier, un juge a interprété le droit des anglophones à une instruction dans leur langue comme interdisant au Québec d’imposer aux enseignants des écoles anglaises une règle les obligeant à enseigner à visage découvert ! Une telle interprétation était plus qu’improbable au moment d’adopter cette règle. Seul un usage préventif de la disposition de souveraineté parlementaire aurait pu empêcher cela (ce qui n’était pas possible dans ce cas puisque ce droit est à l’abri de cette clause).

Ce n’est pas pour rien que cette disposition peut être utilisée à titre préventif, donc avant une décision jugeant une loi contraire à une des chartes. Les élus qui ont adopté ces chartes auraient pu rendre cette disposition utilisable seulement après un tel jugement. Ils ont plutôt choisi d’en permettre l’usage préventif et ce choix a été confirmé par la Cour suprême.

Sur les cents quelques cas d’usages de cette disposition survenus depuis l’adoption de ces chartes, seuls deux cas sont survenus après un tel jugement. L’usage préventif est donc la règle et non l’exception.

Prétendre que cette disposition n’aurait véritablement été utilisée qu’à trois reprises est en total décalage par rapport à ce que démontre la littérature scientifique. Pour arriver à ce chiffre de trois, M. Brousseau-Pouliot calcule comme correspondant à un seul usage de la disposition des lois invoquant à plusieurs reprises cette disposition et exclut de son calcul les lois l’invoquant lorsque, à son avis, cette invocation n’a pas d’effet juridique réel considérant que ces lois seraient conformes aux chartes. Mais pour démontrer un tant soit peu cette prétendue absence d’effet juridique réel, il faudrait qu’il produise autant d’avis juridiques confirmant cette conformité qu’il y a eu de cas d’usage d’une disposition et donc plus d’une centaine d’avis.

Or, sauf exception, tous les projets de loi adoptés au Québec font l’objet d’un avis juridique relatif à leur conformité aux chartes avant leur adoption. Comme plus d’une centaine de paragraphes dans diverses lois ont invoqué cette disposition de souveraineté parlementaire, cela indique qu’autant d’avis juridiques ont conclu que ces lois présentaient un risque, de très modéré à très élevé, d’être jugées contraires aux chartes.

Par-dessus tout, il est absurde de voir M. Brousseau-Pouliot exclure de son calcul les cas d’usage de cette disposition dans des lois qui, à son avis, sont conformes aux chartes, et juger qu’en raison de cette conformité, cet usage dans ces lois n’est pas problématique, tout en affirmant que l’usage de cette disposition dans le projet de loi 96 est problématique même si ce projet est conforme aux chartes.

Enfin, n’oublions pas l’essentiel. La loi 101 de 1977 a fait progresser le français pendant quelques années, puis a été invalidée entre autres parce qu’elle était dépourvue d’une disposition de souveraineté parlementaire, et ensuite, le français s’est remis à décliner. Ne serait-ce que pour cette raison, il n’est pas possible de dire oui à la protection du français, mais non à cette disposition.

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