Fady Dagher et Vincent Dumez

L’envie de faire mieux

Pour changer le monde, certains veulent faire table rase. D’autres se donnent plutôt la mission d’améliorer ce qui existe déjà, de forcer les institutions à faire mieux en s’impliquant au sein d’elles. Fady Dagher et Vincent Dumez sont de ceux-là. Portés par leurs convictions, ils exercent une grande influence dans le monde de la police et de la santé.

Plus on creuse, plus on découvre des points communs entre Fady Dagher et Vincent Dumez (outre le fait qu’ils aient tous deux immigré au Canada en 1985 !).

Leurs missions respectives, d’abord, se ressemblent : ils veulent transformer de l’intérieur la culture d’une grande institution pour qu’elle réponde mieux aux besoins des gens.

Pour Fady Dagher, ce sont les organisations policières. Il construit le modèle d’une « police de concertation », qui travaille avec les partenaires du milieu pour mieux intervenir avant la crise, avant l’appel au 911. Fady Dagher a saisi toute l’importance de tisser un lien de confiance avec la population lorsqu’il était commandant du poste de quartier de Saint-Michel, à Montréal, dans les années 2000. Cette vision, cette culture de proximité, il l’a insufflé à grande échelle au Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), dont il a pris la tête en 2017. Le projet Immersion permet à des policiers en civil et sans arme de vivre une expérience de cinq semaines dans la communauté, tandis que les nouveaux policiers RESO, accessibles, circulent à pied et se concentrent sur la prévention. « Fady vise haut et il rêve grand. Et c’est ce qu’on doit faire pour amener un changement », dit l’ancien chef de police de Montréal Jacques Duchesneau.

D’ailleurs, cette semaine, on a appris que Fady Dagher deviendra le prochain chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), la mairesse Valérie Plante voyant en lui « l’avenir de la police ».

Vincent Dumez est moins connu, mais son œuvre n’en est pas moins significative. Après avoir été contacté par l’Université de Montréal, en 2010, il a développé le concept du « patient partenaire ». L’objectif principal ? Qu’on reconnaisse que les patients atteints de maladie ont des savoirs qui sont extrêmement utiles, tant pour eux-mêmes que pour l’évolution du système de soins. Un système qui, souligne-t-il, s’est défini pendant des décennies sans la précieuse contribution de ses patients. « La vision de Vincent et son leadership, c’était d’impliquer de façon plus grande les patients dans leur parcours de soins, mais aussi dans toutes les sphères du réseau de la santé et des services sociaux et dans les décisions qui sont prises », explique Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec.

Quelque chose se ressemble, aussi, dans le moteur de leur implication.

Vincent Dumez a été victime de l’une des plus grandes erreurs des systèmes de santé. Hémophile sévère, il doit recevoir des transfusions sanguines pour permettre à son sang de coaguler. À l’âge de 12 ans, en France, on lui a administré des produits sanguins contaminés au VIH et à toutes les hépatites. Vincent Dumez aurait pu se replier dans un sentiment de colère envers le système de soins (d’autant plus que la relation entre les professionnels et les hémophiles était très tendue), mais il a choisi l’action. Le Québec est aujourd’hui l’endroit dans le monde où l’on mobilise le plus les savoirs des patients, dit-il, tant dans les hôpitaux (avec de patients partenaires) que dans les facultés de médecine (avec des patients formateurs auprès des étudiants).

« Des hémophiles comme moi, on est 15 %, 20 % de survivants. Le fait d’être en vie, ça donne quelques devoirs. »

— Vincent Dumez

Pour Fady Dagher, la prise de conscience s’est faite graduellement. Il a d’abord compris, comme jeune agent double, qu’on ne naît pas criminel, mais qu’on le devient.

« Après le 11-Septembre, j’ai compris ce que c’était, le profilage racial. Et j’en ai été victime à toutes les douanes de façon systémique. »

— Fady Dagher

« Je disais à mes enfants : “Papa est VIP, à la douane, tout le monde veut lui parler” », se souvient le policier. Et si lui, avec son badge, était victime de profilage, d’autres l’étaient nécessairement davantage. « C’est devenu une cause, dit Fady Dagher. Au lieu de dire eux et nous, on va dire simplement nous. »

Une influence qui rayonne

L’influence de Fady Dagher et celle de Vincent Dumez dépassent largement les frontières de leur milieu. Le SPAL a accueilli des corps policiers du Québec et d’ailleurs dans le monde, curieux des projets Immersion et RESO. L’approche de Vincent Dumez, aujourd’hui appelée le modèle de Montréal, fait des petits un peu partout en Amérique du Nord et en Europe.

En ciblant le paternalisme du système de soins et le conformisme de l’approche policière, les deux hommes remettent en question des institutions qui ont un grand sens du devoir, de la rigueur, mais aussi de la tradition. Difficile de changer les choses ? Les deux hommes se regardent. Leur regard veut tout dire.

« Dieu sait qu’il y a eu plusieurs échecs durant la trajectoire, dit Fady Dagher. Plusieurs fois, j’ai trébuché et l’équipe a trébuché. J’ai douté, je continue à douter, mais il y a un devoir en nous qui chicote beaucoup de gens, parce que le statu quo, on ne l’accepte pas. »

« On prend des coups, on se bat contre la vague, mais en même temps, ce qu’on fait, ça marche, et on va forcément y arriver », dit Vincent Dumez.

Fady Dagher le regarde, impressionné par son parcours du combattant. « C’est incroyable, ce à travers quoi tu es passé ! », lui dit-il. « Je suis privilégié, chanceux, très chanceux », répond Vincent Dumez, ému. Le policier aussi s’estime chanceux. Chanceux d’avoir eu cette cause qui, espère-t-il, continuera à être portée après son départ. « Les causes, c’est ce qui amène un sens à la vie », conclut-il.

Qui est Fady Dagher ?

• Né en Côte d’Ivoire en 1968, d’origine libanaise, arrivé au Canada en 1985

• Policier et titulaire d’une maîtrise EMBA en administration des affaires

• Chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil depuis 2017, il vient d’être choisi comme prochain chef du Service de police de la Ville de Montréal.

• Il a élaboré la première politique au Canada en matière de profilage racial et social, en 2012.

Qui est Vincent Dumez ?

• Né en France en 1970, arrivé au Canada en 1985

• Titulaire d’un baccalauréat en finance et d’une maîtrise en sciences de la gestion

• Atteint de trois maladies chroniques, il a développé l’approche du patient partenaire, consacrée à valoriser et à mobiliser le savoir des patients.

• Il est codirecteur du Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public de l’Université de Montréal.

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