Transat songe à la vaccination obligatoire

Si certaines compagnies aériennes comme Air Canada et Porter Airlines ont affiché leurs couleurs en ce qui a trait à la vaccination obligatoire de leurs employés, Transat A.T. se penche toujours sur l’implantation de cette obligation. Toutes les industries fédérales du Canada, y compris les transporteurs aériens, doivent élaborer des plans pour faire vacciner leurs travailleurs d’ici la fin d’octobre. « Bien entendu, nous nous conformerons à notre obligation, a indiqué le porte-parole du voyagiste Christophe Hennebelle. Nous réfléchissions actuellement à la meilleure façon de la mettre en œuvre et nous attendons avec impatience les détails de la législation à venir. » Air Canada a prévenu qu’elle n’offrirait pas de tests rapides comme option à ses employés qui refusent de se faire vacciner contre la COVID-19. Porter, qui redémarrera ses activités le 8 septembre, exigera la vaccination de ses salariés ou la présentation d’un test de dépistage négatif administré dans les 72 heures avant le début de leur quart de travail. — Julien Arsenault, La Presse

Passeport vaccinal

Des réponses aux questions des entreprises

L’annonce de l’implantation du passeport vaccinal à bien des endroits vous fait réfléchir quant à savoir si cette mesure devrait être envisagée pour les lieux de travail ? L’avocate en droit du travail et de l’emploi Katherine Poirier, de la firme BLG, aborde les défis, les risques et les conséquences d’une telle implantation sur le plan légal.

Puis-je imposer à mes employés le passeport vaccinal ?

Cette question est délicate dans le cadre juridique actuel. Jusqu’à tout récemment, le gouvernement du Québec avait indiqué que le passeport vaccinal ne pourrait être demandé en milieu de travail. Les déclarations récentes du premier ministre Legault vont maintenant dans le sens contraire, alors qu’il a laissé entendre que ce passeport pourrait être demandé par les employeurs.

En fonction de la législation en matière de vie privée, seuls les renseignements personnels nécessaires à l’emploi peuvent être recueillis par l’employeur. La véritable question est plutôt : que feront les employeurs de cette information ? Veut-on s’en servir pour limiter ou interdire l’accès aux lieux de travail aux employés non vaccinés ou uniquement pour connaître la proportion des employés vaccinés ? Il est légitime de la part des employeurs de vouloir protéger la santé et la sécurité de leurs employés au travail. Cependant, si on se sert du passeport vaccinal afin de limiter ou d’interdire l’accès aux lieux de travail, ça soulève des enjeux juridiques importants, dont la complexité variera en fonction des activités de l’entreprise, des fonctions exercées par l’employé et des motifs pour lesquels il n’est pas vacciné.

Puis-je faire des sondages anonymes pour savoir dans quelle proportion mes employés sont vaccinés ?

Oui. Un tel sondage est très utile afin d’élaborer les plans de retour progressifs sur les lieux du travail, en ce qui concerne les organisations qui sont toujours en télétravail. Cela permet également de prévoir si d’éventuels assouplissements aux mesures de prévention en milieu de travail pourraient être adoptés, dans l’éventualité où de tels assouplissements seraient offerts aux personnes vaccinées. Il est suggéré à cet égard de sonder également l’intention de se faire vacciner, pour ceux qui n’auraient pas atteint une immunisation complète. Puisqu’il est possible que des doses additionnelles soient requises dans l’avenir, il pourra être requis de répéter le sondage ultérieurement.

Quels risques est-ce que je cours si j’implante le passeport vaccinal au bureau ?

S’il est implanté afin d’interdire l’accès aux lieux de travail aux employés non vaccinés, les risques juridiques afférents impliquent des recours en matière de droit de la personne et de droit du travail pur. En ce qui a trait aux droits de la personne, certains employés peuvent être affectés d’un problème de santé ou appartenir à une religion qui ne leur permet pas de se faire vacciner. Si l’exigence d’être vacciné est raisonnable dans le contexte propre au milieu de travail et aux fonctions exercées par cet employé, l’employeur devra accommoder cette personne jusqu’à contrainte excessive (en la réaffectant, en la maintenant en télétravail, en lui faisant passer des tests de dépistage fréquemment, en changeant son horaire). Ce qui constitue une contrainte excessive s’appréciera d’après la nature des activités de l’employeur et la taille de l’organisation. Donc, une politique de vaccination obligatoire n’entraîne pas automatiquement le congédiement de ceux qui ne peuvent être vaccinés, les exceptions devant être analysées au cas par cas. Des salariés congédiés à la suite d’un refus de se faire vacciner pourraient également déposer une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante s’ils sont en service depuis plus de deux ans (ou déposer un grief s’ils sont syndiqués) : le débat portera alors sur le caractère raisonnable ou non de l’exigence de vaccination dans les circonstances propres au cas.

Quelles peuvent être les pénalités si je me trompe dans ce que je mets en place pour vérifier si mes employés sont vaccinés ?

Si l’employeur demande trop d’informations, il pourrait s’exposer à ce que les employés refusent de répondre en invoquant le respect de leur vie privée. Si l’employeur impose des sanctions disciplinaires en lien avec ce refus ou rompt le lien d’emploi, de lourdes conséquences financières pourraient en découler pour l’employeur si l’employé avait gain de cause au terme d’un recours contestant cette sanction. Les employés pourraient également exercer divers recours en lien avec le respect de leur vie privée (grief, plainte, poursuite en dommages). En ce qui concerne les pénalités, les autorités réglementaires en matière de vie privée imposent rarement des sanctions pénales sur ce plan.

Est-ce que la situation peut être très différente, que je gère un abattoir ou une PME techno ?

Effectivement, les risques de transmission afférents à ces milieux sont très différents et, en ce sens, la situation pourra varier drastiquement. Malgré toutes les mesures mises en place par les organisations à titre préventif, certains milieux présentent des risques d’éclosion plus grands, qui pourraient militer pour l’imposition d’une politique de vaccination obligatoire. Il en va de même pour certains milieux où des services sont offerts en grande proximité avec des clientèles à risque ou lorsque certains postes exigent de travailler en milieu froid et humide ou clos, ou de voyager fréquemment à l’étranger. Alors qu’il suffirait pour une PME techno de maintenir ses employés en télétravail plus longtemps afin de protéger le milieu de travail contre la nouvelle vague très contagieuse, il en va tout autrement dans un abattoir où les employés travaillent inévitablement en présence les uns des autres.

Que devraient faire les entreprises à partir de maintenant ? Parler à leur avocat ? Écouter les recommandations du gouvernement ? Continuer de favoriser le télétravail ?

Continuer de favoriser le télétravail, lorsque c’est possible, est décidément la mesure à prioriser pour l’instant. Il faut garder en tête que la transmission du virus existe même lorsque les employés sont vaccinés, si bien que les mesures de prévention en milieu de travail doivent demeurer en place même dans un milieu présentant une forte proportion d’employés vaccinés. En ce qui concerne les secteurs qui ne se prêtent pas au télétravail, il y a lieu d’aborder avec prudence la situation et de s’assurer d’obtenir des conseils juridiques propres aux circonstances d’exercice de leurs activités, puisque la situation actuelle évolue rapidement.

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