La nature, un « actif financier » pour les villes ?

La valeur de nos actifs naturels, que ce soient nos forêts, lacs ou milieux humides, doit être inscrite dans les états financiers des villes au même titre que n’importe quelle autre infrastructure, fait valoir un rapport de l’Université de Waterloo qui établit la valeur financière d’actifs naturels du Québec et du Canada.

Les règles actuelles de comptabilité interdisent aux municipalités d’inscrire les actifs naturels dans leurs états financiers. Cette clause d’exception visant les ressources naturelles non achetées se retrouve dans le cadre conceptuel du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public (CCSP). Un guide pour les comptables.

Une centaine de villes canadiennes ont déjà fait leurs devoirs pour établir la valeur de leurs champs, marais littoraux, dunes, sols, forêts, rivières, lacs et milieux humides. Or, elles sont bloquées par le CCSP.

« On demande aux gens d’investir dans la nature, mais si la nature ne vaut rien dans les états financiers, comment calcule-t-on le retour sur investissement ? », demande la chercheuse Joanna Eyquem, directrice générale du Centre Intact d’adaptation au climat de l’Université de Waterloo.

« C’est ça, le gros problème actuellement. Si la nature avait une valeur au même titre que les infrastructures qui offrent des services, on pourrait comptabiliser le retour sur investissement. »

— Joanna Eyquem

Le fournisseur d’assurance Intact Corporation financière et KPMG, prestataire de services en matière d’audit et de fiscalité, se sont joints à l’Université de Waterloo et à l’Initiative des actifs naturels municipaux (MNAI) pour la rédaction du rapport.

« Il y a des comptables et des professionnels des milieux financiers qui en viennent aux mêmes arguments. Ça démontre que ce n’est pas qu’une histoire d’ONG », affirme la chercheuse Joanna Eyquem.

Pourquoi fixer le prix d’un lac ou d’une forêt

Certaines zones de la province de Québec sont soumises à de forts arbitrages, notamment au sujet de l’étalement urbain, explique en entrevue Jérôme Dupras, professeur agrégé à l’Université du Québec en Outaouais et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique.

Qu’on pense aux besoins pour le développement résidentiel, industriel, l’agriculture de proximité, la conservation et le développement de routes. « Il y a beaucoup d’éléments dans le même panier lors d’un processus d’aménagement du territoire. En faisant l’exercice d’établir un montant, ça permet de dire : voici la valeur de ces infrastructures naturelles près des villes, et ces valeurs donnent des indicateurs pour prendre des décisions éclairées. »

Si nos actifs naturels étaient considérés comme des infrastructures, on pourrait aussi les voir comme des investissements et non comme des dépenses dans les états financiers, précise le chercheur, également musicien du groupe Les Cowboys Fringants.

« Au départ, un aqueduc est une dépense. Mais ensuite, on est capable de l’immobiliser, de ventiler la dépense sur une longue période. En milieu urbain, quand on va planter un arbre, le remplacer, parce qu’il est blessé, faire de l’arrosage, ça tombe dans les colonnes de dépenses d’une ville. »

— Jérôme Dupras, professeur agrégé à l’Université du Québec en Outaouais

Notre forêt urbaine rend pourtant des services quantifiables aux citadins, indique Jérôme Dupras. Elle capte des polluants atmosphériques permettant de diminuer les épisodes d’asthme et d’effets sur la santé tandis que le terrain des arbres capte des mètres cubes de molécules d’eau qui diminue la pression sur les systèmes d’égout. « Ç’a un impact sur la valeur foncière des immeubles. »

« Les milieux humides, les forêts et les marais salés ne sont pas seulement essentiels à la biodiversité », explique de son côté Mike Pederson, président de la Banque de développement du Canada (BDC) et administrateur et président de Conservation de la nature Canada. « Ils sont aussi nos alliés de première ligne dans la réduction des répercussions des inondations, de l’érosion, des canicules et des sécheresses, en plus de contribuer à l’élimination des émissions de carbone, freinant ainsi les changements climatiques. »

Une méthode de calcul universelle demandée

Les auteurs du rapport souhaitaient établir une méthodologie et des normes spécifiques sur lesquelles tous les gouvernements et villes pourraient se baser pour établir la valeur de chaque actif naturel. Actuellement, les spécialistes calculent la valeur du service rendu par la nature, le coût pour une ville de construire une infrastructure qui offre le même service et le coût des dommages si l’actif disparaissait.

À titre d’exemple, les milieux humides de la région métropolitaine de Québec vont réduire les dommages dus aux inondations à cause de leur capacité de ralentissement, de stockage et d’évaporation des eaux de pluie excédentaires. Ces services ont un coût.

Ailleurs dans le monde, des pays comme le Royaume-Uni, l’Afrique du Sud et les États-Unis ont entrepris des démarches pour intégrer la valeur de la nature à leurs systèmes comptables nationaux.

Combien valent ces actifs naturels ?

Forêts urbaines et rurales de la grande région de Montréal :

2,2 milliards de dollars/an

Valeur des écosystèmes de la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) :

1,1 milliard de dollars/an

Milieux humides de la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) :

49,8 millions de dollars/an

Ceinture de verdure et parc de la Gatineau :

5,2 millions de dollars/an

Bassin versant du ruisseau Oshawa (Ontario) :

18,9 millions de dollars/an

Source : Inscrire la nature au bilan : la valeur financière des actifs naturels à l’ère des changements climatiques

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