Sophie Brochu

Le cœur à l’ouvrage

« Dis m’en plus sur toi, j’aime savoir à qui je parle », amorce Sophie Brochu, déconcertant notre camelot Agathe Melançon qui menait sa toute première entrevue pour L’Itinéraire. Vêtue d’un jean, de baskets et d’un gros chandail en laine, il y a dans le tempérament de la PDG d’Hydro-Québec autant de franchise que de simplicité, autant de collégialité que de passion. « Je suis honorée d’être ta toute première entrevue », confie-t-elle à notre camelot.

Il y a un an, tu arrivais à la tête d’Hydro-Québec et nous entrions dans une pandémie qui a chamboulé notre quotidien et notre économie. Dirais-tu que nous sommes résilients ?

Je nous pense résilients. Notre histoire a fait en sorte que nous nous sommes développés en rêvant plus grand que nous. Les générations qui nous précèdent savaient que l’on était capables de plus grand, et ça a donné naissance à Hydro-Québec. […] Mais on ne peut pas être résilient seul. Quand je suis arrivée à Hydro-Québec en période de pandémie, j’ai vu 20 000 personnes qui se démenaient pour s’assurer que l’on ne manque pas d’électricité. J’ai vu ma société québécoise résiliente et j’ai trouvé ça beau. Fatiguant parfois, oui, mais beau.

Quels sont tes plans pour développer autrement notre énergie au Québec ?

Notre job à Hydro-Québec, c’est de nous assurer que personne ne manque d’électricité. On n’a pas le droit de dire qu’on a mal planifié et qu’il nous manque de l’énergie. Les surplus d’Hydro-Québec répondent à l’incertitude et servent à aller au-devant de la consommation. Par le passé, on a un peu péché avec cette volonté de faire des barrages. Tout ce qu’on a développé à date sert d’abord au Québec, et l’excédent est envoyé sur le marché. De plus en plus, on dit qu’il n’y a pas que les barrages, car l’éolien ou le solaire coûtent beaucoup moins cher qu’avant. Ce sont des énergies renouvelables qui se font par petits projets et s’implantent un peu partout en région. L’inconvénient, c’est que ces énergies dépendent de la météo. Notre énergie est devenue compétitive et renouvelable. Nos barrages retiennent beaucoup d’eau, on stocke de l’électricité virtuellement. On a un luxe inouï au Québec parce qu’on a développé des capacités électriques économiques, abondantes et respectueuses de l’environnement. Et on est capables d’y ajouter du solaire et de l’éolien grâce aux réserves des barrages. Je ne pourrai jamais dire que les barrages, c’est fini, mais, à court et moyen terme, on sait développer des énergies plus souples, agiles et concurrentielles.

Le projet Apuiat, refusé en 2018, a été finalement accepté. Est-ce à cause d’un changement de mentalité ?

À cette époque, on le disait trop cher et superflu, ce qui était vrai. La pandémie a permis d’embrasser plus rapidement une transition énergétique : le Nord-Est américain avait besoin d’électricité et je savais qu’on pouvait trouver un prix qui aurait du sens avec les communautés innues. On l’a trouvé et ça a étonné tout le monde. Je ne prendrai certainement pas tout le crédit de la réussite de ce projet. On a réussi à démontrer qu’on en avait besoin et qu’on pouvait rééquilibrer le coût de financement. Peut-être que le projet arrive plus vite que nos besoins, mais n’est-ce pas intelligent de l’avoir dans notre parc de production ?

Il faut dire que si je quittais Hydro-Québec demain, le projet Apuiat resterait ma plus grande fierté. On ne fait pas de cadeau aux Innus et ils ne quêtent pas d’argent. Ils ont un vrai projet et les retombées seront très importantes pour eux au cours des prochaines décennies. Ça vient d’eux et ça correspond à leurs valeurs. C’est eux qui l’ont développé, qui ont trouvé leurs partenaires et amené cela à la table d’Hydro-Québec. C’est un exemple de ce qu’on peut construire ensemble dans un grand respect. Mais on a encore beaucoup à faire.

Comment abordes-tu ces relations, alors qu’Hydro-Québec a un lien parfois conflictuel avec les communautés autochtones ?

Ça n’a pas de bon sens ce qu’on a fait au départ. On, c’est nous autres, pas juste Hydro ; c’est le Québec qui faisait cela. Il suffit de penser à la Manic, puis à la Baie-James. La Paix des Braves est une entente extraordinaire, mais elle est née dans le sang. Notre relation avec les Cris est née dans la douleur, mais ensemble, on réussit à avoir des conversations et une relation économique saine et respectueuse. Peut-on faire mieux ? Absolument. Peut-on faire plus ? Certainement, en travaillant avec ou dans les communautés. […] Pourquoi n’a-t-on pas plus de jeunes Autochtones à l’emploi chez nous ? Si tu veux postuler chez nous, ça prend internet, un ordinateur et savoir écrire le français. Beaucoup d’autochtones parlent français, mais ne l’écrivent pas. Il faut juste qu’on change notre méthode, qu’on ait du monde dans les communautés qui les accompagne.

Les femmes sont plus éprouvées par la crise sanitaire que les hommes, encore plus si elles sont vulnérables. Avons-nous toutes les mêmes chances de réussir ?

La réussite, pour moi, c’est aller au bout de soi-même. Il y en a pour qui ce sera d’avoir des enfants et de s’y consacrer entièrement, alors que d’autres souhaiteront travailler et grandir dans le monde des affaires. […] Les femmes ont fait leur place dans la société, elles ont investi les milieux de pouvoir. Il y a un bout qui appartient à la société, comme réaliser qu’on a des biais inconscients ou faire en sorte que tout le monde comprenne qu’on a besoin d’égalité à tous les échelons. Et il y a un bout dans la psyché des femmes, notamment dans la façon dont on a été élevées. On a été équipées pour être fines, ne pas brasser et quand on adopte un autre comportement, on est traitée de dirigiste. Aujourd’hui, je pense qu’on est rendus, dans notre posture mentale, à 50 %. Je suis dure, mais je crois que ce n’est pas parce qu’on ne veut pas, c’est surtout parce qu’il y a du déterminisme.

Cet article a été édité et écourté. Lisez la version intégrale dans L’Itinéraire du mois d’avril, disponible auprès de votre camelot ou en faisant un don à L’Itinéraire.

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