Silvia Calderoni

Ni homme ni femme, bien au contraire

La première fois que j’ai vu l’Italienne Silvia Calderoni sur scène au FTA, je me suis posé deux grandes questions. D’abord, qui est cette formidable et impétueuse force de la nature en forme d’interprète ? Puis : est-ce un homme ? Une femme ? Un ovni ? Une extraterrestre ?

La réponse, c’est tout cela et plus encore, ai-je appris cette semaine, en retrouvant une Silvia rendue un brin zombie par un vol de près de 24 heures, partie de Sydney jusqu’à Vancouver en passant par Toronto et Montréal.

Dès ce soir et jusqu’à samedi, Silvia et la formidable compagnie italienne Motus, grande habituée du FTA, présentent à l’Usine C, MDLSX, une sorte de « one-DJ show » qui raconte en musique, en rythmes, en mots et en images percutantes, la vie de Silvia : sa vie d’androgyne, de queer et de personne à l’identité de genre fluctuante : genderfluid, comme disent les anglais.

Silvia est seule en scène, mais accompagnée en coulisses par l’auteure Daniela Nicolò et le metteur en scène Enrico Casagrande, qui sont les fondateurs de Motus et qui sont aussi en couple dans la vie.

Mais MDSLX, c’est quoi au juste ? Une toune de Madonna ? Une drogue ? Un autre acronyme pour une nouvelle identité sexuelle ?

« C’est à la fois tout cela et rien de tout cela », affirme en souriant à travers ses longues nattes rousses Daniela Nicolò. Je me suis inspirée de la vie de Silvia, pas tant au plan biographique qu’émotionnel. Mais la source du projet, c’est le roman de Jeffrey Eugenides, Middlesex (d’où le MDSLX) qui raconte l’histoire d’un narrateur intersexué d’origine grecque qui part à la recherche de son identité. »

Refuser les catégories

À ce préambule, Enrico, le metteur en scène, un homme dans la cinquantaine, ajoute : « Avant, pour parler des intersexués, on utilisait le terme hermaphrodite. Or, pendant longtemps, les parents des enfants hermaphrodites étaient forcés par le système médical à mettre fin à l’ambiguïté sexuelle de leur enfant en lui attribuant de facto un sexe en l’envoyant en chirurgie. Or, le message de notre spectacle c’est qu’on ne devrait obliger personne à faire ce choix-là et surtout qu’on devrait cesser de voir les hermaphrodites comme des êtres anormaux ou des monstres. »

À l’autre bout de la table, Silvia Calderoni, 35 ans, cogne des clous sous sa tuque. En la voyant arriver à l’Usine C, longue silhouette filiforme entièrement drapée de noir, son visage d’une pâleur de marbre, j’ai cru voir un spectre. Elle fumait une cigarette sur le pas de la porte, l’esprit et le regard à des années-lumière de la rue Lalonde et de son ancienne usine de confitures. Pendant l’entrevue, elle s’est à l’occasion animée pour expliquer que toute sa vie, elle avait fui les catégories, les définitions et une vision binaire du monde. 

« Je n’ai jamais vu la nécessité de me fixer dans un genre. Certains matins, je me lève en femme. Le lendemain, j’ai une énergie de mec. Je suis qui je suis, c’est tout. »

— Silvia Calderoni

MDSLX débute avec une vidéo de Silvia Calderoni à 9 ans. Elle chante dans un concours de karaoké dans son village natal de Lugo, en Italie, pendant que son père la filme. « C’est moi qui avais choisi la chanson et elle disait : je connais un garçon comme moi. Déjà, à 9 ans, j’avais beau être une fille, je m’identifiais aux garçons. »

Silvia s’est jointe à Motus, une compagnie basée à Rimini dans la région de l’Émilie-Romagne, en 2006. Elle a commencé par participer à des ateliers, puis assez vite, s’est mise à y jouer professionnellement, des rôles qui ont souvent exploité son androgynie. C’était le cas avec Alexis, une tragédie grecque où elle interprétait une Antigone moderne, explosive et incandescente, au milieu des émeutes étudiantes grecques de 2008. Le cas aussi avec Nella Tempesta en 2014, l’histoire d’une bande de naufragés de la tourmente économique, qui échouent sur une île recouverte de débris de la mondialisation.

Seule sur scène

Structuré autour des chansons de Talking Heads, The Smashing Pumpkins, Buddy Holly, The Smiths et Stromae, MDSLX tourne un peu partout dans le monde depuis juillet 2015. C’est-à-dire qu’à Montréal, Silvia aura déjà plus de 150 représentations dans le corps. Pour quelqu’un qui se donne furieusement et à fond comme elle, cela doit être épuisant, non ?

« Quand je suis sur une scène, je joue toujours comme si c’était le dernier soir de ma vie. »

— Siliva Calderoni

« Je donne toute mon énergie, un peu comme le font les groupes de rock. Mais j’avoue qu’avec ce show-là, je commence à comprendre pourquoi les rockers prennent tant de drogue. Chaque soir, tu te vides littéralement, à cause de l’énergie demandée, mais aussi à cause de cette tournée mondiale. Je n’ai jamais joué un show autant de fois qu’avec MDSLX. En plus, je suis seule en scène. C’est très enivrant, mais aussi très solitaire. »

Silvia n’est pas qu’une actrice, elle est aussi DJ à ses heures. Souvent dans les villes où elle présente MDSLX, après la représentation, elle décompresse (enfin façon de parler) en allant faire tourner des platines dans des clubs. Rien n’est prévu à Montréal pour l’instant, mais vu son humeur changeante et son identité fluctuante, qui sait où la nuit la conduira.

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