Le cri du cœur d’Espace Costume

Malgré la reprise partielle des tournages en cinéma et en télé cet été, Espace Costume, le plus important costumier au Canada, menace de fermer boutique. Une victime collatérale de plus de cette terrible pandémie. Et peut-être la fin d’une longue et belle tradition familiale.

Dans les méandres des allées d’Espace Costume à Montréal, un vaste entrepôt de location de vêtements pour les professionnels du milieu culturel, il y a toute une vie inanimée qui ne demande qu’à renaître. Des centaines de milliers de chemises, jupes, pantalons, chapeaux, chaussures et autres corsages… tous bien rangés les uns à côté des autres. Et qui semblent tout droit sortis des milliers de récits de notre imaginaire.

Là, sur un cintre, le costume coloré d’un personnage de notre enfance. Plus loin, ce veston patiné par le temps qui raconte sa triste histoire. Ou là encore, cette robe rouge à pois noirs évoquant la silhouette aguichante et rebelle d’une ineffable Carmen…

Pour le propriétaire d’Espace Costume, Simon Chamberland, sa collection de 800 000 vêtements et accessoires représente d’abord une vieille histoire de famille. Car pour lui et ses proches, les objets inanimés ont réellement une âme à aimer.

Une affaire de famille

D’aussi loin que Simon Chamberland se souvienne, TOUS les membres de sa famille proche ou élargie ont mis la main à la pâte sur des plateaux. Sa passion, Simon l’a héritée de sa mère, Nicoletta Massone, costumière émérite et Italienne de sang, désormais à la retraite, à 89 ans – le fils prend bien soin de la mamma durant la crise de la COVID-19 et l’arrêt forcé de ses activités. Sa sœur Francesca Chamberland est aussi créatrice de costumes.

Son illustre neveu, l’humoriste Julien Lacroix, a travaillé avec son oncle et sa grand-mère durant plusieurs étés dans l’entrepôt de la rue Moreau, à la lisière d’Hochelaga. Tous comme ses frères. D’ailleurs, le jour où La Presse est passée en début de semaine, Julien Lacroix est rapidement venu saluer son oncle à deux mètres de distance… ou à 2,19 verges pour rester dans les tissus.

« Concepteur, habilleur, accessoiriste, créateur de costumes, directeur artistique, ma famille a touché à tout dans les tournages de cinéma et de télé, explique Simon Chamberland, en entrevue. Personne n’a jamais travaillé dans un bureau de sa vie. Avec les risques et le mode de vie que ça implique. On était quatre enfants élevés par une mère seule dans la précarité, avec les hauts et les bas du métier de pigiste. Hydro-Québec a souvent interrompu le courant à la maison parce qu’on avait oublié de payer une facture… »

Ce printemps, c’est à son tour d’être en péril. Avec l’arrêt des tournages en mars dernier, il a cessé les activités de son entreprise. Or, cette fermeture temporaire risque de devenir permanente : « Je ne rouvre pas tant que je n’aurai pas la certitude de le faire sans être déficitaire », explique Simon Chamberland.

« Après 15 ans de travail et d’investissement, Espace Costume est finalement rentable depuis trois ans. Je ne dois rien à personne. J’ai acheté toutes les collections sans aide. J’ai un chiffre d’affaires de près de 1 million. Et j’étais en pleine croissance, avec la demande des producteurs du Canada anglais et des tournages de films américains ici. J’aime mieux fermer que rouvrir pour perdre de l’argent. »

« On me dit que je ne peux pas fermer, car ce serait une catastrophe pour le milieu ! D’accord. Mais si je suis si important pour la relance des tournages, je devrais donc obtenir de l’aide financière des institutions, avoir une forme de subvention…  »

— Simon Chamberland, propriétaire d’Espace Costume

« Comme brûler une bibliothèque »

La reconnaissance, Simon Chamberland l’a sentie il y a deux semaines, quand des gens du milieu ont commencé à s’indigner sur les réseaux sociaux en apprenant ses déboires.

« Espace Costume est le costumier à qui je donne toutes mes collections depuis dix ans », a écrit sur Facebook Suzanne Harel, une conceptrice au théâtre et à la télévision (le décor de La petite vie, c’est elle !). « Après la pandémie, tout redeviendra comme à la normale un peu partout d’ici deux ans. Et les gens tannés des reprises voudront voir de nouvelles productions québécoises, je l’espère. Pour ce faire, il ne faudrait pas que nos trésors nationaux soient partis en fumée dans des “containers” ou transformés en tapis. En ce qui me concerne, c’est comme brûler une bibliothèque !  »

« Je ne suis pas une PME comme les autres, abonde le propriétaire d’Espace Costume. On me dit que je suis un acteur indispensable pour les productions professionnelles au Québec. Or, comme je suis une entreprise privée, on ne m’aide pas, on ne me reconnaît pas, je ne suis pas considéré au même titre qu’une institution comme le Grand Costumier, par exemple, un OBNL archi subventionné. Je suis coincé dans une situation dont je ne suis pas responsable.

« Si vous voulez sauver Espace Costume, mobilisez-vous, faites-le savoir aux gens concernés. Sinon, pas de problème. Je vais passer à autre chose, partir une friperie ou prendre ma retraite… »

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