Réseaux sociaux

« Merci », « ensemble », « bravo » :
des mots sur notre humeur

Depuis les derniers mois, nous avons été entraînés dans des montagnes russes émotionnelles. Pour documenter nos hauts et nos bas, nous avons décortiqué les publications sur Twitter et Instagram de 50 personnalités québécoises et de 50 personnes choisies au hasard, depuis janvier 2020, afin de mettre des mots sur notre humeur. Analyse en cinq temps.

Notre démarche :

L’équipe d’analyse de données de La Presse, composée de Marie Gallagher et de Pierre Meslin, a examiné les publications sur Twitter et Instagram de 50 personnalités d’une variété de milieux de la sphère publique ainsi que celles de 50 comptes Twitter choisis au hasard. Ces données nous ont permis de dénoter les humeurs dominantes dans les publications des 100 comptes, de même que les tendances fortes dans les habitudes d’utilisation des réseaux sociaux, de janvier 2020 à janvier 2021.

La vie avant

Janvier et février 2020

Début 2020. Les discussions en ligne tournaient autour d’une grande variété de sujets ; le Canadien (et ses partisans dans les gradins !), le troisième lien, le barrage à Kahnawake de militants mohawks ou l’assassinat du général Soleimani en Irak.

En janvier et février, on recevait les premières nouvelles d’un virus meurtrier qui avait atteint maintenant l’Occident et même le Canada. « La crise de la COVID-19 s’est imposée, au fil des mois, comme un important sujet de société, [mais] ça a pris un certain temps. Au début, le problème a été perçu comme concernant exclusivement la Chine », rappelle Serge Proulx, sociologue et professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal.

Fin janvier, c’est la mort soudaine du joueur de la NBA Kobe Bryant dans un accident d’hélicoptère qui a bouleversé l’esprit collectif. Si certains ont tenu à rappeler un passé trouble, la majorité des gens ont voulu souligner pourquoi ils admiraient l’athlète. « Ce qui nous fédère sur les réseaux sociaux, ce sont les beaux moments, les moments de nostalgie, soulève Martine St-Victor, stratège en communication, fondatrice de Milagro Atelier de relations publiques et fervente utilisatrice de Twitter. […] Et c’est ce qu’on a vécu avec Kobe Bryant. C’est là où on voit comment les réseaux sociaux carburent aux émotions. »

Guy A. Lepage, l’une des 50 personnalités dont nous avons analysé les publications, a par exemple rendu hommage au joueur de basket sur Twitter et sur Instagram.

Celui qui utilise beaucoup les deux plateformes y publie régulièrement ses opinions, coups de gueule et coups de cœur. « Les réseaux sociaux sont un exutoire de nos émotions, explique la sociologue Cécile Van de Velde. Des enquêtes démontrent que les émotions fortes se diffusent particulièrement vite, plus que dans la vie réelle, sur les réseaux sociaux. »

Fin février, les Québécois s’apprêtaient à vivre tout un lot d’émotions fortes : le 27, un premier cas de COVID-19 était déclaré au Québec.

Les premières semaines de la pandémie

De mars à mai

Entre mars et mai, le Québec a vécu le déclenchement de l’urgence sanitaire, un premier confinement, l’interdiction des rassemblements, le début de la crise dans les CHSLD, ainsi que la fermeture des écoles et de nombreux lieux publics. Au fil des jours, la population s’est heurtée à la prolongation et au durcissement des mesures face à une situation de plus en plus critique. « Quand les Québécois se sont aperçus que la pandémie les touchait, les diverses mesures de prévention annoncées par les gouvernements ont occupé la scène des médias et celle des réseaux sociaux », constate Serge Proulx.

En mars, on note un plus fort engagement dans les réseaux sociaux depuis le déclenchement de la crise, soit une hausse de 61 % dans le monde, selon une enquête britannique de la firme Kantar. « On a besoin d’exister, résume Cécile Van de Velde. Ça ne peut pas se faire face à face, alors le monde est passé en ligne. On observe une logique de compensation. » Dans une société tout à coup privée du bureau, des restaurants, cafés ou sorties culturelles, les réseaux sociaux sont devenus une « bouée de secours » où interagir, réagir et « partager et réguler ses émotions ».

« C’est l’exutoire de nos frustrations, joies, plaisirs, parce qu’on n’a plus de situation intermédiaire. »

— Cécile Van de Velde, sociologue

Les gens se mettent donc à échanger sur cette réalité commune sans précédent. Notre analyse démontre qu’en dépit de la situation alarmante qui progresse, l’humeur générale est demeurée positive. Sur Instagram, par exemple, entre mars et novembre, les thèmes de la solidarité, de la résilience, du temps avec les proches, de l’achat local sont parmi les sujets dominants. Sur Twitter, les mots « merci », « bien » et « bonne » reviennent le plus souvent dans notre analyse à cette période.

Rappelons-nous le slogan « Ça va bien aller » (que l’on n’entend plus beaucoup ces temps-ci) qui était partout à cette époque, jusque dans les fenêtres des maisonnées. « On dit ce qu’on a besoin d’entendre. C’était ça, “Ça va bien aller”, analyse Cécile Van de Velde. Ces messages sont une posture de positivité. On est dans une logique de survie. »

Pour mieux traverser ces épreuves, on s’encourage et on demeure positifs. Le tweet le plus aimé entre janvier 2020 et janvier 2021 parmi les 50 personnalités publiques de notre panel est d’ailleurs une publication du 28 mars de Cœur de pirate, un clin d’œil humoristique à une réalité à laquelle beaucoup s’identifiaient : « J’ai l’impression que ma journée consiste à manger et puis attendre que ce soit acceptable de remanger. »

« Ça a créé chez plusieurs un sentiment d’interdépendance, le fait qu’on soit tout seul ensemble, note Cécile Van de Velde, professeure au département de sociologie de l’Université de Montréal. Ça a créé une conscience d’appartenance, à un quartier, une localité, une nation. Et même à la Terre entière, parce que c’est quelque chose d’existentiel. » Serge Proulx remarque également ce « sentiment de communauté ». « On compare les performances du Québec à l’Ontario et aux autres pays du monde », observe-t-il.

Les interventions du premier ministre Legault sont un facteur important dans la construction de cette « communauté québécoise ». D’abord et surtout par ses apparitions nombreuses à la télévision. Le tout étant renforcé par sa présence dans les réseaux sociaux, comme le montre l’enquête de La Presse. Le premier ministre a en effet doublé sa présence sur Instagram durant cette période.

L’été et la rentrée

Mai à octobre

Fin mai, l’homme afro-américain George Floyd est tué par un policier lors d’une arrestation dont la vidéo fait le tour des réseaux sociaux. Des milliers de personnes en colère manifestent dans la rue, au Québec et un peu partout dans le monde. En ligne, c’est surtout sur Instagram que la protestation se déroule, avec autant de ferveur. En juin, c’est sur cette plateforme qu’a lieu le #BlackOutTuesday, en opposition au racisme et aux violences policières.

À la suite du déclenchement de la crise sanitaire, « les sujets abordés sur les réseaux sociaux sont devenus très concentrés, remarque Martine St-Victor, qui utilise Twitter depuis 12 ans. Cette dernière année, ça a été la pandémie, George Floyd, Joyce Echaquan et les élections américaines. » Ces trois derniers évènements, survenus en mai, septembre et novembre, ont chacun teinté l’humeur des utilisateurs et la teneur de leurs publications.

« Jamais les réseaux sociaux ne sont plus importants que quand il y a une tragédie, une crise. On est reliés par des hashtags. Ça nous permet de prendre le pouls de comment les autres le vivent et de rester connectés. »

— Martine St-Victor, stratège en communication

En mai, l’analyse de l’indice d’humeur Léger montrait que le déconfinement graduel coïncidait avec une évolution positive du bonheur des Québécois, après une baisse considérable en mars. Malgré les périodes rudes, de mars à novembre 2020, on remarque sur Twitter une tendance positive dans les publications – des termes comme « merci », « effort », « bravo », « ensemble » et « soutenir » reviennent souvent.

« À la fois pour eux-mêmes et pour les autres, les gens publiaient des choses qui avaient un effet d’apaisement collectif », observe l’humoriste et scripteur Daniel Thibault, très actif sur Twitter, citant notamment les vidéos virales de Damien Robitaille, que le musicien a publiées dès le mois d’avril. « J’ai vu l’humour ressurgir un peu plus sur Twitter. Quand je suis entré là en 2010, c’était une part importante de ce qui se passait là-dessus, mais c’est devenu très aride à un moment. On a peut-être retrouvé un peu de ça. »

Tout n’est pas rose sur les plateformes sociales. Twitter reste un lieu polarisant, où les esprits s’échauffent souvent. S’il l’utilise majoritairement de façon humoristique (« plus je suis stressé, plus je vais faire des jokes », lance-t-il), Daniel Thibault est de ceux qui ne se gênent pas non plus pour évacuer sur son compte certains états d’âme moins comiques. Comme « quand ça partait [en vrille] cet automne, dit-il, à propos de la gestion de la pandémie. Au début, j’étais content de voir que quelque chose était fait, qu’on réagissait. À partir du printemps, j’ai été plus critique et je ne me prive pas de l’exprimer. Mais ça ne sera pas juste là-dessus, mais sur toutes les questions auxquelles je suis sensible, le racisme, la discrimination, l’intimidation. »

L’hiver s’amorce

Novembre et décembre

Personnalité publique ou non, on remarque dès novembre, et encore plus en décembre, que le mot « Noël » est très utilisé sur Twitter. Alors que le gouvernement a fait planer l’espoir de rassemblements restreints pour la période de Fêtes durant quelques jours, nous apprenions le 3 décembre que Noël était « annulé ». Malgré cela, après analyse, on remarque sept fois plus de publications positives que de publications négatives comprenant le mot « Noël ». Les mots « merci » et « bravo » reviennent aussi à de multiples reprises.

Globalement, en décembre, on constate quatre fois plus de publications positives que négatives. Un certain ras-le-bol face à 2020 est toutefois palpable, comme en témoignent certains tweets où l’on souhaite ardemment que l’année se termine.

La politique américaine, dont l'élection de novembre dernier, a aussi été un élément de discussions continu pour les Québécois sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Twitter. Le mot Trump figure parmi les plus utilisés dès le mois de mars et jusqu’à janvier de cette année, observe-t-on dans les 50 comptes choisis aléatoirement.

Le sujet est moins discuté chez les personnalités publiques, même pendant le mois de novembre et surtout pas sur Instagram, où la conversation sur le controversé ancien président est quasi inexistante. Il faut dire qu’on ne déverse pas les mêmes humeurs sur Twitter que sur Instagram. « Si on analysait mes tweets, on dirait que je suis un gars maussade, impatient. Et sur Instagram, on dirait plutôt que je suis un charmant déconneur qui fait de la petite poésie niaiseuse et publie de belles photos », constate Guy A. Lepage, un sourire dans la voix. Alors que Twitter commençait à l’aliéner, l’animateur s’est d’ailleurs un peu plus tourné vers Instagram, un lieu plus « soft », dit-il.

Pour sa part, la co-porte-parole de Québec solidaire Manon Massé publie sur Twitter chaque semaine, à fréquence variable. « Mes réseaux sociaux sont représentatifs de mes humeurs si on les additionne, note-t-elle. Twitter est un outil d’actualité. Instagram, que je viens de découvrir, est l’endroit où je me mets en interaction avec les gens. Ça m’a accompagné dans mon humeur, mais j’ai aussi eu l’impression d’accompagner les gens dans les leurs. »

« Je pense que, comme le peuple québécois, j’ai vécu différentes phases depuis mars dernier, ajoute-t-elle. Mes réseaux sociaux me donnent la capacité de nommer mes inquiétudes, mais aussi de faire des propositions pour aider. » Manon Massé, en tant que politicienne et porte-parole de l’opposition à Québec, sait que son compte Twitter peut lui donner l’air « d’être d’humeur bougonneuse ». « Mais ça fait partie de mon travail », dit-elle.

Une nouvelle année

Jusqu’à la mi-janvier 2021

Enfin, 2020 est terminé… mais 2021 lui ressemble beaucoup. Coup dur dès le 9 janvier : Québec impose un couvre-feu dans toute la province.

Une récente enquête de la firme de recherche Angus Reid Group, menée à l’échelle canadienne, montre que la population se trouve dans un espace émotionnel bien plus négatif que positif ces dernières semaines. Les répondants ont le plus souvent déclaré qu’ils étaient « fatigués », « frustrés » et « inquiets » durant le mois de décembre, alors que de plus en plus de gens perçoivent que les choses vont empirer avant de s’améliorer.

« Décembre et janvier sont rudes sur le moral. C’est ce que je ressens aussi dans mes enquêtes actuelles auprès des jeunes adultes. Il y a un basculement vers un temps long et incertain. »

— Cécile Van de Velde, sociologue

« Ça allait lorsqu’on était dans un tunnel et qu’on en voyait la sortie, quand on nous disait de tenir bon jusqu’à telle date, souligne Mme Van de Velde. Mais là, on n’a plus vraiment de date. On sent sur le moral qu’on est au niveau de détresse, de solitude et de frustration d’avril dernier, en plein cœur du premier confinement. »

« On voit [sur les réseaux sociaux] toute l’évolution de la crise. Là, on en est au point où les gens sont tannés et se plaignent tout le temps », observe Martine St-Victor.

Le mot « merci » est encore et toujours, depuis le début de la pandémie, un des termes les plus utilisés, dans les publications des personnalités publiques, sur Twitter ou Instagram, comme celles des comptes Twitter choisis au hasard. On note aussi à plusieurs occasions la présence des mots « ensemble » et « famille ». « Il y a cette dynamique de reconnaissance très présente, remarque Cécile Van de Velde. Il y a l’idée d’une bienveillance collective qui se développe. »

Les affaires politiques aux États-Unis ont de nouveau été au centre de bien des publications et conversations sur Twitter durant les deux premières semaines de janvier, alors que les évènements du Capitole ont beaucoup fait réagir et qu’on s’apprêtait à assermenter Joe Biden.

« Dans les dernières semaines, Trump et les gens qui disent que c’était un sauveur m’ont beaucoup énervé, témoigne Guy A. Lepage. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire mon petit bonhomme de tweets sur le sujet. »

Malgré l’essoufflement collectif, il reste de la place pour des instants plus lumineux. « On n’a plus de spectacles, on n’a plus de divertissement. Ça prend de l’importance quand il y a des mèmes comme celui de Bernie Sanders [qui a fait le tour du web la semaine dernière] qui sortent », remarque Daniel Thibault. Si ces moments où tout l’internet semble réuni autour d’une même blague ne sont pas « typiques de la pandémie », ils trouvent une « plus-value » et « font du bien » dans une période comme celle que nous vivons, dit-il.

« Pour tout ce qu’il y a de plus désagréable sur les réseaux sociaux, il y a aussi ces moments d’unité, le temps d’un post, note quant à elle Martine St-Victor. C’est le genre de communion qu’on avait avec les concerts, par exemple, ou aucune de nos différences ne comptait parce que nous étions réunis par ce que nous avions en commun : l’amour d’un ou d’une artiste, d’un compositeur. La pandémie a mis ça sur pause, hélas. »

Réseaux sociaux

« Merci », « ensemble », « bravo » :
des mots sur notre humeur

Depuis les derniers mois, nous avons été entraînés dans des montagnes russes émotionnelles. Pour documenter nos hauts et nos bas, nous avons décortiqué les publications sur Twitter et Instagram de 50 personnalités québécoises et de 50 personnes choisies au hasard, depuis janvier 2020, afin de mettre des mots sur notre humeur. Analyse en cinq temps.

Notre démarche :

L’équipe d’analyse de données de La Presse, composée de Marie Gallagher et de Pierre Meslin, a examiné les publications sur Twitter et Instagram de 50 personnalités d’une variété de milieux de la sphère publique ainsi que celles de 50 comptes Twitter choisis au hasard. Ces données nous ont permis de dénoter les humeurs dominantes dans les publications des 100 comptes, de même que les tendances fortes dans les habitudes d’utilisation des réseaux sociaux, de janvier 2020 à janvier 2021.

La vie avant

Janvier et février 2020

Début 2020. Les discussions en ligne tournaient autour d’une grande variété de sujets ; le Canadien (et ses partisans dans les gradins !), le troisième lien, le barrage à Kahnawake de militants mohawks ou l’assassinat du général Soleimani en Irak.

En janvier et février, on recevait les premières nouvelles d’un virus meurtrier qui avait atteint maintenant l’Occident et même le Canada. « La crise de la COVID-19 s’est imposée, au fil des mois, comme un important sujet de société, [mais] ça a pris un certain temps. Au début, le problème a été perçu comme concernant exclusivement la Chine », rappelle Serge Proulx, sociologue et professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal.

Fin janvier, c’est la mort soudaine du joueur de la NBA Kobe Bryant dans un accident d’hélicoptère qui a bouleversé l’esprit collectif. Si certains ont tenu à rappeler un passé trouble, la majorité des gens ont voulu souligner pourquoi ils admiraient l’athlète. « Ce qui nous fédère sur les réseaux sociaux, ce sont les beaux moments, les moments de nostalgie, soulève Martine St-Victor, stratège en communication, fondatrice de Milagro Atelier de relations publiques et fervente utilisatrice de Twitter. […] Et c’est ce qu’on a vécu avec Kobe Bryant. C’est là où on voit comment les réseaux sociaux carburent aux émotions. »

Guy A. Lepage, l’une des 50 personnalités dont nous avons analysé les publications, a par exemple rendu hommage au joueur de basket sur Twitter et sur Instagram.

Celui qui utilise beaucoup les deux plateformes y publie régulièrement ses opinions, coups de gueule et coups de cœur. « Les réseaux sociaux sont un exutoire de nos émotions, explique la sociologue Cécile Van de Velde. Des enquêtes démontrent que les émotions fortes se diffusent particulièrement vite, plus que dans la vie réelle, sur les réseaux sociaux. »

Fin février, les Québécois s’apprêtaient à vivre tout un lot d’émotions fortes : le 27, un premier cas de COVID-19 était déclaré au Québec.

Les premières semaines de la pandémie

De mars à mai

Entre mars et mai, le Québec a vécu le déclenchement de l’urgence sanitaire, un premier confinement, l’interdiction des rassemblements, le début de la crise dans les CHSLD, ainsi que la fermeture des écoles et de nombreux lieux publics. Au fil des jours, la population s’est heurtée à la prolongation et au durcissement des mesures face à une situation de plus en plus critique. « Quand les Québécois se sont aperçus que la pandémie les touchait, les diverses mesures de prévention annoncées par les gouvernements ont occupé la scène des médias et celle des réseaux sociaux », constate Serge Proulx.

En mars, on note un plus fort engagement dans les réseaux sociaux depuis le déclenchement de la crise, soit une hausse de 61 % dans le monde, selon une enquête britannique de la firme Kantar. « On a besoin d’exister, résume Cécile Van de Velde. Ça ne peut pas se faire face à face, alors le monde est passé en ligne. On observe une logique de compensation. » Dans une société tout à coup privée du bureau, des restaurants, cafés ou sorties culturelles, les réseaux sociaux sont devenus une « bouée de secours » où interagir, réagir et « partager et réguler ses émotions ».

« C’est l’exutoire de nos frustrations, joies, plaisirs, parce qu’on n’a plus de situation intermédiaire. »

— Cécile Van de Velde, sociologue

Les gens se mettent donc à échanger sur cette réalité commune sans précédent. Notre analyse démontre qu’en dépit de la situation alarmante qui progresse, l’humeur générale est demeurée positive. Sur Instagram, par exemple, entre mars et novembre, les thèmes de la solidarité, de la résilience, du temps avec les proches, de l’achat local sont parmi les sujets dominants. Sur Twitter, les mots « merci », « bien » et « bonne » reviennent le plus souvent dans notre analyse à cette période.

Rappelons-nous le slogan « Ça va bien aller » (que l’on n’entend plus beaucoup ces temps-ci) qui était partout à cette époque, jusque dans les fenêtres des maisonnées. « On dit ce qu’on a besoin d’entendre. C’était ça, “Ça va bien aller”, analyse Cécile Van de Velde. Ces messages sont une posture de positivité. On est dans une logique de survie. »

Pour mieux traverser ces épreuves, on s’encourage et on demeure positifs. Le tweet le plus aimé entre janvier 2020 et janvier 2021 parmi les 50 personnalités publiques de notre panel est d’ailleurs une publication du 28 mars de Cœur de pirate, un clin d’œil humoristique à une réalité à laquelle beaucoup s’identifiaient : « J’ai l’impression que ma journée consiste à manger et puis attendre que ce soit acceptable de remanger. »

« Ça a créé chez plusieurs un sentiment d’interdépendance, le fait qu’on soit tout seul ensemble, note Cécile Van de Velde, professeure au département de sociologie de l’Université de Montréal. Ça a créé une conscience d’appartenance, à un quartier, une localité, une nation. Et même à la Terre entière, parce que c’est quelque chose d’existentiel. » Serge Proulx remarque également ce « sentiment de communauté ». « On compare les performances du Québec à l’Ontario et aux autres pays du monde », observe-t-il.

Les interventions du premier ministre Legault sont un facteur important dans la construction de cette « communauté québécoise ». D’abord et surtout par ses apparitions nombreuses à la télévision. Le tout étant renforcé par sa présence dans les réseaux sociaux, comme le montre l’enquête de La Presse. Le premier ministre a en effet doublé sa présence sur Instagram durant cette période.

L’été et la rentrée

Mai à octobre

Fin mai, l’homme afro-américain George Floyd est tué par un policier lors d’une arrestation dont la vidéo fait le tour des réseaux sociaux. Des milliers de personnes en colère manifestent dans la rue, au Québec et un peu partout dans le monde. En ligne, c’est surtout sur Instagram que la protestation se déroule, avec autant de ferveur. En juin, c’est sur cette plateforme qu’a lieu le #BlackOutTuesday, en opposition au racisme et aux violences policières.

À la suite du déclenchement de la crise sanitaire, « les sujets abordés sur les réseaux sociaux sont devenus très concentrés, remarque Martine St-Victor, qui utilise Twitter depuis 12 ans. Cette dernière année, ça a été la pandémie, George Floyd, Joyce Echaquan et les élections américaines. » Ces trois derniers évènements, survenus en mai, septembre et novembre, ont chacun teinté l’humeur des utilisateurs et la teneur de leurs publications.

« Jamais les réseaux sociaux ne sont plus importants que quand il y a une tragédie, une crise. On est reliés par des hashtags. Ça nous permet de prendre le pouls de comment les autres le vivent et de rester connectés. »

— Martine St-Victor, stratège en communication

En mai, l’analyse de l’indice d’humeur Léger montrait que le déconfinement graduel coïncidait avec une évolution positive du bonheur des Québécois, après une baisse considérable en mars. Malgré les périodes rudes, de mars à novembre 2020, on remarque sur Twitter une tendance positive dans les publications – des termes comme « merci », « effort », « bravo », « ensemble » et « soutenir » reviennent souvent.

« À la fois pour eux-mêmes et pour les autres, les gens publiaient des choses qui avaient un effet d’apaisement collectif », observe l’humoriste et scripteur Daniel Thibault, très actif sur Twitter, citant notamment les vidéos virales de Damien Robitaille, que le musicien a publiées dès le mois d’avril. « J’ai vu l’humour ressurgir un peu plus sur Twitter. Quand je suis entré là en 2010, c’était une part importante de ce qui se passait là-dessus, mais c’est devenu très aride à un moment. On a peut-être retrouvé un peu de ça. »

Tout n’est pas rose sur les plateformes sociales. Twitter reste un lieu polarisant, où les esprits s’échauffent souvent. S’il l’utilise majoritairement de façon humoristique (« plus je suis stressé, plus je vais faire des jokes », lance-t-il), Daniel Thibault est de ceux qui ne se gênent pas non plus pour évacuer sur son compte certains états d’âme moins comiques. Comme « quand ça partait [en vrille] cet automne, dit-il, à propos de la gestion de la pandémie. Au début, j’étais content de voir que quelque chose était fait, qu’on réagissait. À partir du printemps, j’ai été plus critique et je ne me prive pas de l’exprimer. Mais ça ne sera pas juste là-dessus, mais sur toutes les questions auxquelles je suis sensible, le racisme, la discrimination, l’intimidation. »

L’hiver s’amorce

Novembre et décembre

Personnalité publique ou non, on remarque dès novembre, et encore plus en décembre, que le mot « Noël » est très utilisé sur Twitter. Alors que le gouvernement a fait planer l’espoir de rassemblements restreints pour la période de Fêtes durant quelques jours, nous apprenions le 3 décembre que Noël était « annulé ». Malgré cela, après analyse, on remarque sept fois plus de publications positives que de publications négatives comprenant le mot « Noël ». Les mots « merci » et « bravo » reviennent aussi à de multiples reprises.

Globalement, en décembre, on constate quatre fois plus de publications positives que négatives. Un certain ras-le-bol face à 2020 est toutefois palpable, comme en témoignent certains tweets où l’on souhaite ardemment que l’année se termine.

La politique américaine, dont l'élection de novembre dernier, a aussi été un élément de discussions continu pour les Québécois sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Twitter. Le mot Trump figure parmi les plus utilisés dès le mois de mars et jusqu’à janvier de cette année, observe-t-on dans les 50 comptes choisis aléatoirement.

Le sujet est moins discuté chez les personnalités publiques, même pendant le mois de novembre et surtout pas sur Instagram, où la conversation sur le controversé ancien président est quasi inexistante. Il faut dire qu’on ne déverse pas les mêmes humeurs sur Twitter que sur Instagram. « Si on analysait mes tweets, on dirait que je suis un gars maussade, impatient. Et sur Instagram, on dirait plutôt que je suis un charmant déconneur qui fait de la petite poésie niaiseuse et publie de belles photos », constate Guy A. Lepage, un sourire dans la voix. Alors que Twitter commençait à l’aliéner, l’animateur s’est d’ailleurs un peu plus tourné vers Instagram, un lieu plus « soft », dit-il.

Pour sa part, la co-porte-parole de Québec solidaire Manon Massé publie sur Twitter chaque semaine, à fréquence variable. « Mes réseaux sociaux sont représentatifs de mes humeurs si on les additionne, note-t-elle. Twitter est un outil d’actualité. Instagram, que je viens de découvrir, est l’endroit où je me mets en interaction avec les gens. Ça m’a accompagné dans mon humeur, mais j’ai aussi eu l’impression d’accompagner les gens dans les leurs. »

« Je pense que, comme le peuple québécois, j’ai vécu différentes phases depuis mars dernier, ajoute-t-elle. Mes réseaux sociaux me donnent la capacité de nommer mes inquiétudes, mais aussi de faire des propositions pour aider. » Manon Massé, en tant que politicienne et porte-parole de l’opposition à Québec, sait que son compte Twitter peut lui donner l’air « d’être d’humeur bougonneuse ». « Mais ça fait partie de mon travail », dit-elle.

Une nouvelle année

Jusqu’à la mi-janvier 2021

Enfin, 2020 est terminé… mais 2021 lui ressemble beaucoup. Coup dur dès le 9 janvier : Québec impose un couvre-feu dans toute la province.

Une récente enquête de la firme de recherche Angus Reid Group, menée à l’échelle canadienne, montre que la population se trouve dans un espace émotionnel bien plus négatif que positif ces dernières semaines. Les répondants ont le plus souvent déclaré qu’ils étaient « fatigués », « frustrés » et « inquiets » durant le mois de décembre, alors que de plus en plus de gens perçoivent que les choses vont empirer avant de s’améliorer.

« Décembre et janvier sont rudes sur le moral. C’est ce que je ressens aussi dans mes enquêtes actuelles auprès des jeunes adultes. Il y a un basculement vers un temps long et incertain. »

— Cécile Van de Velde, sociologue

« Ça allait lorsqu’on était dans un tunnel et qu’on en voyait la sortie, quand on nous disait de tenir bon jusqu’à telle date, souligne Mme Van de Velde. Mais là, on n’a plus vraiment de date. On sent sur le moral qu’on est au niveau de détresse, de solitude et de frustration d’avril dernier, en plein cœur du premier confinement. »

« On voit [sur les réseaux sociaux] toute l’évolution de la crise. Là, on en est au point où les gens sont tannés et se plaignent tout le temps », observe Martine St-Victor.

Le mot « merci » est encore et toujours, depuis le début de la pandémie, un des termes les plus utilisés, dans les publications des personnalités publiques, sur Twitter ou Instagram, comme celles des comptes Twitter choisis au hasard. On note aussi à plusieurs occasions la présence des mots « ensemble » et « famille ». « Il y a cette dynamique de reconnaissance très présente, remarque Cécile Van de Velde. Il y a l’idée d’une bienveillance collective qui se développe. »

Les affaires politiques aux États-Unis ont de nouveau été au centre de bien des publications et conversations sur Twitter durant les deux premières semaines de janvier, alors que les évènements du Capitole ont beaucoup fait réagir et qu’on s’apprêtait à assermenter Joe Biden.

« Dans les dernières semaines, Trump et les gens qui disent que c’était un sauveur m’ont beaucoup énervé, témoigne Guy A. Lepage. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire mon petit bonhomme de tweets sur le sujet. »

Malgré l’essoufflement collectif, il reste de la place pour des instants plus lumineux. « On n’a plus de spectacles, on n’a plus de divertissement. Ça prend de l’importance quand il y a des mèmes comme celui de Bernie Sanders [qui a fait le tour du web la semaine dernière] qui sortent », remarque Daniel Thibault. Si ces moments où tout l’internet semble réuni autour d’une même blague ne sont pas « typiques de la pandémie », ils trouvent une « plus-value » et « font du bien » dans une période comme celle que nous vivons, dit-il.

« Pour tout ce qu’il y a de plus désagréable sur les réseaux sociaux, il y a aussi ces moments d’unité, le temps d’un post, note quant à elle Martine St-Victor. C’est le genre de communion qu’on avait avec les concerts, par exemple, ou aucune de nos différences ne comptait parce que nous étions réunis par ce que nous avions en commun : l’amour d’un ou d’une artiste, d’un compositeur. La pandémie a mis ça sur pause, hélas. »

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