Des frigos ouverts à tous

Elles ne se doutaient pas que les gens avaient tant besoin d’aide pour se nourrir.

Dans les derniers jours, j’ai discuté avec des personnes qui exploitent des frigos solidaires à Eastman, Salaberry-de-Valleyfield et Montréal. Elles m’ont toutes dit la même chose : « On avait sous-estimé la demande. »

Si la hausse du prix du panier d’épicerie a des conséquences importantes, pour certains, elles sont plus tangibles que jamais…

En 2016, Virginie Coignet a commencé à fouiller dans les poubelles pour se nourrir. L’entrepreneure venait de faire faillite. Comme elle était atteinte de graves problèmes de santé, tout son argent passait dans des frais médicaux. Elle déterrait donc des aliments comestibles dans les conteneurs de déchets de différents commerces…

Elle en trouvait tant qu’elle a décidé de les partager.

La création d’une page Facebook plus tard, le frigo de son appartement devenait communautaire. Tous étaient dorénavant invités à y piger ou à y déposer des denrées. L’idée, très populaire, a attiré l’attention d’organismes du coin.

Virginie Coignet en est venue à fonder le Frigo communautaire et solidaire de l’Est, en 2019.

L’OBNL siège aujourd’hui dans un local de 2500 pi2 qui se transforme en épicerie libre-service tous les lundis et mardis. Pour 5 $, on peut remplir trois sacs de produits invendus par des commerces ou offerts par des organisations et des particuliers. Une contribution de 10 $ permet quant à elle de remplir un panier complet de denrées.

« Au début, j’avais de grandes ambitions de militante, m’explique Virginie Coignet, qui souhaitait lutter contre le gaspillage. Mais je me suis vite rendu compte que les gens venaient plutôt répondre à un besoin primaire : se nourrir. Pour moi, l’aide alimentaire est devenue la porte d’entrée pour sensibiliser les gens à la consommation responsable. »

Environ 200 familles bénéficient chaque semaine des activités du Frigo de l’Est. Au départ, 30 % des clients le faisaient par souci écologique plus que par nécessité. Depuis janvier, cette proportion a baissé à 10 %, estime la directrice générale…

« On voit de plus en plus de gens qui sont salariés, mais qui ont besoin de cette aide pour diversifier leur alimentation. C’est important de comprendre que les frigos solidaires remplissent un mandat que les banques alimentaires ne peuvent pas remplir. »

— Virginie Coignet, fondatrice du Frigo communautaire et solidaire de l’Est

C’est qu’elles sont réservées à des populations vulnérables ciblées. Il faut généralement que notre dossier soit approuvé pour qu’on y ait droit.

« Les étudiants, les retraités, les familles monoparentales, les gens qui travaillent à temps partiel… Souvent, ces personnes-là n’ont pas accès aux banques et elles doivent se priver de produits frais, poursuit Virginie Coignet. Par contre, tout le monde peut se servir des frigos solidaires ! »

Grâce aux 8000 heures de travail déployées par plus d’une vingtaine de bénévoles, cette année, 100 tonnes d’aliments ont été redistribuées à des personnes qui en avaient besoin…

« Alors, la hausse du coût de la vie, elle se fait vraiment ressentir ?

– Oui, c’est fou ! »

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Alain Paquette emploie exactement les mêmes mots quand je lui demande si l’inflation a eu un effet sur les activités du Frigo communautaire d’Eastman.

« C’est fou ! »

Retraité depuis 10 ans, l’homme a cofondé l’organisme en juin dernier. Son objectif était lui aussi la lutte contre le gaspillage. Or, il a rapidement compris qu’il s’attaquait du même coup à l’insécurité alimentaire…

« Il y a des gens qui viennent et qui travaillent à temps plein ! D’autres nous ont dit qu’ils avaient pu chauffer leur maison deux degrés de plus, grâce à nous… »

— Alain Paquette, cofondateur du Frigo communautaire Eastman

Une soixantaine de bénévoles veillent aux activités de l’organisme, qui se déploient dans un bâtiment cédé par la municipalité d’Eastman au coût de 1 $ pour trois ans. Trois fois par semaine, des citoyens s’y rassemblent pour piger dans les nombreuses denrées en fin de vie offertes par différentes épiceries et banques alimentaires de la région.

La première heure d’ouverture est réservée aux personnes dans le besoin. La deuxième à celles qui optent pour des produits mal-aimés par conscience écologique.

Environ 80 clients se déplacent chaque fois pour recueillir des aliments qui auraient autrement fini aux poubelles, estime Alain Paquette.

« On est le dernier rempart avant le compost et les poules », résume-t-il en riant.

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Le comité de sécurité alimentaire de Salaberry-de-Valleyfield a lui aussi choisi de s’attaquer aux fruits et légumes qui ne trouvaient pas preneur dans les banques alimentaires. Comment donc contrer le gaspillage de ces précieuses denrées ?

En les déposant dans des frigos ouverts à tous !

En avril 2020, on a installé un réfrigérateur au terminus d’autobus de la municipalité et un autre dans un organisme voué aux familles.

Tous deux étaient quotidiennement remplis par des bénévoles, vers 10 h, m’explique Elizabeth Gaulin, directrice générale du PRAQ (l’organisation responsable de l’initiative).

Dès 11 h, ils étaient vides.

Un sondage mené en juin auprès de 150 clients indique que 95 % d’entre eux n’auraient pas mis de légumes sur la table, sans les frigos solidaires…

Imaginez.

Entre juillet 2020 et janvier 2022, 31 tonnes d’aliments y ont transité !

En fait, les frigos solidaires attiraient tant de gens qu’avec la cinquième vague de COVID-19, on a dû les fermer pour éviter que des personnes vulnérables ne fréquentent des lieux trop achalandés.

« Depuis, on nous appelle chaque semaine pour savoir quand ils vont revenir », déplore Elizabeth Gaulin.

En fait, il ne manque plus que l’aval de l’instance de financement pour relancer l’initiative. On a beau compter sur des bénévoles, il faut payer certains coûts relatifs à l’exploitation, aux formations et au transport, quand on mise sur le partage des ressources…

Au Frigo communautaire Eastman aussi, on est à la recherche de fonds, d’ailleurs. C’est pourquoi l’organisme accepte les contributions de ses clients (« surtout ceux qui viennent dans la deuxième heure », précise Alain Paquette) et tous les dons de cannettes.

« De cannettes vides ?

– Oui, on est en pleine collecte ! Souvent, les entreprises en ont beaucoup. Surtout avec la récente reprise des évènements… On est preneurs, si jamais tu veux l’écrire.

– Bien sûr que je vais l’écrire ! C’est la moindre des choses pour vous remercier pour tout ce que vous faites. »

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