« Comme des couteaux dans les yeux »

Des patients qui souffrent de conséquences dévastatrices d’une intervention chirurgicale au Lasik déplorent de ne pas avoir été suffisamment informés des risques de l’opération de correction de la vue.

Vision double, yeux secs, difficulté à conduire la nuit… les patients qui songent à subir une intervention au Lasik devraient être mieux informés des risques de l’opération, suggère la Food and Drug Administration, l’homologue de Santé Canada aux États-Unis. Au Québec aussi, des personnes auraient souhaité mieux connaître les complications possibles avant de se prêter à l’opération.

« J’ai dû dire bye à ma vie d’avant », soupire Gabrielle Bernier, 26 ans.

En janvier 2019, la jeune femme a subi une opération pour traiter une myopie. « J’ai une bonne vue depuis l’opération. Ce n’est pas ça le problème. C’est la douleur », explique-t-elle. « C’est comme si j’avais des couteaux dans les yeux. C’est comme si on me plantait des aiguilles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. »

Mme Bernier déplore que le personnel de Lasik MD, une des cliniques pratiquant l’opération au Lasik, l’ait mal informée des risques de l’intervention chirurgicale aux yeux. Elle affirme également que la clinique a minimisé ses douleurs quand celles-ci sont apparues deux ans après son opération. Pour comprendre ce qui lui arrivait, la jeune femme a consulté un médecin à Boston qui lui a diagnostiqué une maladie rare appelée névralgie cornéenne.

Pour la plupart des patients, les nerfs sectionnés pendant l’intervention chirurgicale au Lasik se régénèrent par eux-mêmes en six mois ou moins. Les nerfs de Gabrielle Bernier, eux, n’ont jamais guéri.

« Je ne peux pas être au soleil longtemps, dans le vent, dans l’air climatisé, devant l’ordinateur, je ne peux pas me maquiller. »

— Gabrielle Bernier

Gabrielle Bernier a quitté son emploi de conseillère financière, car elle ne tolérait plus l’écran de son ordinateur. Au plus fort des douleurs, elle a songé au suicide.

Un guide pour informer le public

Le témoignage de Mme Bernier est loin d’être le seul dans le genre. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) travaille sur un guide destiné à l’industrie du Lasik afin de mieux informer les patients des avantages et des risques d’une intervention chirurgicale. Le texte, encore au stade de l’ébauche, a été mis en lumière par le New York Times en décembre et est disponible sur le site de la FDA.

L’agence américaine énumère, dans un document de 29 pages, une série de complications possibles après une intervention au Lasik comme la sécheresse oculaire, l’apparition de halo, une vision double, des écoulements des yeux et de légers inconforts qui disparaissent pour la plupart en moins de six mois.

« Chez certains patients, la douleur peut ne jamais disparaître et peut résister au traitement », nuance toutefois l’ébauche dans une phrase mise en évidence par des caractères gras.

« Il a été rapporté que certains patients ont souffert de dépression sévère ou de tendances suicidaires qu’ils attribuent aux complications liées à l’intervention. »

— Extrait du document de la Food and Drug Administration

La FDA a approuvé l’intervention chirurgicale au Lasik en 1999. En 2019, un des experts ayant siégé au comité de la FDA qui a approuvé le Lasik aux États-Unis avait déclaré, dans une entrevue au réseau CBS, qu’il regrettait son vote et que l’opération devrait « absolument » être retirée, compte tenu des complications possibles.

Au Québec, un patient a déposé une demande d’action collective contre Lasik MD, en 2019, parce que l’entreprise aurait omis d’informer ses clients des risques associés à l’intervention chirurgicale de correction de la vue. Or, la Cour supérieure n’a pas autorisé l’action, car le plaignant avait dépassé le délai de trois ans après l’apparition de ses premiers symptômes. Le juge a également statué que le cas de ce patient était particulier et ne pouvait pas être élargi à l’ensemble des clients de Lasik MD.

Des cliniques qui fonctionnent « au volume »

Le DLanguis Michaud n’est pas surpris que la FDA se penche sur l’industrie du Lasik. « J’applaudis cette initiative à quatre mains », souligne l’optométriste, qui traite parfois des patients insatisfaits de leur opération au Lasik, à la clinique d’optométrie de l’Université de Montréal.

« [Au Québec], il y a des centres qui travaillent très bien, qui informent leurs patients et qui laissent du temps pour réfléchir. Mais malheureusement, il y a aussi des centres qui fonctionnent au volume et qui occultent ou minimisent les risques », explique celui qui est directeur du département d’optométrie de l’Université de Montréal. Notons que le DMichaud s’est gardé en entrevue de nommer la moindre clinique par son nom.

L’optométriste soutient que l’admissibilité des candidats est variable d’un centre à l’autre. Une personne peut être refusée dans une clinique, mais acceptée dans une autre. Des clients se sont aussi vu offrir une opération dans les heures qui ont suivi leur première visite en clinique, ce qui laisse peu de temps de réflexion, ajoute-t-il.

« Dans certains centres, le patient rencontre le chirurgien pour la première fois lorsqu’il est en dessous de la machine, les deux yeux strappés. Je n’appelle pas ça un consentement éclairé. »

— Le Dr Languis Michaud, optométriste

Dans un courriel envoyé à La Presse, Lasik MD avance que le taux de satisfaction des clients du Lasik s’élève à entre 96 % et 99 % en citant une étude américaine. La FDA parle d’un taux de satisfaction de 95 % sur son site internet.

L’entreprise soutient aussi que seulement 1 % de ses patients ont recours à des gouttes pour les yeux plus d’un an après l’intervention. La FDA indique plutôt que 17 % des patients utilisent des gouttes, cinq ans après l’opération. L’agence américaine affirme que 2 % des patients ont des difficultés qui les empêchaient de vaquer à leurs activités quotidiennes, six mois après leur opération. Aucune statistique ne figure sur le site de Lasik MD à ce sujet.

« Le nombre d’interventions que nous avons réalisées à Lasik MD au cours des 20 dernières années [plus d’un million] nous a permis de recueillir des données cliniques qui diffèrent des statistiques [de la FDA] », explique Jessica Lukian Papineau, directrice principale chez Lasik MD. Elle rappelle que la littérature scientifique a démontré, depuis 25 ans, que le Lasik est « sécuritaire et efficace ».

« Bien que toutes les interventions médicales comportent un certain degré de risque, les complications de nature chirurgicales liées au Lasik sont rares. Elles surviennent dans moins de 1 % des cas, et la très grande majorité d’entre elles sont traitables », poursuit-elle.

Mme Lukian Papineau assure également que les patients chez Lasik MD sont mis au courant des risques d’une intervention chirurgicale dès leur première rencontre préopératoire. Un livret d’informations de 32 pages est remis à chaque candidat. « Lasik MD prend l’éducation de ses patients très au sérieux. Nous croyons qu’il est important que tous nos patients comprennent les risques, les avantages et les effets secondaires possibles de l’intervention qu’ils envisagent, comme avant tout autre traitement médical. On aborde avec les patients différents aspects du Lasik à plusieurs moments avant qu’ils décident d’avoir l’intervention », précise-t-elle.

Risques minimisés ?

Charles-Antoine Masson, lui, a eu l’impression qu’on minimisait les risques quand il s’est présenté dans une clinique de Lasik MD. « Ils n’insistent pas là-dessus, et la sécheresse oculaire, ils disent que ça se règle avec des gouttes », raconte celui qui s’est fait opérer en mai 2021 parce qu’il en avait assez d’avoir de la buée dans les lunettes.

Depuis son opération, ses yeux sont tellement secs qu’à quatre reprises, ses paupières ont arraché des morceaux de sa cornée. La douleur devient insoutenable, l’empêche de travailler et le force à multiplier les visites à la clinique pour guérir ses yeux.

Chaque jour depuis son opération, il doit mettre des gouttes, qui lui coûtaient 80 $ par mois (sa pharmacienne vient de lui trouver une marque qui est en partie remboursable par son assurance).

Et chaque jour depuis mai 2021, il se demande si Lasik MD a joué avec les statistiques concernant les complications possibles. « Est-ce qu’il y a eu un manque de transparence ? Est-ce qu’eux considèrent que je n’ai que de légères complications ? Est-ce qu’ils m’incluent dans leurs statistiques ? », se questionne-t-il.

« Si on m’avait mieux expliqué les risques de la sécheresse oculaire, j’aurais certainement réfléchi plus de 10 minutes avant de me faire opérer », dit-il, amer.

Santé Canada affirme pour sa part qu’elle effectue une « surveillance » des effets indésirables liés aux appareils d’intervention chirurgicale au laser, notamment en « surveillant » les plaintes. « Quand des risques pour les patients sont identifiés, Santé Canada n’hésite pas à prendre les mesures appropriées, au besoin, pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens », écrit l’agence canadienne dans un courriel.

Qu’est-ce que le Lasik ?

Le Lasik permet de traiter des troubles visuels comme la myopie, l’hypermétropie, l’astigmatisme et la presbytie en modifiant la forme de la cornée. Pour y arriver, le chirurgien incise une très fine couche de la cornée qui s’appelle le capot, puis il retire une quantité de tissu variable selon le patient. Le rabat cornéen est ensuite remis en place et la guérison de l’œil commence. L’opération dure une dizaine de minutes. Au Canada, le Lasik se pratique depuis le milieu des années 1990. Lasik MD est l’une des cliniques qui réalisent ce genre d’intervention chirurgicale.

Quelques définitions

Myopie : difficulté à voir de loin

Hypermétropie : difficulté à voir de près

Astigmatisme : vision déformée des objets à distance

Presbytie : incapacité de distinguer nettement des objets à proximité

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